Le profil des leaders et un projet collectif pour bâtir un Autre Congo( Tribune de l’Abbé José Mpundu)

José MPUNDU

Prêtre et psychologue clinicien

Introduction

La crise qui secoue la RDC depuis des années est essentiellement une crise anthropologique, une crise de l’homme congolais qui a perdu ses repères en humanité. Cette crise concerne tous les congolais du sommet à la base de la société. C’est l’homme congolais qui doit être recréé, reformaté. 

Mais, comme le « poisson pourrit par la tête », selon l’adage bien connu, il nous faut reconnaître que la RDCongo souffre d’un terrible déficit de leadership. Pour reprendre l’expression de Robert Dussey, philosophe et conseiller diplomatique du Président de la République du Togo, nous dirons  que « La République Démocratique du Congo est malade de ses hommes politiques ». Il nous faut un nouveau leadership pour bâtir un nouveau Congo. Il importe donc de se pencher sur le profil des hommes et des femmes dont le Congo a besoin pour se reconstruire sur base d’un projet collectif. 

Le profil des leaders

Il nous faut passer d’un leadership de prédation à un leadership qui s’exerce par le cœur et par la raison. 

Le leadership du cœur est celui qui est fondé sur l’amour, la compassion, les qualités du cœur. Il s’agit essentiellement ici du leader qui aime les hommes et qui aime la patrie. Il s’agit d’un leader qui est prêt à donner sa vie pour ceux qu’il aime et pour la patrie. 

Le leadership de la raison est celui qui donne toute sa place à la réflexion, aux idées qui mènent le monde, à l’éthique. Il est question ici d’un leader qui fonde son action sur les valeurs morales universelles : vérité, liberté, justice et paix, concorde.  

M’inspirant du profil des dirigeants dont l’Afrique a besoin, proposé par le politologue camerounais, Samuel Eboua, dans son livre, Interrogations sur l’Afrique noire (EBOUA S., Interrogations sur l’Afrique noire, Editions L’Harmattan, Paris 1999, p. 177), je propose ce portrait-robot impersonnel des leaders dont le Congo de demain a besoin : 

« Le nouveau Congo a besoin d’hommes et de femmes d’action pénétrés de l’intérêt supérieur de l’Etat, des hommes et des femmes intègres, compétents, travailleurs, meneurs d’hommes, des hommes et des femmes tolérants, rassembleurs, mais intraitables lorsqu’il s’agit de défendre l’intérêt général, des hommes et des femmes capables de réaliser beaucoup avec peu de moyens. Il s’agit d’hommes et de femmes qui n’aiment pas le pouvoir pour le pouvoir, mais pour qui ce dernier ne constitue qu’un instrument leur permettant de réaliser leur idéal au profit de la communauté nationale, et qui sont capables de s’en dessaisir dès lors que, pour une raison ou une autre, ils estiment ne pas être en mesure de réaliser cet idéal… Ces hommes et ces femmes, bien que rares, ne sont pas complètement absents du Congo actuel. Il suffit de les dépister et de les responsabiliser ».

Ces leaders qui répondent à ce profil ne vont pas nous tomber du ciel. Il faut les créer, les former, les formater. La première école de formation de ce leadership est la famille. Si les parents congolais pouvaient correspondre à ce type de leaders au sein de nos familles congolaises, les enfants apprendront par modelage, par un apprentissage vicariant, à être ces leaders dont nous avons besoin. 

Le milieu éducatif, à savoir nos écoles, nos instituts supérieurs et universités, doit être aussi le lieu de production de ce type de leaders. Enseignants, professeurs, formateurs, tous ceux qui sont impliqués dans le travail de l’éducation des enfants et des jeunes, devraient incarner ce type de leaders pour faire passer cela chez les jeunes en formation. 

Les organisations de la société civile et les partis politiques devraient aussi s’impliquer dans ce travail de formation des leaders de demain selon le profil que nous venons de présenter.   

Si, à toutes ces qualités que nous venons de citer, nous ajoutons la sagesse, la responsabilité et la redevabilité, nous aurons donc là le profil de dirigeants politiques dont nous avons besoin pour conduire les travaux de construction d’un nouveau Congo, d’un Autre Congo. 

