Homélie prononcée à l’occasion de la messe du 26e anniversaire de l’assassinat de Mgr Christophe MUNZIHIRWA

Paroisse du Sacré-Cœur, le dimanche 30 octobre 2022

Textes : Ac 4, 13-20 ; Jn 12, 20-26

« En vérité, en vérité, je vous le dis : Si le grain tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit » (Jn 12, 24). Si nous considérons le Mzee Christophe Munzihirwa comme ce grain tombé en terre et qui est mort, nous pouvons nous poser la question de savoir, 26 ans après sa mort – que dis-je après son assassinat parce qu’il n’est pas mort de sa belle mort, après une longue vie ou après un temps de maladie mais plutôt assassiné – donc 26 ans après son assasinat, quel est le fruit qu’il a porté. En effet, 26 ans après, nous avons toujours la guerre qu’il a voulu nous éviter. 26 ans après, il n’y a toujours pas plus de justice ni de paix au Congo et dans la Région des Grands Lacs, valeurs pour lesquelles il a accepté d’être assassiné. 26 ans après, il n’y a toujours pas plus de vérité ni de liberté ; bien au contraire, nous vivons dans le mensonge et dans l’asservissement, dans l’esclavage, esclaves de l’avoir, du pouvoir et de la gloire. 26 ans après, il n’y a toujours pas plus d’amour entre nous les Congolais ni entre nous les Africains, bien au contraire, nous vivons dans l’égoïsme, dans la cupidité, dans l’orgueil, dans la vengeance et la haine, dans la division. On serait vraiment tenté de croire et de dire que Christophe Munzihirwa est mort pour rien. 

Au regard du spectacle que nous offre le monde d’aujourd’hui, ne pourrait-on pas en dire autant de Jésus-Christ, celui dont Mzee Christophe Munzihirwa a voulu être le parfait disciple, le vrai compagnon ? En effet, ne pourrons-nous pas dire que, 3000 ans après sa mort, le monde n’a pas beaucoup changé, n’a pas beaucoup évolué ? Les mêmes injustices, les mêmes guerres de prédation, la même cupidité, le même égoïsme, les mêmes divisions continuent à faire rage dans la vie des hommes et des sociétés. 

En 2012, il y a donc de cela dix ans, un prêtre combonien, le Père Tonino Falaguasta, a écrit un livre sur Monseigneur Christophe Munzihirwa, dont le titre évocateur et provocateur, était : « Mgr Munzihirwa, évêque et martyr du Congo ». Ce livre venait s’ajouter à tant d’autres qui étaient déjà publiés avant le sien. 

Le Père Tonino m’a demandé d’écrire la postface de son livre. En préparant la célébration eucharistique d’aujourd’hui, j’ai cherché ce texte que j’avais intitulé : « Monseigneur Christophe Munzihirwa : Saint maintenant ». Ce texte, pour moi, reste d’actualité. C’est pourquoi, je m’en vais vous partager le contenu revu corrigé et augmenté. 

