L’hymne national du Congo belge

Le Congo encore colonie belge avait-t-il un hymne national ? Qu’en était-il pour les autres colonies et protectorats en Afrique ? Ces questions semblent saugrenues mais elles valent la peine d’être posées. Aussi surprenante que cela puisse paraître, le Congo au tout début de sa colonisation a obtenu du colon non seulement un drapeau mais aussi et surtout un hymne dit national. Son nom : « Vers l’avenir » (« Naar wijd en zijd » en néerlandais). Il est l’œuvre de deux flamands choisis par la Section artistique de la Commission nationale des fêtes pour composer une marche jubilaire. Les paroles sont dues à la plume du poète Gentil Theodoor Antheunis tandis que la musique est l’œuvre du compositeur François-Auguste Gevaert. Le poème est écrit en 1905 en deux versions, française et flamande. Il est ensuite adopté comme chant national du Congo devenu belge en 1908, l’année où Léopold II cède sa propriété personnelle congolaise à la Belgique. Cependant, l’écriture de ce texte semble un acte prémédité. Dans le livre intitulé « Le Jubilé national de 1905 » écrit par Th. Rouvez dans lequel sont condensés les comptes-rendus de toutes les cérémonies jubilaires, « Vers l’avenir » est présenté sous le titre « L’Expansion belge, Chant national ». Ce premier terme désignant la politique d’une nation visant à étendre sa souveraineté et son influence hors de ses frontières, n’explique-t-il pas le choix non avoué de cette chanson aux expressions impérialistes comme l’hymne de leur unique colonie africaine de l’époque ? Dans ce poème chanté, l’auteur a dissimulé des vers aux visées foncièrement expansionnistes qui entérinent la colonisation déjà en marche au Congo depuis 1885 :

« Si ta force déborde et franchit ses niveaux »

« Verse-la comme un fleuve en des mondes nouveaux »

(…)

« Et loin ou près, sauront leurs fils pieux »

« Honorer, élargir la patrie »

(…)

« Va sans faiblir, peuple énergique »

« Vers des destins dignes de toi »

Dans ce même ordre d’idée, Léopold II dans l’allocution prononcée lors de la pose de la première pierre du futur Musée de l’Afrique centrale à Tervuren, s’adressa à son peuple en des termes très clairs : « Notre territoire en Europe est d’étendue restreinte. Pour vivre et prospérer, la Belgique doit s’efforcer de participer, dans les limites de son modeste rôle, à ce remarquable mouvement mondial qui, de nos jours, s’affirme et s’impose de plus en plus impérieusement. Semblable tentative est difficile, surtout pour un pays à frontières étroites et sans marine; il ne peut espérer y réussir qu’en s’attachant à élever le niveau de culture intellectuelle et de formation professionnelle de ceux de ses nationaux qui se destinent aux carrières mondiales.»

A l’origine, « Vers l’avenir » même s’il fait allusion à un certain expansionnisme belge n’est officiellement ni destiné pour le Congo ni conçu pour le Congo. C’est un poème en vers rimé de trois strophes écrit dans des circonstances bien particulières. En 1905, le royaume de Belgique célèbre un double anniversaire : les 75 ans de la proclamation de son indépendance nationale en 1830 qui l’a affranchi de la tutelle néerlandaise et les quarante ans de règne de Léopold II. Pendant plusieurs mois, soit du 27 avril au 30 octobre, des fêtes et des cérémonies grandioses ont lieu dans les villes et communes du pays. Dans la foulée de cette célébration, plusieurs médailles et plaquettes sont frappées. Parmi les souvenirs numismatiques des fêtes jubilaires de 1905, le Congo, « création toute personnelle » selon la couronne et encore propriété privée du souverain, est doublement honoré. D’abord, une plaquette est dédiée aux vingt ans de la création de l’Etat Indépendant du Congo (1885-1905). On n’y voit côté face, une allégorie qui sous les traits d’une femme drapée et couronnée vante l’action salvatrice (!) de la royauté belge en Afrique. Ensuite, la première pierre d’un Institut colonial, devenu depuis 1960 le Musée royal de l’Afrique centrale, est posée au parc de Tervuren le 2 juillet en présence du roi-souverain. Érigé sur les plans de l’architecte parisien Charles Girault, cette vitrine est en réalité un outil de propagande pour le projet colonial de Léopold Il qui est en quête d’investisseurs. C’est à cette occasion que « Vers l’avenir » est exécuté pour la première fois. Il est ensuite entonné lors de la grande Fête patriotique du 21 juillet. Dans les années 30, la mélodie est récupérée par le Front populaire de Rex qui en fait son chant patriotique. Ce parti d’extrême droite, nationaliste et antibolchévique proche du fascisme italien, a pactisé avec le nazisme à partir de 1941. Si l’EIC a hérité de Léopold II un drapeau bleu dominé par une étoile dorée, la Belgique suivant cette même logique expansionniste lui a octroyé un hymne inapproprié et dépourvu des réalités congolaises mais marqué du sceau de l’impérialisme inavoué du colonisateur.

Selon le site Publictionnaire, « l’hymne national véhicule l’identité du pays et contribue à éveiller et à entretenir le sentiment d’appartenance. il fait figure de signature sonore d’un État, le personnifie, l’unifie. Il matérialise la communion des citoyens. Les paroles doivent célébrer l’unité et la cohésion  de la Nation ». L’actuel hymne de la RDC l’affirme dès le titre, « Debout Congolais ». « Vers l’avenir » est à l’opposé de ce paradigme. Le texte ne mentionne aucunement le Congo mais plutôt la Belgique qualifiée même de « terre sainte », fait allusion au monarque pour qui la protection divine est sollicitée. Imposé à la colonie, les Congolais entonnent un hymne qui n’a rien avoir avec eux, qui ne rime pas avec leurs aspirations, leur culture, leur histoire, leur identité et leurs idéaux. N’étant pas le témoin historique de l’émergence du Congo indépendant, ce chant qui pour le peuple congolais n’est ni patriotique ni identitaire, ne le représente pas. A l’instar du drapeau léopoldien, « Vers l’avenir » est un hymne colonial.

Devenu belge le 15 novembre 1908 et considéré désormais comme la Belgique d’Afrique, le Congo a son propre hymne. Il est probablement, la seule colonie au monde à avoir eu un chant solennel en son honneur mais malheureusement écrit dans des termes irréalistes. Sa création n’est pourtant pas concomitante à l’édification du Congo indépendant. « Vers l’avenir » a été exécuté dans tous les événements officiels (culturels, sportifs, politiques) au Congo belge de 1908 au 29 juin 1960. Notons qu’en Belgique, les communautés wallonne et flamande ont chacune leur propre hymne, « Vlaamse Leeuw » (Le Lion des Flandres) pour la région flamande et « Le Chant des Wallons » pour la région wallonne. La communauté germanique n’en a pas.

Samuel Malonga

 

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