En parlant des hommes, nous ne pensons pas à des hommes seuls mais à des équipes d’hommes et de femmes. Il s’agit d’instituer dans le nouveau Congo un leadership d’équipe où les membres de l’équipe se complètent et s’entraident dans l’accomplissement de cette lourde tâche. 

Dans cette équipe, tout le monde n’est pas nécessairement au-devant de la scène politique. Certains membres de l’équipe sont des héros dans l’ombre. Je pense à tous ceux qui seront dans les laboratoires de réflexion et d’analyse que sont les « Think tank », dans les bureaux d’études, etc.

Le Nouveau Congo a besoin des leaders qui travaillent en équipe et qui connaissent l’histoire, la philosophie, la psychologie pour mieux juguler, avec les masses critiques formées et cultivées politiquement, la crise anthropologique qui perdure depuis des années dans notre pays. 

Paraphrasant Tcha Tcha Merlaud, je pourrais décrire de manière suivante le leadership dont la RDC a besoin : 

La RDC a besoin de leaders différents  Pour un leadership différent,  Dans un monde indifférent. 

Des leaders transformés et non reformés. 

Des leaders d’impact et non de pactes. 

Des leaders de vision et non de fiction. 

Des leaders d’actions et non de factions. 

Des leaders d’affection et non d’infection. 

Des leaders transformationnels et non positionnels.  Des leaders inspirateurs et non conspirateurs. 

Un projet collectif 

Ces leaders dont le profil est ainsi défini, se mettront au service d’un projet collectif porté par les masses populaires formées et éduquées, ayant une conscience politique aigues et engagées ensemble dans la réalisation de ce projet. 

Toutes les consultations qui ont eu lieu dans notre pays (de la Conférence Nationale Souveraine aux dernières consultations nationales en passant par le débat national et les concertations nationales) peuvent nous amener à élaborer ce projet collectif qui portera sur les aspects idéologiques, politiques, économiques et sociaux. 

En effet, à toutes ces rencontres, les congolais ont élaborés des documents dans tous les domaines, ont pris des résolutions et on fait des recommandations qui sont restées dans les tiroirs.  Ce n’est donc pas la matière qui nous manque pour élaborer un projet collectif pour le développement de notre pays. C’est plutôt la volonté politique qui nous fait défaut.   

Sur le plan idéologique, il s’agira de définir la vision commune et partagée qui sous-tendra toutes nos actions de construction d’un Autre Congo. Cette vision commune devrait être la nôtre et non une copie-conforme des idéologies imposées par les forces étrangères ou ceux qui se prennent pour les « maîtres du monde ». Il nous faut donc inventer notre vision de l’avenir du Congo, du Congo de demain. 

Le patriotisme souverainiste et le convivialisme humaniste pourront être les fondements idéologiques pour bâtir un Autre Congo, un Nouveau Congo, le Congo de demain. Le Congo de demain doit être un pays réellement souverain, un pays jouissant de toute sa liberté et de sa capacité de s’autodéterminer. Le Congo de demain devrait être un pays où l’homme retrouve sa place première dans un nouveau vivre ensemble plus fraternel. 

Sur le plan politique, il s’agira de définir ce que nous considérons comme une politique légitime. Et ici, je propose que nous puissions nous inspirer du Manifeste convivialiste qui dit ceci : 

« La seule politique légitime est celle qui s’inspire d’un principe de commune humanité, de commune socialité, d’individuation et d’opposition maîtrisée.

Principe de commune humanité : par-delà les différences de couleur de peau, de nationalité, de langue, de culture, de religion ou de richesse, de sexe ou d’orientation sexuelle, il n’y a qu’une seule humanité, qui doit être respectée en la personne de chacun de ses membres.

Principe de commune socialité : les êtres humains sont des êtres sociaux pour qui la plus grande richesse est la richesse de leurs rapports sociaux.

Principe d’individuation : dans le respect de ces deux premiers principes, la politique légitime est celle qui permet à chacun d’affirmer au mieux son individualité singulière en devenir, en développant ses capabilités, sa puissance d’être et d’agir sans nuire à celle des autres, dans la perspective d’une égale liberté.

Principe d’opposition maîtrisée : parce que chacun a vocation à manifester son individualité singulière il est naturel que les humains puissent s’opposer. Mais il ne leur est légitime de le faire qu’aussi longtemps que cela ne met pas en danger le cadre de commune socialité qui rend cette rivalité féconde et non destructrice. La politique bonne est donc celle qui permet aux êtres humains de se différencier en acceptant et en maîtrisant le conflit » (Manifeste Convivialiste. Déclaration de l’interdépendance, Editions Le Bord de l’Eau).

