VIENT DE PARAITRE : George Arthur Forrest, Un siècle de rêves. Ensemble, bâtissons l’avenir (Paris, Le Cherche Midi, 2022, 190 pages).

Norbert MBU-MPUTU. Bristol (Royaume-Uni), 27 janvier 2023. GEORGE ARTHUR FORREST. Un nom qui n’est plus à présenter. Un nom qui se confond avec une entreprise florescente en République Démocratique du Congo : l’Entreprise Générale Malta Forrest (EGMF) fondée en 1922 dans la province du Katanga où d’ailleurs l’auteur lui est né en 1940, y a grandi et étudié jusqu’à la fin du secondaire. Un nom et une marque déposée que chaque presse essaye de peindre selon sa ligne éditoriale. Un nom dont l’histoire est connecté à un visionnaire, le géniteur de l’auteur, Malta Victor Forrest, un émigré néo-zélandais passé par l’Afrique du Sud où son propre père, George Forrest 1er dont la famille lointaine provenait de l’Irlande, vint auparavant sous les drapeaux britanniques combattre dans la fameuse Guerre des Boers en 1899 et où il rencontra et maria la grand-mère de l’auteur, avant de regagner sa Nouvelle Zélande. De là, le père de l’auteur décida, au début du siècle passé, de revenir dans son Afrique (du Sud). Et, de cette Afrique du Sud là où sévissait l’Apartheid de triste mémoire, il arriva dans ce qui s’appelait alors le Congo Belge, à Elisabethville, me rappelant ainsi un autre aventurier qui fit le même parcours et qui me narra, jadis une fois, son aventure : Marcel Lafleur qui partit de sa ville de Liège natale en Belgique par vélo, en traversant toute l’Europe Occidentale et Orientale, l’Asie, en prenant un bateau pour l’Australie qu’il traversa aussi à vélo, puis un autre bateau pour la même Afrique du Sud et enfin sur son vélo en traversant toute l’Afrique Australe jusqu’à la même Elisabethville, avant de se marrer à Léopoldville. Le Congo belge de ces années, pays en pleins expansions et développement, était alors l’eldorado et le quasi Far West du monde…

POINT DE DEPART. Avec son esprit d’entrepreneuriat hérité de sa Nouvelle Zélande d’enfance, comme savent bien le faire et l’être les habitants des îles, devant veiller continuellement pour ne pas se faire avaler par des intempéries et des marrées maritimes, Malta Victor Forest se lança d’abord dans le transport, puis dans les mines avant d’atterrir dans les travaux publics avec des contrats avec les autorités locales et politiques, une entreprise et une vision familiales que les héritiers dont l’auteur ont hissé à un niveau international. Ce « livre-récit », selon les mots de l’auteur, est, au fait, l’histoire d’une telle entreprise d’abord familiale et surtout locale congolaise car fondée,  enraciné et rayonnant à partir de la République Démocratique du Congo, ce Congo natal de l’auteur, une entreprise actuellement la plus prospère du pays et ayant battu tous les records de longévité et de bonne gestion, une histoire que George Arthur Forest, qui affirme n’est pas être un écrivain ou un historien, essaye de partager, en filigrane, dans ce livre autobiographique qui se lit d’un trait.

CENTENAIRE : 1922-2022. C’est, certes, pour célébrer ce centenaire que l’auteur livre ce message d’espoir résumé par ses phrases : « Riche de mon ascendance néo-zélandaise, de mon droit de sol africain et de ma citoyenneté belge, je suis comme une passerelle vivante entre trois continents dans un monde aujourd’hui plus que jamais conscient du danger du repli sur soi et de l’ignorance de l’autre. Je suis un industriel et un opérateur économique profondément convaincu du rôle majeur du secteur privé en tant que levier nécessaire et incontournable dans l’émergence d’une nouvelle Afrique qui apportera au monde un supplément d’âme » (p. 12). Il ne souhaite qu’une chose à ses rejetons et même à ses lecteurs (surtout Congolais) : « garder les yeux qui brillent devant la beauté de la vie, avec sa magie et ses lumières qui scintillent les soirs d’incertitudes » dans cette aventure d’un siècle démarré par son père, Malta Victor Forrest, convaincu que « ce sont des hommes et des femmes [du Congo, d’Afrique, du monde nouveaux] qui prendront la relève pour poursuivre cette belle aventure humaine au service d’un Congo debout dans une Afrique unie et une humanité réinventée, et surtout réenchantée » (p. 16).