« J’ai eu la chance et la joie de rencontrer et d’écouter pour la première fois le Père Christophe MUNZIHIRWA s.j.  lorsque je terminais mes études secondaires au Collège
Albert Ier devenu Collège Boboto. Le Père Christophe s.j. m’a prêché la retraite de fin
des humanités. Et c’est au terme de cette retraite que j’ai confirmé ma décision de
devenir prêtre, une aspiration de mon enfance. Par la suite, étant à l’Université de Kinshasa, j’ai eu l’occasion de participer aux eucharisties dominicales célébrées par le
Père Christophe et d’apprécier ses homélies aussi profondes qu’interpellantes.   
Ce qui m’a frappé dans la vie du Père Christophe, le Mzee comme on n’aimait bien
l’appeler affectueusement, c’est d’abord et avant tout sa simplicité et sa sérénité. Une grande simplicité qui a fait que même devenu Evêque, il ne cherchait pas à paraître avec
tous les insignes du pouvoir épiscopal et les honneurs dus à son rang ; mais, il était tout simplement lui. Simple dans son habillement. Simple dans tout son comportement, dans ses contacts avec les autres. Tellement simple qu’on n’arrivait pas toujours à retrouver en lui le « Prince de l’Eglise qu’il était ». Un jour, une religieuse qui ne le connaissait pas l’avait pris pour le réceptionniste ou le portier de la communauté où il résidait. Tellement simple qu’à l’aéroport, lorsqu’il voyageait, il faisait ses formalités seul comme n’importe quel citoyen ; il n’allait pas au salon d’honneur, au salon VIP mais, il restait avec tout le monde à la salle d’attente commune.  C’était un homme calme et serein.  Homme serein, il n’était pas agité. Il ne paniquait devant les situations dangereuses et menaçantes.  Autre chose qui m’a aussi marqué, c’est la profondeur et la pertinence de ces enseignements. Il devait certes cette profondeur à une vie de prière assidue mais aussi à une vie intellectuelle confirmée. La chapelle et la bibliothèque étaient les lieux de prédilection du Père Christophe.   Lorsqu’il enseignait, lorsqu’il prêchait, Il allait droit au but. Il ne mâchait pas ses mots. Il avait un discours incisif et direct. Il appelait le chat par son nom. Dénoncer les injustices,
interpeller les consciences endormies des dirigeants du pays et du monde, c’était une
marque déposée de Mgr Christophe Munzihirwa.  Enfin, ce qui m’a impressionné dans la vie de Mzee Christophe, c’est son courage prophétique qui l’a conduit jusqu’à la mort.  Le jour des funérailles du Pape Jean-Paul II, le peuple s’est écrié unanimement : « Santo Subito » ce qui signifie : « Saint, maintenant ! ». Le peuple, au regard de ce qu’a été cet homme de Dieu et de ce qu’il a accompli durant son ministère pontifical, a demandé que l’Eglise le canonise sans procès, immédiatement. Et effectivement, sans trop attendre, le Pape Jean-Paul II a été béatifié. 
Après avoir connu personnellement Mgr Christophe Munzihirwa et au terme de la lecture de ce beau témoignage que lui rend le Père Tonino à travers ce livre, je peux dire
que Mzee Christophe est un vrai martyr et mérite d’être proclamé « Saint martyr de
l’Eglise ». Et à ce titre, il peut être proposé comme un modèle non seulement pour les
chrétiens de la RDC mais aussi pour ceux de l’Afrique et du Monde.  Pourquoi faire de Munzihirwa un saint martyr ? Pour la simple raison qu’il a été
assassiné pour la justice de Dieu qui est une justice-miséricorde qui détruit le mal et
sauve le malfaiteur, pour la paix de Jésus-Christ qui est amour, justice et vérité, pour
l’amour à la manière de Jésus-Christ qui est un amour en acte qui se conjugue avec trois verbes : donner, se donner et pardonner, pour la vérité qui est Jésus-Christ et qui, seul,
nous libère du péché sous toutes ses formes, pour la liberté qui nous pousse à faire le bien sans entraves. Il a accepté d’être assassiné pour ces valeurs évangéliques fondamentales, les valeurs du Royaume de Dieu. Oui, Mgr Munzihirwa est effectivement un martyr au sens fort du terme c’est-à-dire témoin de l’Evangile de JésusChrist jusqu’à la mort. A la suite de Jésus-Christ, son divin maître, Munzihirwa n’a pas hésité à donner sa vie pour ceux qu’il aimait. Et ceux qu’il aimait ce n’était pas seulement les Zaïrois-Congolais mais aussi les Rwandais, les Ougandais, les Angolais, tous les Africains et tous les humains sans exclusive, un amour sans frontière.   Le jour où il a été assassiné, ses confrères lui ont demandé de ne pas sortir, de ne pas se rendre à la réunion qu’il devait présider sur le développement de son diocèse. Ils l’ont averti : « On cherche à te tuer. Si tu sors, ils ne te louperont pas ». Il a refusé d’écouter la voix de la sagesse humaine, la sagesse de ses confrères. Il est sorti. Et ce qui devait arriver, est arrivé. Mais, cela avait déjà commencé à Kinshasa. Alors que la situation se gâtait à Bukavu, il était à Kinshasa revenant d’un voyage. Un confrère de Bukavu que d’aucun parmi a connu, l’abbé Richard Mugaruka, lui a dit : « Monseigneur ne part pas à Bukavu. Ils vont te tuer ». Il a répondu en disant : je dois y aller car je suis pasteur et un bon pasteur donne sa vie pour ses brebis. Je dois être au milieu de mes brebis et les
protéger ». Et, courageusement, il est allé vers sa mort comme Jésus qui avait pris le
chemin de Jérusalem en sachant ce qui l’attendait là-bas.   Nous avons connu la béatification de Sœur Anuarite Marie-Clémentine pour sa fidélité à ses vœux de religion. Nous avons eu la béatification de Bakanja Isidore pour son attachement indéfectible à la foi catholique jusqu’à la mort. Il est temps que nous puissions avoir un Saint Martyr qui a été assassiné pour la justice et la paix. 
Munzihirwa, le Mzee, le Vieux sage, nous prions pour que l’Eglise ne tarde plus à te proclamer Saint Martyr. D’ores et déjà, nous te considérons comme tel et nous te prions
d’intercéder pour tous tes frères et sœurs congolais et africains, et en particulier pour
tous les Evêques congolais et africains,  afin que nous tous, sans exception, nous nous
engagions résolument dans le combat pour plus de justice et de paix dans la Région des Grands Lacs, en Afrique et dans le monde. Ainsi, nous accomplirons les paroles du
Synode des Evêques de 1971 qui disaient : « Le combat pour la justice et la participation à la
transformation du monde nous appariassent pleinement comme une dimension constitutive de la prédication de l’Evangile qui est la mission de l’Eglise pour la rédemption de l’humanité et sa
libération de toute situation oppressive » (Justice dans le monde, n° 7). Et les Evêques
ajoutent : « Si le message chrétien d’amour et de justice ne se réalise pas, en effet, dans l’action
pour la justice dans le monde, il paraîtra difficilement crédible à l’homme d’aujourd’hui »
(Justice dans le monde, n°18). Munzihirwa Christophe : « Santo subito ! » Que notre vœu soit entendu par les autorités de l’Eglise en RDC et à Rome afin que la
cause de canonisation du Mzee Christophe Munzihirwa aboutisse ! » 

