Lettre d’un vieux prêtre au Cardinal Ambongo

Léthargie ou maladie dans notre hiérarchie catholique congolaise ?
Eminence Monsieur le Cardinal,
Chers Pères Evêques,
La dernière lettre de la CENCO ne prend pas position mais appelle « au calme ». Celle du clergé de Kinshasa n’est qu’un soutien en bloc des propos du Cardinal. Cependant, les déclarations incendiaires du plus haut dignitaire de notre Eglise en rapport avec la situation actuelle du pays dans sa dernière « interview » aux journalistes, ainsi que le silence observé par vous nos pères Evêques à l’endroit de ces déclarations intempestives du Cardinal, donneraient à craindre une léthargie, si pas une maladie, qui menaceraient notre hiérarchie catholique.
Rappelons-nous, que pour vous, Eminence, il ne fallait pas aller aux élections… car il y aurait des fraudes ; et il y en a eu effectivement ! Mais c’est en nageant que l’on apprend à nager ; ce n’est pas parce que nous avons peur de tomber, qu’il ne faut pas faire le pas, ni se résoudre à marcher ! Quelle démocratie dans le monde s’est construite en 5 ans ou 10 ans ? Aucune ! Il faudrait un siècle au minimum, et encore davantage, pour asseoir une démocratie et changer des mentalités dans un peuple. Les élections, même imparfaites, sont la voie inévitable pour éduquer à la démocratie ; il faut toujours aller aux élections, constater les erreurs, et mettre en place des mécanismes de correction.
Le peuple congolais souffre ! Où ne souffre-t-on pas ? Y-a-t-il un accouchement normal sans souffrances ? Y-a-t-il un amour sans souffrance ? Votre Eminence a clamé ce refrain devant le Pape, en présence de toutes les autorités administratives, comme si vous nous informiez d’une vérité inconnue, d’une vérité qui n’aurait éclaté que depuis le mandat de Felix Tshisekedi.
Votre Eminence suggère aux mécontents qui n’auraient pas eu leur « part du gâteau», de rejoindre les groupes rebelles, car vous verriez dans la prise d’armes contre l’Etat, une solution aux problèmes internes de gouvernance ! Ce n’est pas une vérité, encore moins de la bouche d’un prophète chrétien. Dites-nous, Votre Eminence, comment exercer le pouvoir politique, judiciaire et exécutif ; mettez les généraux, les juges et les administratifs à votre école ! Nous ne sommes pas en Iran où les religieux Ayatollahs dictent aux gouvernants et administratifs les méthodes, les moyens à utiliser, et les décisions à prendre pour le pays. Notre constitution n’a pas fait ce choix ; et si votre don de prophétie vous dicte les décisions politiques, sollicitez un mandat au peuple et ne confondez pas la volonté de Dieu avec votre propre opinion.
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N’en déplaise à votre Eminence, vous n’avez pas le monopole du don de prophétie, qui revient à chaque baptisé dans sa configuration au Christ, prêtre, roi et prophète. Être prophète ce n’est pas seulement dénoncer le mal au dehors et au-dedans (ce que tout le monde peut aisément faire sans être prophète), mais surtout annoncer Dieu et sa volonté, amener à la conversion, en commençant par soi-même ; et je me demande si votre Eminence avait reconnu ce don de prophétie chez cet homme qui, au moment de prendre les rênes de notre pays, s’était agenouillé pour recevoir la grâce de Dieu par l’imposition des mains des pasteurs chrétiens ; le même homme, comme premier acte de l’exercice du pouvoir, est venu publiquement inviter le peuple à se joindre à sa supplication, demandant pardon à Dieu pour tout le mal perpétré dans la gouvernance du pays, et le suppliant de prendre les devants et de le conduire. C’était bel et bien une prophétie. Et nous n’avons aucune raison de penser que Dieu n’a pas entendu sa prière.
Votre Eminence, je suis un « Muluba », mon nom le clame assez ; et je rends grâces à Dieu de m’avoir donné la vie au sein de ce peuple; non pas parce qu’il serait meilleur que les autres peuples, non ; mais simplement parce tout ce que Dieu a créé est bon, et que je dois le louer avec ce que je suis. Et vous pensez que tout celui qui soutiendrait quelque action de Tshisekedi serait nécessairement de sa tribu ! Vous connaissez mal les Baluba : chez nous on n’est pas des moutons qui suivraient n’importe quel autre Muluba pour la simple raison qu’il serait Muluba; l’histoire atteste de nombreuses guerres civiles et émigrations au sein du peuple Luba ! Vous êtes le seul à ignorer que parmi les plus farouches opposants à Tshisekedi on compte des Luba et Kasayiens ! Si je prends la parole c’est pour blâmer vos propos, et non pas pour soutenir Tshisekedi. On dirait que le tribalisme vous habite et vous fait voir comme un appui tribaliste, tout jugement positif en face des efforts faits par cet homme depuis son avènement au pouvoir! Un pasteur tribaliste se rend indigne de sa tâche divine. Vos propos attisent la haine sociale et gratuitement ! Pouvez-vous nous dire un seul déboire que les membres de ma tribu vous ont causé en tant que Luba, à vous Eminence Cardinal Ambongo ? Vous risquez la prison pour instigation à la haine tribale et sociale.
Chers pères Evêques congolais, je suis triste du silence que vous gardez devant ces déboires qui éclaboussent notre vénérable Eglise catholique ! Pouvez-vous nous dire si vous vous reconnaissez, comme Eglise catholique romaine, dans les propos tenus dernièrement par Son Eminence notre cardinal, où il déclare aux journalistes que Tshisekedi est un « incompétent », que sa mère est devenue une institution qui distribuerait les faveurs dans la République, et que le président donnerait des armes aux Rwandais pour tuer les Congolais ? Est-ce là la vérité de l’Evangile ?
Vous pouvez entendre des rumeurs, mais la sagesse et le tact d’un pasteur c’est de se retenir et de ne pas les enfler dans des déclarations publiques !
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L’Eglise comme institution devrait être du côté des pauvres, et les pasteurs ne devraient, en aucun cas, s’aligner derrière les truands et les bailleurs de fonds meurtriers.
Ne gardez pas le silence, je vous en conjure, je vous en supplie, au nom de l’Evangile, au nom de ma foi catholique et du don de ma vie au service du peuple de Dieu dans le sacerdoce.

Abbé François Kabasele-Lumbala
Prêtre du diocèse de Mbuji-Mayi

Tél. : +33 6 41 32 92 55

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