Les fétiches : un couteau à double tranchant

Bwanga, Ngasebe, et Kilasu 

Lorsqu’en 1962, à l’âge de 12 ans, j’ai commencé à m’intéresser à la chose sportive, Papa Aimé Longby faisait peur à tous ceux qui fréquentaient les différents stades de Léopoldville. Lorsque la nouvelle de la mort de Sekele se répandit dans la ville, tout le monde le pointa du doigt. On disait qu’il avait sacrifié son joueur. D’autres supputaient en affirmant que « Sekele na moninga na ye ya lisano, Levic Lukumina, basimbaka… ». Plusieurs parents étaient paniqués et avaient peur pour l’avenir de leurs enfants.

Toujours dans cette série sombre, nous pouvons aussi épingler le cas du célébrissime Kiala Decoulo. Ce  jeune ailier droit, petit frère de Julien Kialunda, fut fracturé au cours d’un match de football au stade Roi Baudouin. Malgré tous les soins qui lui furent entourés, sa jambe finit par être amputée.

Il y a aussi, la disparition tragique de Feu Dondo, gardien de buts de la même équipe de Daring tombé sur le champ de bataille ou celle de Feu Bobo Bobutaka, avant centre de V-Club décédé toujours au stade du 20 Mai qui sont des véritables cas de conscience.

Pourquoi ne pas s’attarder sur la fracture de Raoul Kidumu, envoûté semble-t-il par ses parrains de Mbanza Ngungu ou celle de Adelard Good Year. De son vrai nom Mayanga Maku, l’accident de cet ailier de charme est survenu au moment où son étoile brillait au firmament. Des méchantes langues disent que le Vieux Rail avait réagi, suite aux quolibets dont il fut l’objet de la part de certains V-Clubiens qui avaient croisé son chemin au marché de Gambela. Il semble que ces supporters lui avaient tenu un langage qu’il n’avait pas apprécié. « Vos gris gris sont sans effet sur Adelard qui balaie tout sur son passage ». En guise de réponse, il leur répondit seulement, qu’avant la fin de la semaine, il y aura une mauvaise surprise pour vous : « Bo komona ».

Nous pouvons aussi épingler les déboires connues par une étoile montante du football congolais Mayenda Mayens qui disparut de la ligne d’attaque imanienne suite à une luxation de son genou droit, victime du limogeage de son président de parrain à la tête de Daring. Sa longue indisposition, fut à l’origine de son départ précipité en Belgique où il fut soigné dans une clinique belge.

Cette liste des incidents qui ont émaillé le parcours de nos équipes est longue… On dirait que ces malheureuses situations font partie de ces mystères que le commun des mortels n’a jamais réussi à élucider.

Toujours pour départager les antis et les adeptes des fétiches, plusieurs groupes avaient vu le jour au sein de Daring. Le groupe de l’Echangeur, le groupe de Barumbu et le groupe de Popokabaka de triste mémoire illustrent cette gué guerre sans merci que se sont livrées, les différentes factions de cette équipe qui étaient les unes et les autres opposées dans leur conception de diriger leur équipe. A plusieurs reprises, les conflits qui ont surgi de cette incompréhension furent très néfastes pour le club. Il a fallu attendre que les sages de ce club, au prix de mille conciliabules soient parvenus à faire fumer le calumet de la paix aux différentes tendances qui se disputaient l’hégémonie. Ainsi est né ce fameux slogan : « Daring uni est imbattable » qui n’est pas un vain mot. Il est le résultat de ce compromis sagement dosé entre ceux qui prônent les méthodes scientifiques avec une préparation technique toute azimut et les indécrottables fétichistes qui ne jurent que par les « Bilongos ».

Quand les monstres Du Sang et du Monde faisaient valser tous leurs adversaires, on racontait que c’est le Vieux Bony, un kinois de nationalité béninoise qui était leur porte bonheur. Les anciens de cette équipe nous vantaient les fantasmagoriques de Loulou, le ballon magique des rouge et or qui faisait courir les adversaires des Monstres dans tous les sens sur un terrain de jeu. Depuis que le Vieux Bony est parti, Dragons n’arrive toujours plus à redécoller.

Que pensez-vous du phénomène « Nzombo le soir » dont Vita Club a toujours été l’un des spécialistes. Cela nous rappelait les moments glorieux du team vert noir qui ne s’avoue vaincu qu’au dernier coup de sifflet de l’arbitre.

