Freddy Ilanga, le traducteur congolais du Che

Un pubère congolais répondant au nom de Freddy Ilanga, a passé une jeunesse particulière. La chance et le hasard de la vie lui ont permis de côtoyer l’une des figures les plus emblématiques du XXe siècle. Cette rencontre a profondément bouleversé sa vie. L’enfant-soldat a été dans le secret du séjour de Che Guevara au Congo.

Adolescent, Ilanga est brusquement arraché à la terre de ses ancêtres et emmené malgré lui dans les Caraïbes. Cette déportation est décidée par Che Guevara lui-même. A Cuba, il est confronté au dépaysement, à l’isolement, au choc des cultures. L’ado ne cache pas son amertume. Malgré une brillante carrière de chirurgien, le mal du pays le ronge infiniment. L’hypothétique retour au bercail qu’il envisage échoue faute de moyens financiers.

Si une partie de la vie de Freddy Ilanga s’est passée dans le maquis à Fizi Baraka, une autre s’est poursuivie dans les salles d’opération des hôpitaux cubains. Sa passionnante histoire faite de petits boulots, de vie dans le maquis, d’exil forcé et d’études universitaires réussies est quasiment méconnue des Congolais.

En 1965, Laurent-Désiré Kabila anime une rébellion dans le maquis de l’est congolais   à Fizi Baraka sur la rive ouest du lac Tanganyika le long de la frontière tanzanienne. En avril de la même année, le chef rebelle reçoit en renfort un contingent cubain de 120 hommes menés par Ernesto Guevara. Le Che a l’intention de déclencher la révolution africaine. La mission étant secrète, il doit pour sa sécurité passer incognito, éviter la CIA qui en aucun cas ne doit être au courant de sa présence sur le sol congolais. Comme tous ses compagnons, le guérillero reçoit le nom de code Tatu (trois en swahili). Pour communiquer avec la population locale, Le Che qui parle la langue de Molière se voit offrir les services d’un jeune congolais de 16 ans nommé Freddy Ilanga qui a d’abord été le traducteur personnel du chef d’état-major Léonard Mitudidi. A l’arrivée de l’Argentin, ce dernier donne l’ordre à l’adolescent de devenir l’interprète de l’homme à l’identité secrète. Etant à la fois son traducteur et son professeur, il est contraint de suivre comme une ombre ce blanc dont le signalement ne peut en aucun cas être révélé. L’ado est l’un des rares Congolais à connaître la vraie identité du mystérieux nouveau venu. Si la guérilla le connaît sous le nom de Freddy Ilanga, il s’appellerait en réalité Ernest Ilunga.

Au début, le jeune congolais semble se méfier de ce barbu venu de Cuba. Mais avec le temps, ils ont commencé à s’apprécier mutuellement. Freddy et Ernesto se sont encore beaucoup rapprochés après la mort accidentelle de Mitudidi par noyade dans le lac. Le Congolais et l’Argentin partagent le même grabat fait d’un brancard monté sur quatre planches et rempli de paille. Ilanga trouve en Guevara un homme blanc qui n’est ni arrogant ni distant. Le Che de son côté décrit Ilanga dans son journal intime comme « un muchacho inteligente » (un garçon intelligent). Après s’être côtoyés pendant 7 mois, le corps expéditionnaire cubain rentre à Cuba en novembre 1965 après l’échec de sa mission. Mais le révolutionnaire argentin qui a beaucoup apprécié son professeur de swahili l’emmène avec lui sans que l’intéressé ne sache pourquoi. Deux raisons ont pourtant motivé cette décision. D’abord, Le Che souhaite que Freddy Ilanga reçoive une éducation décente. Ensuite, il se préoccupe pour sa sécurité personnelle, car le jeune maquisard a vécu avec lui. L’éloigner du Congo le mettrait à l’abri de tout danger et l’empêcherait aussi de raconter au premier venu ce qu’il connaît du Che en cette période de guerre froide. Arraché brutalement à sa terre natale à l’insu de sa famille, son exil forcé commence dès son arrivée à La Havane.

