Congo Hold-up : Pascal Kinduelo, initiateur de la Société Sud Oil

Pascal Kinduelo, PCA de Sud Oil

Lorsque la BGFI a ouvert une filiale en RDC en 2010, elle s’est tout naturellement alliée au président Kabila. Sa sœur Gloria Mteyu, styliste de mode et organisatrice de la Kinshasa Fashion Week, a reçu gratuitement 40% du capital de la banque. En 2012, Francis Selemani, frère adoptif du président, est devenu directeur général de BGFI RDC.

Un an plus tard, Francis Selemani et Gloria Mteyu ont racheté une société boîte aux lettres installée dans un ancien garage de Kinshasa : Sud Oil.

Ils contrôlaient donc à la fois la société-écran et la banque, où la fine fleur des institutions et entreprises publiques congolaises a ouvert des comptes. C’est ainsi que le frère de Joseph Kabila a pu se livrer à un véritable pillage des caisses de l’État.

Les documents « Congo hold-up » montrent que Sud

Oil et ses sociétés satellites ont encaissé, à elles seules, plus de 150 millions de dollars, dont 28 millions de cash et 92 millions d’argent public sur leurs comptes à la BGFI.

Pour y parvenir, il a fallu l’aide d’une autre banque, et pas n’importe laquelle : la Banque centrale du Congo (BCC). En avril 2013, quelques mois avant le début de l’opération Sud Oil, Joseph Kabila y a installé comme gouverneur l’économiste Deogratias Mutombo. Sous sa direction, la BCC va devenir la principale pourvoyeuse de fonds de la famille présidentielle.

Sud Oil a également servi de véhicule à la corruption du régime : elle a reçu plus de 10 millions de dollars de pots-de-vin d’entreprises étrangères, comme nous le révélerons lors des prochains volets de notre enquête.

Sa principale activité semblait être le détournement de fonds publics. Sud Oil a prélevé une sorte de « taxe Kabila » auprès de plusieurs institutions et entreprises publiques congolaises, dont la Banque centrale (50 millions de dollars), l’entreprise minière nationale Gecamines (20 millions), le Fonds national d’entretien routier, la Société nationale des transports et des ports, l’Assemblée nationale, la Commission nationale électorale indépendante. Sud Oil a même encaissé l’argent de l’ONU destiné à payer les Casques bleus congolais déployés en Centrafrique.

Pendant toutes ces années, le clan Kabila semblait considérer l’État comme un distributeur de billets. La majorité de l’argent touché par Sud Oil a été retirée en liquide, à hauteur de 80 millions de dollars, alors que la loi congolaise interdit tout retrait d’espèces supérieur à 10 000 dollars.

Les documents « Congo hold-up » montrent que Francis Selemani, frère de Joseph Kabila et patron de la BGFI, a personnellement reçu au moins 12 millions de dollars de Sud Oil, utilisés notamment pour acheter des biens immobiliers en Afrique du Sud et aux ÉtatsUnis.

Les fonds détournés semblent également avoir profité au duo d’hommes d’affaires Alain Wan et Marc Piedbœuf, très proches de Joseph Kabila et qui contrôlent un empire économique en RDC.

Le 25 mai 2016, Marc Piedbœuf a retiré 640  000 dollars en liquide sur le compte de Sud Oil à la BGFI, grâce à un chèque émis par la société en sa faveur. Le 26 juin 2016, André Wan, fils d’Alain, a retiré 1,1 million de dollars en cash de la même manière.

Alain Wan et Marc Piedbœuf ont refusé de nous répondre, estimant que nos informations sont « pour la plupart mensongères » et notre démarche motivée par l’« intention manifeste de nuire ». Le 3 novembre, avant même la publication de cet article, leur avocat a déposé plainte pour« dénonciation calomnieuse »contre plusieurs collaborateurs de Mediapart et de nos partenaires De Standaard et PPLAAF, auprès d’un procureur général de Kinshasa, lui demandant de «diligenter une commission rogatoire auprès des juridictions belge et française vu qu’il y a péril en la demeure ».

Nous nous sommes heurtés, à la fin de notre enquête, à un mur du silence. Joseph Kabila, Francis Selemani, Gloria Mteyu, la BGFI et la Banque centrale du Congo n’ont pas répondu à nos questions, tout comme la majorité des protagonistes de cette affaire (lire notre Boîte noire).

La saga Sud Oil commence en 2011, avec sa création par Pascal Kinduelo, influent homme d’affaires très proche de Joseph Kabila, qui préside le conseil d’administration de la BGFI RDC. Cette société de distribution pétrolière, dotée d’un compte à la BGFI, devient inactive dès 2012, après avoir revendu ses stations-service.

