Page d’histoire: 9 novembre 1996, Mobutu décide de rentrer au pays pour affronter l’Afdl(interview exclusive)

Le 9 novembre 1996, alors que tout le monde au Zaïre réclame une déclaration de sa part après la chute des villes d’Uvira, Bukavu et Goma, le Président Mobutu sort de son silence, à partir de sa villa de Roquebrune-Cap-Martin (France) :

« Je rentre et je reprends les choses en main« . Voici l’intégralité de l’interview qu’il avait accordée au journal français Libération, ce jour-là.

Y a-t-il, dans l’est du Zaïre, rébellion ou agression extérieure?

Mobutu : Il s’agit bel et bien d’une agression perpétrée par le Rwanda avec la complicité des Banyamulenge (Tutsis installés au Zaïre depuis des générations, ndlr), qui ont en quelque sorte joué le rôle d’une cinquième colonne.

Vous mettez aussi en cause le Burundi et l’Ouganda?Mobutu : Non. Ils ont pu faire des choses que j’ignore, mais, dans les circonstances présentes, je ne les mets pas en cause.

Vous êtes d’accord avec l’envoi d’une force multinationale?

Mobutu : Le secrétaire général des Nations unies et le président Chirac m’en ont parlé, et je leur ai dit oui. J’accepte une trêve de fait. D’après ce que j’ai compris avant de donner mon accord, c’est l’essentiel.

La présence de Casques bleus ne risque-t-elle pas de pérenniser l’occupation du territoire zaïrois par des forces que vous ne pourrez alors pas déloger?

Mobutu : Non, non, surtout pas! On me connaît assez pour savoir qu’il n’est pas question de toucher à l’intégrité du Zaïre. Il y aura des couloirs bien déterminés pour les Nations unies. Mais il ne faudra pas prendre la situation à la légère. Avec les forces armées zaïroises requinquées, je dis bien: requinquées, il y aura moyens de… Mais ne parlons pas de guerre. On ne va pas jouer à Napoléon ici. Parlons de paix.

Tout de même: jusqu’à présent, vous n’avez pas engagé la division spéciale présidentielle (DSP). Comptez-vous le faire?Mobutu : Une bonne partie de la DSP avait été mise à la disposition des Nations unies (pour garder les camps des réfugiés hutus, ndlr). D’autres bataillons sont au sud, dans le Shaba et, à peu près, 2 000 hommes à Gbadolité (le fief présidentiel dans le nord-ouest, ndlr).

Comptez-vous les utiliser?

Mobutu : Je ne voudrais pas entrer dans des détails militaires. Mais c’est des forces qui appartiennent à l’armée zaïroise, dont je suis le patron.

Les manifestations antigouvernementales se multiplient à Kinshasa. Le Premier ministre Kengo Wa Dondo, d’ascendance tutsie, peut-il tenir?

Mobutu : Je ne voudrais pas que quoi que ce soit arrive pendant mon absence. Après mon retour, que les étudiants réclament d’ailleurs, on verra. Laissez-moi d’abord rentrer. Et la chasse aux Tutsis?

Mobutu : Je suis contre! La chasse à l’homme n’a jamais été dans ma ligne de conduite.

Ces jours-ci, avez-vous pensez qu’un coup d’Etat pouvait se produire à Kinshasa?Mobutu : Nous sommes sur la terre des hommes… N’importe qui, au sein de l’armée, peut envisager n’importe quoi. Mais, jusqu’à présent, personne ­ je dis bien: personne ­ n’a encore contesté mon autorité sur les forces armées. Par ailleurs, ne l’oubliez pas, je suis aussi chef d’un grand parti politique.

Et le danger d’un éclatement du Zaïre?

Mobutu : De mon vivant, je n’y crois pas. Ce serait très difficile. J’ai passé toute ma jeunesse à œuvrer pour l’unité du Zaïre et je ne crois pas que, moi vivant, ce pays puisse éclater.

La priorité ne consiste-t-elle pas, pour les uns, à faire rentrer sans conditions préalables les réfugiés hutus et, pour les autres, à sécuriser l’est du Zaïre?

Mobutu : Je vois le problème autrement: souvenez-vous de tout ce que le Zaïre a fait pour ces réfugiés, comment il les a accueillis en frères, leur donnant à manger, accès à ses écoles et à ses hôpitaux, avant que les Nations unies arrivent. A la lumière de ce que nous vivons aujourd’hui, il y a de quoi être très, très déçu. Alors que j’étais à l’étranger, profitant de ma maladie, on nous a poignardés dans le dos.

Et vous-mêmes, quand songez-vous à rentrer au pays?

Mobutu : Dans quelques semaines, au terme de ma convalescence. Je crois sincèrement, d’après tous les échos qui me parviennent, qu’on m’y attend. J’irai à Kinshasa… C’en est fini de la retraite à Gbadolité?

Mobutu : On avait dit beaucoup de choses: que j’étais un homme fini, que je n’avais plus de pouvoir et ainsi de suite. Alors, je me suis éloigné un peu, à Gbadolité, et j’ai laissé faire. J’attendais les élections. Mais la situation actuelle exige mon retour à Kinshasa. Je rentre et je reprends les choses en main.

Comptez-vous toujours vous présenter aux élections, en principe l’an prochain?

Mobutu : Je suis et je reste candidat à ma succession. Ah, ça, rien à faire!

Votre état de santé le permettra-t-il?Mobutu : On a dit n’importe quoi à ce sujet. Je démens de la manière la plus catégorique d’être atteint d’un cancer généralisé. J’ai été opéré, j’ai été ­ grâce à Dieu ­ entre des mains expertes et je débute à présent ma convalescence. Mais je suis en bonne santé. Suivez-moi jusqu’aux élections!

En novembre 1994, au sommet franco-africain de Biarritz, vous avez vu François Mitterrand. Pensez-vous que, dans son état, il devait s’éclipser?

Mobutu : Je crois que penser à s’éclipser est une bonne chose. Mais cela dépend de l’état de santé de chaque chef d’Etat, de la Constitution, de la manière dont son pays est gouverné. Pour ma part, je pense à ma succession, c’est normal, je ne suis pas éternel. Mais aujourd’hui, le Zaïre a besoin de moi.

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