Visite ou saut-de-mouton ?  /RDC : Kabasu Babu écrit à   Anthony Blinken !

De gauche à droite : Kabasu Babu et Blinken

A en analyser   la programmation, l’étape de mon pays, la RD. Congo,  apparaît, cependant,  comme «un saut-de-mouton » en ce qu’elle prévoit un seul jour (entre les 9 et 10 août) pendant que les étapes de Pretoria et de Kigali en ont le double (les 7, 8 et 9 puis les 10, 11 et 12). Serait-ce là le reflet de votre appréciation des enjeux des Grands-Lacs ? Rien n’est moins sûr que l’incertain’’, écrit Hubert Kabasu Babu, dans une lettre ouverte adressée à Antony Blinken, Secrétaire d’Etat des USA en séjour à Kinshasa, du 9 au 10 août 2022.

Lettre ouverte Anthony Blinken, Secrétaire d’Etat des Etats-Unis

Kinshasa,  le 08 Août 2022

Monsieur le Secrétaire d’Etat,

Pour votre séjour sur le continent africain en ce mois d’août 2022, vous avez choisi trois pays présentés comme très proches de votre pays : l’Afrique du Sud, la République Démocratique du Congo et le Rwanda.

A en analyser,  cependant,  la programmation, l’étape de mon pays apparaît comme «un saut-de-mouton » en ce qu’elle prévoit un seul jour (entre les 9 et 10 août) pendant que les étapes de Pretoria et de Kigali en ont le double (les 7, 8 et 9 puis les 10, 11 et 12). Serait-ce là le reflet de votre appréciation des enjeux des Grands-Lacs ? Rien n’est moins sûr que l’incertain.

Nous constatons, nous Congolais, la coïncidence visiblement organisée entre, d’un côté, la publication du rapport secret des experts de l’Onu confirmant le soutien du Rwanda au M23 dans la surchauffe observée dans la sous-région depuis trois mois et, de l’autre, l’entame de votre séjour.

Que vous fouliez de vos pieds, le sol de nos ancêtres dans ce contexte, cela nous apaise et nous réconforte, pourvu que vous preniez à bras le corps, les deux thèmes que nous développons ici.

Monsieur Anthony Blinken,

Dans la présente lettre ouverte, nous abordons les deux thèmes qui retiennent notre attention en tant que congolais et nous en profitons pour attirer la vôtre en tant que partenaires privilégiés de notre pays. Le premier est relatif à l’hyper-militarisation de la partie orientale de la RDC ; le second,  à la liquidation en cours des acquis du Dialogue inter congolais en faveur du retour à la gouvernance du Parti-Etat.

PREMIER THEME : HYPER-MILITARISATION

Vous l’aurez noté : la réapparition du M23 a eu pour conséquence fâcheuse et déplorable d’affecter dangereusement les relations entre la Mission onusienne et la population congolaise dans son ensemble.

Pour votre gouverne, ce mouvement, qui avait récupéré unilatéralement à son compte les revendications du Cndp en 2009, avait fait son apparition en 2012 avant d’être militairement défait en 2013 par les Forces armées de la République Démocratique du Congo (Fardc) avec le concours de la Brigade d’intervention mise sur pied la même année à Kampala, lors du sommet de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (Cirgl).

Encore pour votre gouverne, à l’exception du Rwanda qui s’y était farouchement opposé, les États membres de cette organisation voulaient cette brigade entièrement africaine et, surtout autonome. Trois des États membres (Afrique du Sud, le Malawi et la Tanzanie), avaient fourni leurs troupes. Cependant, le Conseil de sécurité avait décidé de les intégrer d’office dans la Monusco.

Au résultat, la Brigade d’intervention avait perdu son entrain. Faut-il encore souligner que le Processus de Kampala avait donné lieu en 2014 non pas aux Accords mais aux Déclarations de Nairobi.

Dans l’une, le M23 avait cessé d’exister comme groupe armé pour se muer en parti politique. Qu’il le soit redevenu au point d’attaquer le 29 mars 2022, soit 8 ans après, les troupes mutualisées Fardc/Monusco relève, selon notre entendement d’une réactivation planifiée. Monsieur le Secrétaire d’Etat, Pourtant, tous les protagonistes en sont conscients, et vous le savez : l’Est de la République Démocratique du Congo est devenue une région hypermilitarisée.

On ne sait pas s’il existe au monde un coin où se concentrent autant d’armées gouvernementales que de groupes armés avec, cerise sur le gâteau, une force internationale (Monusco). Il n’y a d’équivalent ni au Liban, ni au Kurdistan, ni en Afghanistan, moins encore en Indonésie, en Libye ou en Colombie. En effet, à l’Est du pays, sont présents :

* pour la RDC, les Fardc (armée gouvernementale), la Résistance Maï-Maï et les autres groupes armés à base identitaire.