Surtout que l’entreprise, l’auteur et toute sa famille ont vécu dans un tel Congo en mutation (quasi perpétuelle jusqu’alors), ayant passé du Congo belge des Belges, en République du

Congo à l’indépendance le 30 juin 1960, en République Démocratique du Congo de la constitution de Luluabourg en 1964, puis par la République du Zaïre de Mobutu, avant d’atterrir encore avec la chute du Maréchal Mobutu le 17 mai 1997 en République Démocratique du Congo. Les drapeaux, les armoiries, les systèmes de gouvernements, des personnalités passant d’un camp à un autre, sans crier gare, autant des péripéties historiques décourageant plus d’un entrepreneur et d’investisseur en quête de stabilité, instabilité légendaire que l’entreprise use comme un échafaudage ou un levier, avec autant des défis relevés qui expliquent pourquoi l’entreprise sort du lot.

CONGO-KATANGA-MALTA VICTOR FORREST-EGMF. Arrivé à Lubumbashi, alors Elisabethville à 20 ans, le père de l’auteur y fonda son entreprise après avoir œuvré chez un Libanais importateur de General Motors qui lui « vendit à crédit un camion pour 18000 francs de l’époque, payables en trente-six mensualités » pour démarrer son entreprise de transport et de liaison, manquant alors, acheminant le courrier, les vivres et des produits de première nécessité. Ce fut la naissance de l’Entreprise Générale Malta Forrest (EGMF).  Un pari fou et toute une aventure léguée à ces descendants car, aussi incroyable que cela puisse paraître, il devait apprendre le français et, pour mieux s’enraciner, apprit et maitrisa vite les langues locales dont le Swahili, maria sa femme et eut ses enfants dont l’auteur nés tous au Congo et dans le Katanga. Ils vécurent ainsi, du dedans et comme tous les autres Congolais, toutes les péripéties surtout des années et crises des indépendances africaines et congolaises, avec notamment la fameuse sécession du Katanga, les rebellions qui s’en suivirent, le coup d’Etat de Mobutu le 24 novembre 1965, la terrible zaïrianisation où l’entreprise était au bord de la faillite, les deux guerres du Shaba où l’auteur, raconte-t-il, était déjà un monsieur mort avec ces rebelles le connectant avec le régime de Mobutu le plaqua au mur, armes au point, pour l’achever. Dieu merci que ses ouvriers s’y interposèrent et lui sauvèrent la vie, ces ouvriers, sa grande famille, qui font la fierté et le succès de leur entreprise.  

GEORGE ARTHUR FORREST AUX COMMANDES. Envoyé étudié en Belgique à l’Université Libre de Bruxelles où le fils George Arthur Forest devint ami de nombreux Congolais venus y étudiés aussi et qui, à la fin, ne rêvaient qu’une chose, retourner au pays servir, tous ceux-là qui devinrent des responsables et hauts cadres du pays, à la demande de son père, l’auteur regagna le Katanga où son frère avait pris les commandes de l’entreprise familiale. C’est avec la mort de ce dernier que George Arthur Forest le remplaça. Ses contacts et amitiés d’enfance, scolaires et académiques et son esprit d’ouverture l’aidèrent à nouer des relations avec, non pas seulement tous les présidents Congolais qu’il connaissait et fréquenta, mais aussi avec des présidents Africains dont Abdou Diouf, un ami, Balise Compaoré, etc… des personnalités diverses du monde (des « en-haut-d’en-haut » comme ils sont taxés par de l’humour camerounais) avec, au final, à cause de son et ce savoir-faire, des décorations et distinctions honorifiques dont la légion d’honneur de la France dont il fut le consul honoraire à Lubumbashi, le commandeur de l’Ordre de Léopold et grand officier de la Couronne de la Belgique, l’Ordre du Léopard du Zaïre, le Grand Cordon des ordres nationaux Kabila-Lumumba, pour ne citer que celles-ci bien illustrées par la dizaine de pages des photos personnelles à la fin du livre.

L’auteur a aussi un amour des chevaux et surtout de l’art : d’où son mécénat et, avec les gains de l’entreprise et son cœur gros, la philanthropie et des initiatives nouvelles via sa Fondation Rachel Forrest, du nom de sa mère, intervenant dans le domaine de l’éducation, l’environnement, la santé, etc… assistant et aidant dans plus d’un projet au Congo et même au monde, choses que l’auteur rapporte rapidement comme s’il évitait de se lancer dans un pro-domo ostentatoire. Même le premier Prix Nobel de la Paix Congolais, Dr Denis Mukwege, et son équipe, ont pu bénéficier des appuis de l’auteur, de sa fondation et de l’entreprise devenue, en 1995, la holding Groupe Forrest International (GFI) dirigée par le fils aîné de l’auteur, Malta David.

