Sport et fétiche

Le sport est une activité physique qui demande de l’effort et un entraînement méthodique. Il est pratiqué par une large frange des jeunes et constitue la plus grande attraction dans le monde. L’argent qui y est injecté montre son importance dans la société actuelle. Au Congo comme dans tous les pays africains, la recherche effrénée de la victoire, du succès ou de  la célébrité entraine les pratiquants à sortir des sentiers battus. Pour atteindre cette fin, bien des sportifs s’adonnent à des pratiques magiques. L’usage des fétiches et le port des amulettes ou des pentacles sont devenus monnaie courante. Le fétichisme fait bon ménage avec le sport. Son impact dans la vie sportive n’est plus à démontrer. L’Africain n’est-il pas superstitieux ? Depuis la nuit des temps, il croit aux forces surnaturelles et aux effets positifs qui leur sont imputés.

Le féticheur est un être à part entière. Il joue un rôle déterminant dans la vie des joueurs et des clubs. Détenteur du pouvoir mystique, il possède des objets de pouvoir et donne la puissance aux objets. Il intercède pour ses clients auprès des esprits. Être surdoué ou avoir du talent ne suffit pas en sport. Les capacités physiques sont perfectionnés par ″quelque chose″ de surnaturel afin de se hisser en haut de la pyramide. C’est alors qu’intervient le féticheur avec son alchimie traditionnelle d’où résulte un précieux  sésame : le grigri.

Le féticheur joue un rôle primordial. Ses avis et conseils relèguent parfois ceux du coach.au second rang. Sa parole qui peut maudire ou bénir est le plus souvent suivie à la lettre. Cette évidence montre le degré de croyance dont fait preuve le monde sportif sur le fétichisme. Cet encrage au spiritisme traditionnel se traduit par la réalité selon laquelle le marabout fait gagner l’équipe par ses pouvoirs magiques et sa sorcellerie.  On ne peut dissocier la pratique du foot et l’usage des gris-gris. Même les plus jeunes ne jurent que par les fétiches. Le marabout est sans doute le véritable concurrent du coach. Comment celui-ci voit-il son emprise dans la vie de l’équipe qu’il entraîne ?  Les entraîneurs ne font certainement pas la grosse tête car ils consultent eux aussi les marabouts pour leur succès.

Dans le jargon du football kinois existe le terme ″laboratoire″. Ce mot désigne le lieu de travail du féticheur. Comme le chimiste ou le physicien, le marabout y travaille de façon mystique entouré des esprits. Ses clients sont le plus souvent conquis par son pouvoir et ses formules magiques. C’est pourquoi on lui prête à la fois une grande attention et une profonde admiration. Il est établi que c’est bien lui qui octroie la victoire, fabrique les célébrités, crée des buts en anéantissant ceux des adversaires, annule la défaite, entretient et suscite l’espoir ardent de gagner, booste les carrières sportives, envoûte les adversaires, libère l’équipe lorsqu’elle freinée par des mécontents et  assure la gloire à qui le veut. Bien des fois, des rituels ont lieu lors des ″réveillons″, ces traditionnelles retraites organisées à l’écart de la famille et des supporters par les clubs à la veille de chaque rencontre. C’est à ce moment que le féticheur donne ses derniers consignes et des instructions à respecter scrupuleusement non sans avoir accompli les derniers réglages mystiques du fétiche préparé dans son ″labo″.

Individuellement, chaque footballeur consulte le féticheur pour la réussite de sa carrière. Les deux parties négocient les tenants et les aboutissants de ce pacte oral qui désormais met le joueur sous le parapluie mystique de son protecteur. Le marabout s’engage à satisfaire les désiderata du footballeur. Comme gage de cette alliance, il lui remet un totem. C’est-à-direl’incarnation de puissance suprahumaine. Ce support doué de pouvoirs magiques est assorti de quelques interdits à respecter scrupuleusement. En contrepartie, le sorcier reçoit du joueur des espèces sonnantes et trébuchantes. Parfois les clauses de cette coopération magico-fétichiste peuvent inclure des modalités exigeant des sacrifices humains.