Dans sa cartographie des groupes armés dans l’Est du Congo intitulée : « Opportunités manquées, insécurité prolongée et prophéties autoréalisatrices », le Centre d’Etudes Stratégiques africaines « Baromètre du Kivu » en a recensé 120 en février 2021 ) ;

* pour l’Ouganda, l’Updf (armée gouvernementale), l’Adf, le Nalu, Lra, Unrf II, Wnbf, etc., s’il faut se référer à l’Accord de Lusaka ;

* pour le Rwanda, la Rdf (armée gouvernementale), les Fdlr-Foca (composées d’ex-Far et de milices Interhamwe) ;

* pour le Burundi, la Fdnb (armée gouvernementale), Red-Tabara, Fnl, Funa, Fdd ; s’il faut encore se référer à l’Accord de Lusaka ;

* pour la Communauté internationale, la Monusco dont les troupes proviennent d’une cinquantaine de pays.

Tout compte fait, on se rapprocherait facilement d’une double centaine de structures armées, les unes légales, les autres illégales, les unes mutualisant en formel ou en informel leurs forces, les autres agissant

en solitaire, toutes au moins faisant la guerre pour défendre la population civile dans les 4 pays voisins, chacune la sienne : RDC, Ouganda, Rwanda et Burundi ! Monsieur le Secrétaire d’État, C’est dans cet environnement que, sans prendre les précautions indispensables, et probablement mal conseillé, le président Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo a décrété en mai 2021 l’état de siège qui se révèle un échec après une quinzaine de mois. Voulant le couvrir par l’initiative de mutualisation des forces gouvernementales (Rdc/Ouganda, Rdc/Rwanda, Rdc/Burundi) faite pour certains en formel, pour d’autres en informel, un nouvel échec prévisible.

En effet, le chef de l’Etat congolais s’apprête à commettre la pire des choses qui puissent arriver à la RDC par ces temps d’incertitudes : le déploiement de la Force régionale de l’East Africa Community, communauté composée de 7 pays dont quatre sont concernés par la crise armée : la RDC, l’Ouganda, le Rwanda et le Burundi. Vous en conviendrez avec nous : pour que cette force bénéficie de la neutralité qui garantisse le succès de ses opérations, elle doit compter sur les 3 pays restants : le Kenya, la Tanzanie et le Soudan du Sud.

Or, la Tanzanie est déjà exclue en raison de sa présence dans la Brigade d’intervention de la Monusco et de l’implication de certains éléments de son contingent dans les incidents survenus à Kasindi le 30 juillet 2022.

Quant au Soudan du Sud, il est tellement englué dans ses problèmes sécuritaires internes qu’il est mal placé pour entreprendre des opérations militaires externes.

Finalement, le seul pays disponible est le Kenya.

Aucun esprit avisé ne le voit mener seul ces opérations en RDC pendant que l’Ouganda, le Rwanda et le Burundi y sont présents au travers des armées gouvernementales et des groupes armés qui s’y affrontent déjà. Monsieur le Secrétaire d’Etat, Cela étant, un autre problème est à soulever : la valeur juridique de la décision de déploiement de la Force régionale. 

Pour votre information, cette décision a été prise avant le dépôt des instruments de ratification.

En effet, l’adhésion n’est devenue effective que le 11 juillet 2022, car la ratification par le parlement est intervenue le 9 juillet. La décision du déploiement ayant été prise le 20 juin 2022 peu après la signature du traité d’adhésion par le chef de l’Etat le 8 avril, il s’avère que le président de la République Démocratique du Congo a engagé la Communauté dans le déploiement de la Force régionale bien avant même la ratification du traité d’adhésion. Il a violé les articles 213 et 214 de la Constitution.

Ainsi, le Processus de Nairobi sur lequel se fonde la Force régionale a été piégé volontairement par M. Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo. Ni la Monusco pour son déploiement en 2000, ni la Brigade d’intervention pour le sien en 2013 n’ont été constituées sur des bases aussi irrationnelles que fragiles.

Bien entendu, il est passé maître dans l’art de régularisation après coup. C’est son mode de gouvernance.

Monsieur Anthony Blinken,

C’est à ce stade que nous en venons au deuxième thème : DEUXIEME THEME : LIQUIDATION EN COURS DES ACQUIS DU DIALOGUE INTERCONGOLAIS
Si M. Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo en est arrivé à saborder le Processus de Nairobi dans ce qu’il a d’essentiel (déploiement de la Force régionale), c’est parce qu’il se croit être lui-même,  à la fois,  l’Etat, la Nation et le Peuple. Tourner en dérision, en plus à l’extérieur du pays, le parlement de la RDC dans la procédure d’adhésion à l’EAC n’a rien d’étonnant. Il venait de le faire à Abidjan, s’agissant de l’armée.

Il ne se reconnaît pas dans l’institution issue des législatives de 2018 (Assemblée nationale), ni des sénatoriales de 2019 (Sénat). C’est son parlement avec une majorité recréée à son image.