Daring, nous l’avons déjà dit a eu aussi sa part belle avec le concours de Pereira. Mais ce n’est pas un secret de polichinelle, celui-ci était un homme imprévisible qui mangeait presque auprès de tous les râteliers. Dans ce registre, il tournait parfois casaque à son équipe pour signer « des contrats », dans le vrai sens du terme, car limité dans l’espace et le temps, avec l’AS V-Club où ses interlocuteurs privilégiés étaient Mingiedi Mbala et Aponga Mfumu Ntaku. Toujours dans cette équipe de V-Club, d’autres dirigeants ont réussi à créer des légendes autour de leurs noms, non pas à cause de leurs portefeuilles, mais surtout pour  leur savoir faire en matière de préparation psychologique. Luambo Makiadi dit Franco, Kimpedi Bavueza, Kindoki Ndoki Kéjé, André Kimbuta, Mboma Mbolecza, Pierrot Mombulu,  pour ne citer que ceux-là, doivent leur notoriété dans les arcanes du pouvoir V-Clubien grâce à leur maîtrise de ce domaine réservé aux seuls initiés.

Souffrez aussi que nous puissions vous citer un indice d’appréciation de l’importance d’un dirigeant et qui peut assurer sa longévité au sein de sa famille sportive. Seuls les bilongistes sont irremplaçables, car ils jouissent d’une confiance aveugle auprès de leurs nombreux supporters.  C’est dans ce registre que nous pouvons épingler le cas particulier de M. Mbuyi Kana, le premier président sportif de V-Club qui a essayé en vain de changer la mentalité de ses ouailles. Dans sa logique, il voulait mettre un terme à ces pratiques au profit d’une politique des primes à payer aux joueurs en cas de victoire. Il fut sérieusement combattu par « les dirigeants professionnels » de cette équipe à qui on venait de priver leurs sources de revenus. Kibonge et Luc Mawa au plus fort de leur gloire furent utilisés pour le défenestrer de son fauteuil qu’il finit par perdre au profit de Moyo Wabu. Mbuyi Kana ne fut pas le seul dirigeant qui a perdu son poste, au motif des résultats insuffisants. Le FC Daring a connu aussi sa valse des coups d’Etat avec des tireurs des ficelles bien connus, mais tapis dans l’ombre qui agissaient toujours par l’intermédiaire des joueurs. Toujours au sein du CS Imana, le président Mayifuila et son 1er vice président Ado Makola ont failli s’empoigner en public à cause de ce genre de conflits qui avait pour soubassement, la suprématie de l’un sur l’autre dans ce domaine sacré.

Heureusement qu’avec la nouvelle organisation des sports dont le soubassement fut l’arrêté 0044 signé par le Ministre Elonga, l’influence parfois exagérée des joueurs fut complètement remis en cause. Aujourd’hui, l’assemblée générale reste le seul organe souverain capable de faire tomber un comité. Portant, là où les dirigeants des grandes équipes étaient soumis aux pressions de leurs nombreux supporters, les clubs de seconde zone disposaient des dirigeants de la trempe de Jean Aimé Longby, Zere Makangila, Kuba di Vita, Nitumfuidi Nithouf, Mbemba Raison, Benamukuele, Kimoanga Dadou, Kibunda, considérés dans leurs formations respectives comme des mythes. Or, avec le recul, nous nous rendons compte qu’un club de la trempe du FC Himalaya du Président Kuba avec son football ABC était une équipe, pas comme les autres. Il n’avait pas besoin des fétiches pour faire exploser les défenses adverses. D’autres équipes comme Vijana de Ngadiadia et Faria, Babeti ya Kin de Kimoanga Dadou, Kalamu de Moleka Nzulama ou Matonge de Ado Makola sont aussi des cas d’école. Dans ces formations, les joueurs étaient soignés aux petits oignons. Parlant de Moleka et Ado Makola, ces deux présidents aux bras très longs, dirigeaient leurs clubs par défi. Ils avaient mis des gros moyens pour atteindre les brillants résultats qu’ils réalisèrent avec des joueurs complètement acquis à leur cause. Plus près de nous, le TP Mazembe plane sur le football congolais grâce aux moyens colossaux que Moïse Katumbi a mis en jeu pour changer le cours normal des choses.  Le TP Mazembe est aujourd’hui géré comme une entreprise. Pour avoir placé ces joueurs dans des conditions optimales et comparables à ceux des athlètes professionnels, tous les meilleurs joueurs du pays veulent évoluer dans cette équipe. N’étant pas de ce milieu, nous sommes incapables de  porter notre jugement de valeur sur la place qui est accordée aux préparations souterraines. Au-delà de la réponse qui nous sera réservée, sachez malgré tout que ce fléau est une réalité vivante pour toutes les équipes de notre pays.

Jean Koke Miezi

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