Il nous faudra sortir de la politique du ventre, de la politique « mangeoire » qui repose sur le principe et la pratique de la prédation. 

Il nous faudra sortir de la politique « affairiste » (« on est dans les affaires » telle est l’expression consacrée dans les milieux politiques en RDC) pour promouvoir la politique « service » du bien commun qui repose sur l’abnégation et le souci des autres. 

Un bon dirigeant politique est celui qui se met au service des autres en s’oubliant soi-même. Un bon dirigeant politique est celui qui se pose, à chaque fois, la question de savoir que gagne la RDC et non qu’est-ce que je vais gagner, personnellement. Un bon dirigeant politique est celui qui est convaincu que lorsque le pays gagne, lui gagne aussi.  

Sur le plan économique, il nous faudra sortir des modèles économiques qui ont montré leurs limites et leur incapacité à instaurer un monde plus humain. Il nous faut remettre en question les modèles venus d’ailleurs. Nous pensons ici au capitalisme libéral ou ultralibéral ou à ce qu’on appelle « économie sociale du marché ». Nous devons nous libérer de ces modèles économiques qui ont tué l’humanité en nous.  

Une économie de solidarité et partage ou une économie de communion devrait pouvoir nous inspirer d’avantage avec un mode de production en harmonie avec le respect de l’environnement, de la nature. Une économie de solidarité et partage dans un Etat qui doit jouer son rôle de régulateur pour ne pas tomber dans le libéralisme sauvage. 

Sur le plan social, il nous faudra nous laisser guider par le principe de la destination universelle des biens de la terre et permettre à tous la satisfaction des besoins fondamentaux : la connaissance (le savoir), le manger, la santé, l’habitation, etc. En fait, tout se résume par le bien-être, le bien-vivre pour tous sans exclusion. 

Nos sources d’inspiration

Nos traditions ancestrales

Pour réaliser tout cela, nous devrions nous tourner vers nos traditions ancestrales et vers d’autres continents qui ont essayé et même réussi partiellement. 

Dans nos sociétés ancestrales, le bien de tous primait sur le bien de l’individu. Lorsqu’un chasseur tuait une bête, il ne la mangeait pas tout seul dans la forêt. Il venait avec le gibier au village et partageait avec tous les habitants du village. On travaillait pour se nourrir et subvenir à ses besoins et à ceux des membres de la communauté. 

L’étranger qui passe, était reçu à table et trouvait hospitalité dans nos cases. Toutes ces valeurs de vie communautaire devraient être ressuscitées. 

Bref, nous pouvons dire que dans nos sociétés ancestrales, l’Etre primait sur l’Avoir. 

Le Chef, dans nos villages, ne mangeait jamais seul. C’est l’homme qui savait partager avec les membres de la communauté. 

Le Chef ne décidait jamais seul. Il était toujours entouré des personnes sages et avisées qui constituaient le conseil du Chef. Pour toute décision qui engageait la vie et l’avenir de la communauté, le Chef prenait l’avis de son conseil.  

Expérience de l’Amérique latine

L’expérience de certains pays de l’Amérique latine comme le Vénézuela avec Hugo Chavez, comme la Bolivie avec Evo Morales, comme le Cuba avec Che Guevara, comme le Uruguay avec José Mujica, peut constituer une source d’inspiration pas pour faire du copier-coller pour inventer nos propres chemins de libération et de développement. 

Pour prendre le cas d’Hugo Chavez, nous apprenons qu’il faut un président qui faisait un avec son peuple au point que c’est le peuple qui le remettra au pouvoir au terme d’un coup d’état orchestré par les « maîtres du monde » et qui n’aura duré que deux jours. Tout ce qu’il a fait de bien pour son peuple et avec son peuple était considéré comme des péchés par les « maîtres du monde ». 