Les demandes faites auprès du féticheur dépendent du poste où évolue le joueur. Le gardien aura besoin d’une amulette lui permettant de rétrécir les dimensions de son poteau à  chaque approche d’un attaquant adverse afin de l’empêcher de marquer, de s’illustrer dans l’arrêt spectaculaire des penalties et des balles difficiles pour le conforter dans son rôle et sa position de dernier rempart de l’équipe. Le ″barre poteau″, ce grigri censé protéger ses bois ne manquera pas à l’appel. Le défenseur va désirer un talisman qui le rendra plus puissant dans les duels et qui soignera son emplacement stratégique dans la ligne défensive du club afin de sauver les balles manquée par le portier. L’attaquant demandera un porte-bonheur pour accroitre sa vélocité afin de devenir plus incisif dans ses dribles ou ses démarrages, un talisman susceptible de développer la précision de ses passes et son sens du but. Il ira même ″acheter″ le but qu’il marquera lors d’un grand match quitte à faire n’importe quel sacrifice. L’attaquant aux tirs meurtriers communément appelé ″bombardier″ cherchera un fétiche capable de parfaire leur précision afin de marquer même sur les balles arrêtées. Dès lors naît entre le marabout et le footballeur une relation semblable à celle qui unit un médecin et son patient. Des consultations seront prévues tout comme le cas échéant le renouvellement de la puissance du grigri dont détient le joueur.

Autrefois existait des ″comités de recherche″. C’était un groupe restreint des personnes assermentées au club et qui avait la lourde tâche de chercher les meilleurs féticheurs susceptibles de faire gagner l’équipe. La fouille de ces perles rares du fétichisme national se faisait à Kinshasa, dans le Kongo Central et dans l’ancienne province de Bandundu réputée pour l’excellence de ses féticheurs. Avant d’être joués sur le terrain, les matches des trois grands (Dragons, Daring et V.Club) se jouaient d’abord en amont dans les ″laboratoires″ des féticheurs. Dans les milieux fermés desdites équipes, le résultat était parfois connus plusieurs semaines avant la rencontre proprement dite. Pour préserver la victoire acquise et promise, le marabout continuait à faire ses incantations des semaines durant jusqu’au jour du match mieux jusqu’au dernier coup de sifflet de l’arbitre pour éviter un retournement de situation. L’équipe adverse étant mystiquement avertie de l’imminence d’une défaite, cherchait elle aussi de ″façon mystique″ à renverser la vapeur, à ″tourner le match″ à tout prix. Une rencontre de football ne se joue donc pas seulement sur le terrain mais aussi et surtout dans les coquettes cases des féticheurs. Avoir un bon coach mais surtout un excellent féticheur est en soit une garantie de succès.

La  marque de l’occultisme dans le championnat kinois a impressionné plus d’un. Des cas avérés portant la marque des forces occultes sont nombreux notamment la légende de Petit Loulou, le mariage Dragons-Daring, le phénomène ″nzombo le soir″, le ballon qui disparaît dans les filets, la pluie qui devient signe de défaite d’une équipe lorsqu’elle la surprend sur le terrain,  la bénédiction du stade par les marabouts lors des rencontres internationales ayant trait à la coupe d’Afrique. A cette liste s’ajoutent aussi les sacrifices humains consentis par les clubs ou par les footballeurs eux-mêmes, les décès suspects des joueurs parfois sur la pelouse du stade, des fractures de certains footballeurs, l’usage du mouchoir magique, la concurrence mystique entre joueurs évoluant au même poste en quête de titulariat. L’équipe nationale n’est pas non plus exemptée de ce phénomène. N’a-t-on pas en 1974 sélectionné les meilleurs féticheurs du pays pour accompagner les Léopards à la Coupe du monde en Allemagne?

Depuis peu, Dieu s’est invité dans le football. Il y est entré par la grande porte. La dévotion et l’impiété marchent désormais côte à côte dans les arènes. Depuis la prolifération des sectes religieuses et l’avènement des Églises évangéliques, la religion a fait une entrée remarquée dans les stades. Il y côtoie le fétichisme. Le sacré et le profane se tutoient dans un autre registre. Bien des fois. les joueurs font le signe de la croix, une petite prière personnelle ou en groupe lorsqu’ils entrent dans l’aire de jeu. Un but marqué est pour le buteur une occasion de remercier le Très-Haut par un geste de foi. Cette attitude de piété contraste avec le fait que ce même footballeur pourrait avoir  caché dans ses shorts ou dans ses chaussettes une amulette reçue auprès d’un  dirigeant de son club ou auprès de son féticheur attitré. Cette ambivalence est devenue l’essence même du sport. Les clubs de niveau inférieur sont aussi embrigadés dans cette culture contre-nature où la prière et les fétiches participent activement au succès d’un joueur.

