Culture et Art: Le phénomène indoubile et Yankées à Kinshasa par NGIMBI KALUMVUEZIKO

Je parle brièvement du phénomène Indoubill et Yankées dans mon livre, KIBONGE, LE SEIGNEUR DU FOOTBALL CONGOLAIS, publié en 2015 aux « editions EDILIVRE de Paris. En voici l’extrait:


«  »Kibonge était encore trop jeune pour saisir la portée réelle de tous ces événements qui se déroulaient autour de lui. Comme les autres enfants de son âge, il traversait une période où les bouleversements internes priment sur les changements qui se produisent autour de soi. Le cinéma, la musique et le sport particulièrement le football occupaient la plus grande partie du temps de loisir. Kibonge et ses camarades allaient souvent assister à des séances de cinéma nocturnes en plein air. Depuis 1951, l’Abbé Cornil, un prêtre de la CICM, s’était lancé dans l’éducation du public par le cinéma. Il projetait régulièrement en plein air des films dans les différents quartiers de la Cité indigène et réalisait en plus des films de fiction avec des acteurs congolais dont la fameuse série Mbumbulu. 

 A Léopoldville, les films à caractère éducatif furent rapidement supplantés par les films Western très prisés à l’époque par les jeunes. Des Congolais avaient ouvert des salles de cinéma dans la Cité, tels Astra, Macauley à Citas, Siluvangi à Kinshasa, dans lesquels les jeunes Congolais se ruaient pour noyer leur ennui. Les images des héros des films Western américains les plongeaient dans un monde d’illusions, les faisant rêver au point de les pousser à chercher à les imiter. Cela donna naissance au phénomène Indoubill, une culture de la rue calquée sur l’image de ces héros du Far West américain auxquels les jeunes cherchaient à s’identifier. On vit ainsi apparaître des bandes de garçons, appelés Bills et Yankées, portant des noms évocateurs comme Garry Cooper, Burt Lancaster, Tex Stone, Pecos ou encore Wayne et reconnaissables par leur accoutrement -imitation des Cow Boys américains- et leur langage, le Indoubill, sorte d’argot du Lingala plein de néologismes. Ils se partageaient des territoires, véritables zones de non droit, baptisés de noms sortis de leurs rêves tels ONU Britannique à Matete, Far West et Dynamique à Ngiri-Ngiri, Texas et Casamar à Citas, Las Vegas à Lemba, US (Uz) et Juif à Léo II (Kintambo). Ils avaient leurs repaires, appelés ranch, interdits aux non-initiés, où ils s’adonnaient à la consommation du chanvre indien, diamba ou noix. C’étaient de véritables délinquants qui semaient la terreur dans les quartiers de Léopoldville. Les anciens de Léopoldville doivent encore garder le souvenir des figures emblématiques des Bills et Yankées qu’étaient Bingema, Ebende, Willy Cody et Vieux Porin à Léo II (Kintambo), William Booth, Gazin et Néron, le compositeur de l’hymne des Yankées Wele, Wele, Wele Kingo Nzambe, à Ngiri-Ngiri, Libre et Soto à Léo I (Kinshasa), Burt Lancaster, Samson et Léopard à Renkin (Kalamu), Océan, Wagon et Zorro à Matete, Mive John, Pecos et Duguru à Ndjili, le musicien Jimmy Zacharie Elenga et de Gazin à Saint Jean (Linguala).

 Le Père scheutiste Jef de Laet (1931-2009), connu à Léopoldville et Kinshasa sous le nom de Père Buffalo, est arrivé au Congo en 1957. Apres avoir servi comme Vicaire à l’école Saint Boniface de Matete, il fut muté à la paroisse Pie X de Ngiri-Ngiri en 1959. C’est là où il a été en contact direct  avec le phénomène Indoubill et Yankées. Prenant conscience des dangers réels de déperdition de la jeunesse que posait ce phénomène, il s’est senti la vocation de le combattre par la réinsertion des jeunes marginalisés dans la société, en leur apprenant des métiers. Sa méthode était originale; il s’intégrait dans leur milieu, vivant comme eux, parlant l’Indoubill pour gagner leur confiance jusqu’à en faire presque des amis, n’hésitant pas à l’occasion, comme il se disait, à les accompagner dans la consommation de diamba ! Pour cela, il avait accepté d’être appelé Père Buffalo, une appellation qui sonnait bien pour les Bills et Yankées. Quand il fut muté dans la commune de Kinshasa au début des années 1980, il choisit de vivre en dehors de la Paroisse St Pierre dans une parcelle où il avait ouvert un cabaret, le Cabaret Liyoto, un foyer d’activités culturelles, où se produisaient régulièrement une troupe de théâtre, une troupe de spectacle et l’orchestre Minzoto Wela Wela qu’il avait créés. Sa troupe de spectacle en particulier a produit des œuvres de grande valeur artistique, telle l’Opérette Takinga que les Kinois de cette époque-là évoquent encore avec beaucoup de nostalgie. » »


Ngimbi Kalumvueziko

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