À l’été 2013, Kinduelo transfère 80 % du capital de Sud Oil à Aneth Lutale, épouse de Francis Selemani, frère de Joseph Kabila et directeur général de la BGFI RDC ; et 20 % des parts à Gloria Mteyu, sœur du président de la République et actionnaire à 40 % de la banque. La collusion avec la BGFI est totale. Le conflit d’intérêts aussi.

Les documents « Congo hold-up » montrent que c’est Selemani qui contrôlait effectivement Sud Oil, via son fidèle et discret collaborateur tanzanien David Ezekiel, bombardé gérant de la société. Il va retirer, à lui tout seul, près de 53 millions de dollars en liquide des comptes de la Sud Oil entre 2013 et 2018.

Nos documents montrent qu’il a, en parallèle, retiré 250 000 dollars d’une autre société appartenant personnellement au président Joseph Kabila.

Interrogé, David Ezekiel n’a pas donné suite.

À l’automne 2013, Sud Oil lance sa première opération : l’achat de l’ancien immeuble d’ATC, un concessionnaire automobile appartenant à Philippe de Moerloose, riche homme d’affaires belge proche de Joseph Kabila, qui l’avait acheté deux ans plus tôt à son propre groupe. L’ensemble immobilier est situé au 43 avenue Tombalbaye à Gombe, quartier le plus chic de Kinshasa.

Plusieurs courriels montrent que Francis Selemani semble négocier la vente avec Philippe de Moerloose pour le compte de Sud Oil, alors qu’il n’a officiellement aucune fonction dans la société. « Cher Francis […], sois sûr que nous allons conclure ce deal et que je n’ai aucun problème, parce que je te fais confiance. C’est le plus important », lui écrit l’homme d’affaires belge le 14 octobre 2013.

Moerloose réclame 12 millions de dollars, à payer sur son compte suisse à la banque UBS de Genève : 5 millions tout de suite et le solde échelonné sur un an. Sud Oil n’a pourtant, à ce moment-là, qu’un peu plus de 100 000 dollars sur son compte. Mais pour Francis Selemani, frère du président de la République, ce n’est pas un problème.

Le 25 novembre 2013, jour de la vente, la Banque centrale du Congo vire 5,5 millions de dollars sur le compte de Sud Oil à la BGFI (notre document cidessous). Les 7 millions restants sont financés par une garantie bancaire octroyée par la filiale française de la BGFI, sous forme de douze traites mensuelles que Sud Oil doit rembourser. La société a scrupuleusement honoré ses engagements, grâce à de mystérieux dépôts d’argent liquide effectués avant chaque échéance.

Philippe de Moerloose nous a répondu que ses « échanges avec M. Selemani concernaient » uniquement la « garantie de paiement » octroyée par la BGFI « et non pas la transaction immobilière ». Il ajoute avoir « à l’époque exigé une copie du registre des actionnaires » de Sud Oil, et que le document qui lui a été présenté « ne renseignait aucun membre de la famille Kabila ».

Début 2014, Sud Oil déménage son siège social dans l’ancien garage racheté à Moerloose. Selon plusieurs témoins, la société n’avait aucun salarié sur place, pas même un bureau pour son gérant David Ezekiel, l’homme de main de Selemani. « Il venait de temps en temps, mais pour régler les affaires et les problèmes liés à l’immeuble », indique l’un de nos témoins.

Officiellement, Sud Oil est toujours une société pétrolière, mais nous n’avons pas trouvé de trace de son activité dans ce domaine. L’entreprise n’est pas enregistrée comme contribuable auprès du ministère des finances et ne paye donc aucun impôt.

Bref, Sud Oil est une société fantôme. Une machine à cash au service de la famille Kabila.

L’une des rares activités économiques de Sud Oil semble avoir été menée… avec la BGFI. En avril 2014, elle loue une partie du garage qui lui sert de siège social à la banque, pour y entreposer ses archives. Sud Oil et l’une de ses sociétés satellites vont par la suite louer trois autres biens immobiliers à la BGFI et encaisser au total 784000 dollars de loyers.

La BGFI a aussi versé à Sud Oil 934 000 dollars pour acheter des voitures de fonction, dont 145 000 dollars pour celles du directeur général Francis Selemani et du président du conseil Pascal Kinduelo – somme énorme pour seulement deux véhicules. Or, nous n’avons trouvé que 276000 dollars de paiements libellés comme des achats de voitures dans les relevés bancaires de Sud Oil.

En cette année 2014, la grande affaire de Francis Selemani est Kwanza Capital, une nouvelle société détenue à 80 % par Pascal Kinduelo et à 20 % par Sud Oil. Mais elle est en réalité contrôlée par le patron de la BGFI. Avec à la clé un nouveau conflit d’intérêts, puisque Kwanza est une société concurrente de la banque.