Avant de venir à cette messe, le Mzee Christophe Munzihirwa m’a parlé et a réagi à mon texte. Il m’a dit ceci : 

« José, c’est bien beau de demander ma béatification et ma canonisation. Je sais qu’il y a des confrères qui s’investissent pour obtenir cette canonisation et qui sont prêts à payer le prix pour cela, car une canonisation a un prix, ce n’est pas gratuit. Mais ce n’est pas cela que je vous demande. Je connais l’histoire du monde et je sais comment ça fonctionne. Ils vous tuent et, après, ils vous proclament héros. Il est préférable d’avoir un héros mort qu’un héros vivant parce qu’un héros mort ne dérange personne. C’est bien beau d’organiser des célébrations pour commémorer ma mort. Je vous comprends, cela fait partie des habitudes, des traditions culturelles. Je ne vous empêche pas de le faire. Mais ce n’est pas cela que je vous demande. La meilleure façon de me rendre hommage, c’est d’essayer de vivre comme moi j’ai vécu. Imitez-moi dans la mesure où j’ai essayé d’imiter Jésus-Christ, notre divin Maître. Vivez dans la simplicité, dans le détachement vis-à-vis des biens matériels, de l’argent, ce Dieu-Mammon qui a conquis les cœurs de beaucoup d’hommes et qui est à la base de toutes les guerres que le monde connait y compris la guerre de l’Est dans notre pays. J’ai exercé le pouvoir comme Evêque dans l’Eglise à la manière de JésusChrist en me considérant comme le serviteur de tous et le frère de tous. Efforcez-vous d’exercer le pouvoir non pas avec le ventre, pouvoir de prédation, mais avec la tête c’est-à-dire avec la raison et l’intelligence, et avec le cœur c’est-à-dire avec l’amour ! Engagez-vous jusqu’à en mourir pour la justice et la paix, pour la vérité et pour la liberté, pour l’amour et la fraternité sans frontières ! Engagez-vous à bâtir ensemble un nouveau monde fondé sur le primat de l’Etre et non sur celui de l’Avoir ! Voilà ce que je vous demande et ce que j’attends de vous ! Aux membres de la Fraternité Christophe Munzihirwa et à tous ceux qui pensent encore à moi ou qui se réclament être mes fils et filles, je pose une question : êtes-vous à accepter de mourir pour les valeurs évangéliques, les valeurs du Royaume de Dieu ? Cette mort, personne n’en veut, personne n’est capable de l’accepter. Elle est une grâce, une grâce que vous devez demander au Seigneur. Avant même de la demander, il vous l’a déjà donnée. Ouvrez vos cœurs pour la recevoir et laissez-vous guider par son Esprit pour la mettre en œuvre ! »

Toi et moi, sommes-nous prêts comme Munzihirwa à accepter d’être assassiné pour la vérité ? Les premiers chrétiens nous donnent l’exemple de ce courage prophétique exprimé par Pierre en réaction à l’interdiction qui leur était faite par les autorités politiques de ce temps, de continuer à parler de Jésus-Christ. « Non possumus non loqui » (Ac 4, 20), a dit Saint Pierre. Ce qui signifie : nous ne pouvons pas ne pas parler. Eh bien, moi, je voudrais que nous soyons capables de dire : nous ne pouvons pas ne pas agir, nous ne pouvons pas ne pas poser des actes de vérité, de liberté, de justice et de paix, des gestes d’amour ! Alors, agissons « car ce ne sont pas ceux qui disent Seigneur, Seigneur qui entreront dans le Royaume des Cieux mais ceux qui font la volonté de mon Père qui est dans les Cieux » (Mt 7, 21) Amen ! 

Fait à Kinshasa, le 30 octobre 2022

Abbé José MPUNDU

Prêtre de l’archidiocèse de Kinshasa

Tél. : +243997030932/+243818133765/+243856467887

E-mail : jpmpundu@gmail.com

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