Ce corps législatif est le produit de l’abus d’autorité commencée en juillet 2020 avec des nominations controversées opérées au sein de la Cour constitutionnelle (sommet des Cours et Tribunaux) pour se terminer sur les institutions d’appui à la démocratie en passant par le Gouvernement. En trois ans, la Haute cour en est à son troisième président. De juillet 2020 à juillet 2022, son fonctionnement a été délibérément perturbé.

On en veut pour  preuve,  l’affaire « tirage au sort ». Le chef de l’Etat piétine l’indépendance du Pouvoir judiciaire consacré à l’article 149 de la Constitution. Autre illustration, le fonctionnement du gouvernement actuel. A sa publication, le programme d’investiture à présenter au parlement portait sa signature. C’est après le tollé général que celle du Premier ministre, chef du gouvernement Jean-Michel Sama Lukonde, a été rétablie. Malgré cela, il continue de se comporter,  à la fois,  en Chef de l’Etat et en chef du gouvernement, violant une fois de plus les articles 90 et 91 de la Constitution.

D’ailleurs, les comptes rendus des conseils des ministres qu’il préside sont ponctués des termes du genre « sur ordre du chef de l’Etat », « sur instruction du chef de l’Etat », « le Président de la République

a ordonné au ministre…».

Bref, M. Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo veut d’un parlement, d’un gouvernement et des cours et tribunaux qui lui obéissent au doigt et à l’œil, à l’image du Parti-Etat autrefois combattu par son parti, l’Udps.

Comme s’il faisait du copier-coller de la démocratie à l’ougandaise et à la rwandaise sécurisant les régimes de MM. Yoweri Museveni Kaguta et Paul Kagame dont la longévité aux affaires semble avoir la caution de l’administration américaine, le chef de l’Etat est en train de détruire l’ordre institutionnel laborieusement mis en place au Dialogue inter congolais, celui-là même qui lui a permis d’accéder à la fonction présidentielle au pays. Monsieur le Secrétaire d’Etat, Convaincu d’incarner l’« Etat-Nation-Peuple », le président de la République ne peut que se croire autorisé d’assujettir à son pouvoir la Commission électorale nationale indépendante, CENI en sigle.

Cela se constate dans les préparatifs des élections de 2023.

Dans son discours du 6 novembre 2020 prononcé pour clôturer ses consultations, il avait pourtant fait siennes plusieurs propositions pour l’organisation « des élections crédibles dans le délai constitutionnel » (sic), à savoir : – Réaliser le recensement de la population dans des délais raisonnables ; – Réformer la loi électorale et la CENI avant la désignation de ses membres ; – Constituer des provisions budgétaires annuelles pour le financement de la CENI.

– Ouvrir un débat en vue de la réintroduction de l’élection présidentielle au suffrage universel direct à la majorité absolue (2 tours) et, le cas échéant, verrouiller ces dispositions dans une révision constitutionnelle ; D’ailleurs, en ce qui concerne le rétablissement du second tour, il l’avait lui-même préconisé dans son premier discours sur l’état de la nation en 2019. 6 Aucun de ces engagements n’est tenu jusque-là.

Au contraire, avec un parlement qui lui est redevable de son existence, il s’est livré à un passage en force pour :

1. exclure de la présidence de la Centrale électorale les deux principales confessions religieuses du pays (CENCO ou Église catholique Romaine et ECC ou Église protestante) ;

2. imposer une loi électorale non consensuelle, dépouillée des correctifs proposés par l’Opposition à laquelle il appartenait avant les élections de 2018. Dont celui de proclamation des résultats de vote bureau par bureau.

Monsieur Anthony Blinken,

L’instrumentalisation, ou la caporalisation des institutions publiques à laquelle il se livre en tant que « Etat-Nation-Peuple » résulte d’une pratique devenue un secret de polichinelle : la corruption.

Or, du moment que les Etats-Unis font de la lutte contre la corruption,  la condition sine qua non pour le retour de leurs investissements en Afrique, et dès lors que M. Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo mène une politique de médiatisation forte de cette lutte pendant qu’il fait,  en réalité,  le contraire au travers de ses actes, c’est que son message est clair : il ne veut pas d’investissements américains au Congo.

C’est un message assumé qu’il lance d’ailleurs aux investisseurs occidentaux qui,  en quatre ans de pouvoir de M.  Tshisekedi, ne se pressent pas au portillon de la Rdc.

Monsieur le Secrétaire d’Etat Anthony Blinken,

Nous espérons vous avoir amplement édifié sur les réalités relatives : – à la hyper-militarisation de la partie orientale de l’Est, avec comme corollaire l’échec prévisible du déploiement de la Force régionale réduite à un seul pays (Kenya) et – à la liquidation en cours des acquis du Dialogue inter congolais, avec comme corollaire le rejet des investissements américains en particulier et occidentaux,  en général, du fait de l’usage de la corruption érigée en mode de gouvernance.

Etant averti, vous ne diriez pas que vous ne saviez pas lorsque se produira la catastrophe qu’il a consciencieusement planifiée. Soyez le bienvenu dans mon pays.

Imhotep Kabasu Babu Katulondi

Libre-Penseur et Analyse politique

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