Comme l’a déjà révélé dans un rapport l’ONG The Sentry, partenaire du projet « Congo hold-up », Kwanza Capital était la banque d’investissement secrète de la famille Kabila. Elle a obtenu de la Banque centrale le statut d’« institution financière spécialisée », jusqu’ici réservé à une poignée d’institutions publiques.

Sud Oil a financé Kwanza à hauteur de 23 millions de dollars, en grande partie grâce à de l’argent public détourné. La première opération sur le compte de Kwanza à la BGFI, le 27 août 2014, est un virement de 5 millions de Sud Oil, financé grâce à un transfert du même montant effectué le même jour par… la Banque centrale du Congo.

Kwanza a ainsi pu se lancer dans les prêts d’argent, auprès de sociétés d’État ou contrôlées par des proches du président Kabila. Kwanza a prêté 24 millions de dollars à la SCTP, entreprise publique chargée des ports et du transport fluvial, pour un profit de 1,3 million. Le second prêt a été octroyé à MW Afritec, une entreprise de BTP contrôlée par le duo d’hommes d’affaires Alain Wan et Marc Piedbœuf, pour un profit de 381 000 dollars.

Kwanza semble aussi avoir servi de blanchisseuse. Le 19 novembre 2014, Sud Oil reçoit 3 millions de dollars de la société Égal, gérée notamment par Wan et Piedbœuf, qui les a obtenus de la Banque centrale. Le même jour, Sud Oil transfère les fonds sur le compte de Kwanza, où l’argent est retiré en liquide.

Kwanza a aussi tenté, finalement sans succès, de racheter deux banques congolaises : la BIAC et la BCDC, cette dernière étant contrôlée à l’époque par le célèbre milliardaire belge George Forrest, très actif en RDC.

Le projet était pour le moins sulfureux : permettre à la famille du président Kabila de posséder une banque, en plus de la gestion de fait qu’elle exerçait déjà sur la BGFI RDC, aurait représenté un risque élevé de fraude et de blanchiment.

Malgré cela, Kwanza Capital a reçu le soutien, dans sa tentative de rachat de la BCDC, du prestigieux cabinet d’avocats d’affaires parisien Orrick Rambaud Martel, dirigé à l’époque par l’avocat franco-togolais Pascal Agboyibor, très introduit en RDC.

Comme l’a révélé l’ONG The Sentry, Agboyibor a directement participé aux négociations au sujet de la BCDC pour le compte de la famille Kabila. Et Kwanza a, selon les documents «Congo hold-up», versé 698#469 dollars d’honoraires à Orrick Rambaud Martel. Interrogés, le cabinet et Pascal Agboyibor n’ont pas répondu.

À la suite de ces échecs, Francis Selemani a aussi tenté de lancer une vraie banque. La société, baptisée Alliance Bank et détenue à 80 % par Kwanza, n’a jamais pu démarrer. Elle avait besoin de banques dites « correspondantes », qui effectuent pour son compte les opérations en dollars. Mais aucun établissement étranger n’a accepté de jouer ce rôle pour la banque de la famille Kabila.

L’histoire de Sud Oil a basculé en 2015, en même temps que celle du pays. La fin du second mandat de Joseph Kabila approche et la Constitution lui interdit d’en briguer un troisième. Le président doit partir après les élections prévues en décembre 2016.

Mais en janvier 2015, il fait examiner par le Parlement un projet de loi visant à repousser le scrutin. L’initiative, interprétée comme la volonté de Kabila de se maintenir illégalement au pouvoir, provoque des manifestations, réprimées dans le sang par le régime, avec plus de 40 morts le premier jour, rien qu’à Kinshasa. La crise dure plus d’un an, jusqu’à la signature d’un accord politique en décembre 2016 sur les élections – que Kabila a réussi à repousser jusqu’en décembre 2018.

C’est pendant ces deux années de crise politique, en 2015 et 2016, que Sud Oil a reçu le plus d’argent public : 66 millions de dollars, plus de 70% des sommes qu’elle a détournées des caisses de l’État. Le clan Kabila semble avoir voulu s’enrichir au plus vite, de peur que le président ne soit obligé de quitter le pouvoir fin 2016, comme le prévoyait la Constitution.

Pour remplir les caisses de Sud Oil, Francis Selemani, patron de la BGFI, a fait appel à toute l’ingéniosité de ses banquiers. À tel point qu’il est parfois difficile de savoir si les institutions publiques qui ont financé la société étaient consentantes.

Mediapart

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Verified by MonsterInsights