Le catch est l’autre sport qui s’est particulièrement distingué dans l’occultisme. Il a damé le pion à la boxe, au cyclisme et au basket pour devenir dans les années 80 le sport le plus populaire après le football. Mais il a perdu cette élégance et cette noblesse incarnées par Kele Kele lors du gala de catch international organisé à Kinshasa en 1971. Des rituels magico-religieux ont parfois lieu avant le combat. Inspirés par le catch américain, les combat de catch deviennent des spectacles fétichistes grandeur nature au cours desquels s’affrontent non pas deux sportifs mais plutôt deux fétiches. La joute sportive se transforme aussitôt en une empoignade irréelle au cour de laquelle deux esprits se cherchent, deux puissances occultes incarnées par chacun des lutteurs se battent sur le plan mystique. Le plus fort des deux catcheurs doit maitriser, neutraliser et anéantir l’autre. La manifestation de l’incroyable est à la fois totale et présente : un coup de tête donné dans le vide qui envoie son vis-à-vis au tapis, l’éventration d’un adversaire mystérieusement magnétisé dont on mange les intestins, l’utilisation du mouchoir magique, l’hypnotisation de l’adversaire par un simple geste de main, ridiculiser son adversaire en le faisant danser. L’occultisme a toujours  été le socle du catch populaire congolais.  Dès lors, le succès du lutteur n’est plus fondé sur la force, la technique ou le style mais plutôt à sa capacité à montrer ses vertus magiques et à faire croire à ses pouvoirs de sorcellerie.

Vers la fin de la décennie 80 qui a vu son émergence, le catch se scinde momentanément en deux camps distincts diamétralement opposés. D’un côté les partisans de la lutte propre, classique, technique et de l’autre côté ceux de la lutte fétiche. Des combats sont organisés séparément selon que l’on appartient à l’un ou à l’autre groupe. Le catch a popularisé et vulgarisé la pratique des grigris en étalant de façon prononcée l’occultisme affiché dans les rings. Aujourd’hui la lutte est devenue synonyme et symbole de fétichisme.

Les arts martiaux sont aussi infestés par ce mal. Le karaté surtout fut à un moment donné un sport à fétiche. Bien avant le catch existait déjà ce que l’on appelait  le ″karaté fétiche″. Lors des démonstrations, le maître ceinture noire et bourré de grades dan montrait son savoir-faire en étalant sa force physique à travers une série de numéros. Au long de sa prestation, l’homme en kimono pouvait briser une brique avec un coup violent coup de poing dessus ou même casser du béton !

Au basket, il y avait un gri-gri nommé ″mufiniku″ (couvercle). Il était l’équivalent du ″barre-poteau″ au football. C’était une poudre magique qui provenait des ″labos″ des féticheurs. Au début du match, un joueur sautait sous le panier et l’enduisait de ce fétiche sensé servir de couvercle à l’anneau du panier pour empêcher la balle d’entrer. De ce fait l’équipe adverse ne marquera pas des points.

Les autres sports ne sont pas reste. L’usage du grigri est toujours la règle même si cela ne se fait pas de façon ostentatoire comme au catch ou football. Les cyclistes ont toujours des amulettes avec eux pour gagner la course. Il en est de même  des boxeurs ou des judokas. De mémoire d’homme, les Kinois se souviendront toujours de la victoire de Django Makiese sur César Sinda en 1968 au parc de la Révolution. D’un coup fulgurant, le gaucher envoya Sinda, de surcroit champion d’Afrique, au tapis. Pour le commun des mortels, ce triomphe par K.O qui conforta la célébrité du vainqueur était entaché de fétichisme.

Qu’il soit sportif ou artiste-musicien, politicien ou de profession libérale, croyant ou non croyant, l’homme congolais met le plus souvent sa foi à côté pour faire les yeux doux aux fétiches. De ce fait, la pratique des fétiches a encore de beaux jours devant elle. A côté de l’entraînements et de l’encadrements techniques des athlètes, les amulettes seront toujours d’usage même lorsqu’elles montrent leurs limites. Comme sport rime bien avec occultisme, y a-t-il un seul sportif congolais de haut niveau qui n’a jamais touché aux fétiches tout au long de sa carrière? La question reste posée.

Samuel Malonga/mbokamisika.com

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