Les sept péchés dont on accuse Hugo Chavez par les « maîtres du monde », par ceux que je qualifie de « maffia politico-financière-internationale » sont les suivants : 

1°) Le premier péché : il leur apprend à lire

2°) Le deuxième péché : chacun a droit à la santé

3°) Le troisième péché : chacun peut manger à sa faim

4°) Le quatrième péché : il change les règles entre les riches et les pauvres

5°) Le cinquième péché : la démocratie, c’est plus qu’un bulletin dans l’urne

6°) Le sixième péché : il ne se soumet pas au pouvoir des médias

7°) Le septième péché : l’homme qui tient tête aux Etats-Unis

Pour avoir les détails de ces péchés, j’invite tout congolais à lire le livre de Michel Collon : « Les 7 péchés d’Hugo Chavez », aux Editions Investig’Action.

J’invite nos dirigeants politiques à commettre les mêmes péchés qu’Hugo Chavez.  

Expérience de l’Afrique contemporaine

En Afrique, des leaders comme Julius Nyerere avec son idéologie Umoja, Kadhafi, Thomas Sankara, Patrice Lumumba, avec leur panafricanisme et leur lutte pour la souveraineté, peuvent devenir nos modèles à imiter dans la mesure où ils ont lutté pour une Afrique réellement libre, indépendante et unie. 

Il faudra certes corriger éventuellement leurs erreurs et améliorer leur pratique. Ils peuvent devenir nos sources d’inspiration pour mener ce combat de reconstruction de l’homme et de la société en vue d’un Autre Congo et d’une Autre Afrique.

Notre force : la cohésion nationale

Pour relever le défi de la création d’un Autre Congo, d’un Nouveau Congo,  notre force viendra de la cohésion nationale. D’où, il nous faut dès maintenant œuvrer dans le sens d’une réconciliation nationale dans la justice et la vérité

« L’union fait la force » dit l’adage. Notre faiblesse est dans notre division. Et ce qui nous divise c’est essentiellement la course à l’avoir, au valoir et au pouvoir lorsque ceux-ci sont recherchés non pas pour le bien commun mais pour la jouissance individuelle et égoïste.

Les deux grands ennemis contre lesquels nous devons nous battre ici sont le tribalisme et la corruption. 

Les tribus et les ethnies constituent une richesse culturelle pour notre pays. Mais, elles deviennent un poison qui tue lorsqu’elles tournent au tribalisme et à l’ethnisme. Notre leit-motiv ici devrait s’exprimer en ces termes : Tribu oui, mais tribalisme non ! Ethnie oui, mais ethnisme non ! 

La corruption a comme mère la cupidité qui ronge le cœur de l’homme. Elle tue la société congolaise. Nous devons l’éradiquer par une éducation à la bonne gestion des biens de la terre et surtout par l’apprentissage, dès le bas âge, d’une bonne relation avec l’argent qui est un moyen et non une fin. Apprendre, dès le plus jeune âge, à gagner l’argent honnêtement et à utiliser l’argent pour le bien de tous et non seulement pour la jouissance égoïste, telle est la meilleure stratégie pour éradiquer la corruption du cœur de l’homme.    

En guise de conclusion : Réconcilions-nous maintenant et changeons de mentalité ! 

J’invite donc à la réconciliation avec nous-mêmes, avec les autres, avec Dieu et avec la nature. Réconcilions-nous avec les vraies valeurs de la vie que sont l’Amour, la Justice, la Vérité, la Liberté, la Fraternité sans frontière, la Miséricorde, le Pardon, la Paix, la Solidarité et le Partage, la Responsabilité et la Redevabilité. 

Je vois un avenir radieux pour le Congo notre mère patrie. Mais, cet avenir nous devons l’inventer ensemble sans discrimination aucune, sans exclusion de personne. 

Cet avenir nous ne pouvons l’inventer qu’à condition que chaque fils et fille de ce pays s’engage dans la voie d’un changement qualitatif de sa propre vie et des structures de notre société. 

Pour ce faire, chacun doit commencer par faire un auto-diagnostic, une auto-analyse pour voir sa responsabilité dans le désastre qui caractérise notre pays. La prise de conscience de notre responsabilité personnelle est un passage obligé pour s’engager dans un processus de changement individuel. La question ici est la suivante : qu’est-ce que j’ai fait personnellement ou qu’est-ce que je n’ai pas fait pour que le Congo soit devenu ce qu’il est aujourd’hui avec son cortège de problèmes ?  Un changement de mentalité s’impose à tous et à toutes sans exception.   

Le débat reste ouvert pour nous conduire à la révolution culturelle, la révolution de l’amour, la révolution des cœurs pour qu’advienne un Autre Congo. 

José MPUNDU

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