Au plus fort moment de leur entreprise, il se lança dans le Partenariat Public-Privé avec l’Etat zaïro-congolais notamment la gestion de la Gécamines, avec qui l’entreprise avait déjà des partenariat aux temps de l’Union Minière du Haut Katanga, UMHK, puis dans les finances jusqu’à avoir des parts importants dans les banques dont la BCDC, parts vendus après, dans l’élevage, la cimenterie, l’aviation, le secteur minier jusqu’à se voir confier la présidence du conseil d’administration de la Gécamines à une période où des investisseurs étrangers évitaient le Congo/Zaïre…

POINTS SUR LES « I ». Hélas, une telle entreprise née en terre congolaise et africaine par un Blanc Congolais et Africain suscite des jalousies (des incompréhensions et des appréhensions) ; d’où ces articles et dénonciations, proches des calomnies ou de sous-informations à l’heure de « post-truth », des ONGs se contentant plus des rapports que des réalités de terrain, une entreprise passée aussi par ces fourches caudines avec, par exemple, tous ses efforts d’avoir sauver la mine de Kamoto, à Kolwezi, lui retirée pour la remettre à l’Israélien Dan Gertler qui la céda après à Glencore… Autant des pertes d’argent dont seul le courage et l’amour des Congolais, ses travailleurs à presque cent pour cent, maintinrent l’entreprise au Congo.

NOUVELLES AVENTURES. Au soir de sa vie, George Arthur Forrest se lance dans une nouvelle aventure : la lutte pour l’autosuffisance alimentaire et surtout la lutte contre la déforestation avec sa holding CoCongo : « D’aucuns y voient un pari fou ! » (p. 133).

Avec ce siècle d’aventure et d’entreprenariat, l’auteur n’a qu’un rêve : celui d’un Congo debout où sera absent la corruption endémique qui y sévit ; un Congo « depuis trop longtemps malade, et cette maladie ne peut trouver une cure qu’à travers une politique volontariste de transformation en profondeur des leviers de [sa] gouvernance » (p. 138) et cela, dans trois mots importants ouvrant l’avenir de l’Afrique : soigner, éduquer et nourrir (135-136), ce qui ne pourra se réaliser qu’en rêvant, comme le fait l’auteur s’adressant à la jeunesse congolaise, en un grand mouvement de changement et des reformes des mœurs, de gouvernance en renforçant le secteur privé devant contribuer au développement du pays, comme ils l’ont rêvé et réalisé.

G. A. Forrest célébrant les 100 ans de l’entreprise

Après avoir lu Qatar. Les secrets du coffre-fort de Christian Chesnot et Georges Malbrunot et (Michel Lafon 2013) et My Story – 50 Memories from Fifty Years of Service du Sheikh Mohammed bin Rashid Al Maktoum de Dubaï (2019), ce livre de George Arthur Forrest inspire et aspire. Le Congo et l’Afrique s’en sortiraient vers le haut si un chacun de ces « changemakers » partageait ainsi son parcours, ses interrogations, les leçons de ses erreurs et ses visions et rêves parfois inachevés… George Arthur Forrest n’est pas ce seul entrepreneur étranger dont l’Afrique et le Congo est la terre natale, je m’en souvient toujours de ces soirées avec feu Marcel Lafleur qui me raconta comment lui-aussi quitta sa ville de Liège, en Belgique, à vélo, traversa toute l’Europe occidentale et orientale, puis l’Asie, prit un bateau pour l’Australie, la traversa tout aussi à vélo, reprit un bateau pour la même Afrique du Sud, puis son vélo jusqu’à la même Elisabethville, avant d’atterrir à Léopoldville, actuelle Kinshasa, le Congo d’alors étant un eldorado attirant plus d’un aventurier-visionnaire ayant un esprit d’entreprenariat à l’instar des Forrest…

SOIF. Un couac cependant, raconter un siècle d’aventure en deux cent pages seulement laisse plus d’un lecteur sur sa soif… Tout en espérant qu’un jour, par un concours de circonstances, l’auteur acceptera le jeu des questions/réponses pour devenir un peu plus bavard… Le lecteur est tout de même bien servi car, comme le dit le proverbe : « la poule, qu’elle boive peu pu trop, lève toujours sa tête vers le ciel ». Et si le Congo actuel imbibé jusqu’à la moëlle des os par la politique et les politiciens, et ceux tirant des ficelles dans le noir et de leurs côtés, avec toute cette ribambelle de presse nouvelle et influenceuse, bifurquait vers l’économie, les finances, l’entrepreneuriat privé, collectif, communautaire ou étatique, et que les millions dont on entend parler se faire détourner, si ceux-ci ne sont pas des « fakes », empruntaient le même

tunnel que celui des Forrest, le miracle de Dubaï, de Doha et même de Gaborone deviendrait aussi celui de Kinshasa…

Norbert MBU-MPUTU

Journaliste, écrivain et chercheur en anthropologie et sociologie

Email : norbertmbu@yahoo.fr

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