 

A début, Ilanga souffre de solitude. Il a le mal du pays, pense souvent à sa famille qui lui manque et dont il ignore le sort. Il se crée alors un mécanisme de défense pour faire face à cette séparation qui est à la fois une déchirure et un déracinement. Il s’attache à la vie de l’île après avoir réalisé qu’il n’aurait probablement jamais assez d’argent pour rentrer et qu’il ne pouvait pas compter sur un quelconque soutien des autorités cubaines. Aussi décide-t-il de faire quelque chose qui n’aurait rien avoir avec la politique mais qui serait beaucoup plus humain. Quelque chose qui profiterait au  peuple. Il choisit alors le métier de son mentor. Comme le Che, il veut aussi devenir médecin. Après avoir bénéficié d’une formation gratuite à la faculté de médecine de l’université de La Havane, il devient neurochirurgien pédiatrique. Il épouse une Cubaine qui lui donne deux enfants, se met à sensibiliser la population locale à la cause africaine tout en organisant des conférences.

 

Pendant quatre décennies, Ilanga perd tout contact avec les membres de sa famille qui pensent qu’il a été tué alors qu’il était jeune guérillero dans les années 1960. En septembre 2003, une belle-sœur qui n’a pas perdu espoir arrive à le localiser lorsqu’elle entre son nom dans un moteur de recherche. Elle déniche un article du Dr Ilanga, y compris son adresse et son numéro de téléphone. Elle a ensuite collecté des sous pour le couteux appel de Cuba. Le contact est renoué entre Bukavu et La Havane. Pour la première fois depuis 40 ans, Ilanga parle avec sa mère âgée de 82 ans. Celle-ci émet le vœu de le revoir avant de mourir. Un plan est élaboré pour les retrouvailles et un retour à la maison. Il ne se réalisera malheureusement pas.

Freddy Ilanga est né à Bukavu le 8 novembre 1948. Petit vendeur des journaux, Il rejoint les rebelles qui combattent le gouvernement de Léopoldville par curiosité d’adolescent et surtout sans savoir pourquoi. Dans ses mémoires remplis d’anecdotes et de témoignages publiés sous le titre « El traductor de suajili », où il raconte son expérience avec Le Che, il écrit : « Je me suis présenté au Dr Tatu (Che) en tant que professeur de swahili et il m’a invité à m’asseoir sur des pierres à 20 mètres de sa hutte, sous un arbre feuillu, sur une petite colline au bord de la rivière Kibamba […]. Ma position était d’être, de dormir, de vivre et de mourir aux côtés de Tatu […]. C’était sérieux ; ma liberté s’épuisait et comment ; j’avais maintenant un patron, il semblait être très exigeant et d’un tempérament sec […]. Lors de ma première entrevue, je n’ai pas aimé Tatu, […] j’ai eu l’impression que c’était un blanc […] vaniteux peut-être parce qu’il venait de Cuba.» Pour son mentor, Dr Ilanga a voulu chercher des donateurs dans le monde entier afin de récolter suffisamment d’argent pour construire le phare de Tatu au cœur de l’Afrique comme symbole de la lumière que le Che et Cuba ont apporté au continent noir.

 

Le court-métrage « Freddy Ilanga, Tatu’s swahili translator » réalisé par la Sud-africaine Katrin Hansing raconte sa vie. Avec cette réalisatrice, Ilanga entrevoit son retour au Congo mais ce voyage n’est pas envisageable avec son salaire mensuel de 20 euros. La réalisatrice veut l’accompagner dans la matérialisation de son projet en réalisant un film malheureusement contrecarré par sa brutale disparition. En effet, le chirurgien du cerveau congolais qui ne s’est jamais senti réellement Cubain est décédé à La Havane des suites d’une méningite le 29 novembre 2005. Il n’a pas eu le temps de rentrer dans son Congo natal afin de réaliser son rêve, celui de revoir sa famille et surtout sa mère, Léontine Mwausi Museke.

Samuel Malonga

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