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SOCIAL–DEMOCRATIE, DEMOCRATIE DE LA COHESION SOCIALE

Par MUSENE SANTINI BE-LASAYON

Depuis l’écroulement de l’empire communiste soviétique, l’écrasante majorité des partis communistes du monde entier, et particulièrement des ex. démocraties populaires, se sont reconvertis en partis sociaux-démocrates. En République Démocratique du Congo, plusieurs partis politiques, dont l’UDPS et le PPRD, qui se comportent pourtant en farouches adversaires ou ennemis idéologiques et politiques, se réclament également de la social-démocratie. Franchemnt, la social-démocratie a le vent en poupe aujourd’hui. Mais, alors, qu’est-elle exactement, dans le fond et la forme ?

Trois types de démocratie, liés au libéralisme, au socialisme marxiste-léniniste et au socialisme réformiste sont actuellement appliqués dans le monde. Il s’agit respectivement de la démocratie libérale, de la démocratie socialiste ou  populaire et de la social-démocratie. Elles sont toutes fondées sur les principes de liberté et d’égalité. Elles visent toutes le bien-être intégral et durable de tous les citoyens en vue de la cohésion nationale et sociale des Etats. Elles diffèrent, cependant, par la manière d’accéder au pouvoir politique, par le mode de production des richesses et par la façon de répartir le pouvoir et surtout les richesses nationales entre les différentes classes sociales. Cependant, depuis l’éffondrement de l’empire communiste soviétique, l’une de ces trois formes de la démocratie, en l’occurrence la social-démocratie, paraît être à la mode. En effet, plusieurs partis politiques du monde en général et de la Rd-Congo en particulier s’en réclament. Mais, alors, c’est quoi exactement, dans le fond et la forme, la social-démocratie dans laquelle nous incluons, les différentces étant très nuancées, le travaillisme anglo-saxon et toutes les autres formes du socialisme dites réformiste, démocratique ou parlementaire ?

LES FONDAMENTAUX

La social-démocratie est née en Allemagne, sous la conduite de Ferdinand Lasalle et d’Edouard Bernstein, dans la seconde moitié du 19ème siècle. Elle est presqu’immédiatement reconnue et adoptée en Angleterre sous sa forme travailliste. Elle est un mouvement politique qui vise à des réformes socialistes dans le cadre de la démocratie libérale. Comme la démocratie libérale et la démocratie socialiste ou populaire, elle se base également sur les principes de liberté et d’égalité. Tandis que celles-là privilégient respectivement le premier et le second principe, la social-démocratie valorise et cultive tous les deux principes indistinctement. Elle met à contribution, en plus, le principe de solidarité dans la mesure où celle-ci résulte du respect et de la considération que les individus, nés libres et égaux, se portent entre eux. Elle s’oppose à toute forme de pouvoir liée à la propriété privée des moyens de production et d’échange et à toute tentative de concentration du pouvoir entre les mains d’une clique oligarchique telle que la bourgeoisie en Occident ou l’avant-garde du parti communiste, la nomenklatura, dans l’ex. URSS, dans les ex. démocraties populaires, en Chine, en Corée du Nord et à Cuba. Elle s’applique, partout où elle est établie, à poser les fondations des conditions matérielles qu’exige l’exercice de la liberté, de l’égalité et de la solidarité ; à lever le voile pudique que porte la domination des puissances économico-financières ou politico-idéologiques ; à casser subtilement les barrières dressées devant elle par ces dernières, etc.

Puissamment enracinée dans la société civile à travers de multiples organisations syndicales, réseaux coopératifs, mutuellistes et associatifs, la social-démocratie a pour but ultime la construction d’une communauté humaine politiquement et économiquement solidaire, donc socialement cohérente. Afin d’atteindre cet objectif général de cohésion sociale, elle romp avec la lutte des classes qui est synonyme de conflits permanents et les nationalisations tous azimuts des entreprises privées inhérentes à la révolution marxiste-léniniste. Elle croit foncièrement, explique Raymond Aron, que « l’ordre ancien peut être détruit peu à peu, progessivement, morceau par morceau, en le remplacant chaque fois par un élément de l’ordre nouveau. » La social-démocratie est donc fondamentalement réformiste. Car, selon ses ténors tel que Jacques Julliard, « la réforme apporte plus aux travailleurs que la révolution qui n’a jamais permis aux opprimés de prendre le dessus. »  La social-démocratie est, finalement, la conjonction des meilleurs éléments de la démocratie libérale et de la démocratie socialiste. Mais, elle évite, quant au choix des solutions dans tous les domaines, tout militantisme libéral ou tout militantisme socialiste.

Bien que née en Allemagne et presqu’immédiatement adoptée en Angleterre sous sa forme travailliste, la social-démocratie a plutôt trouvé son terrain de prédilection et d’éclosion dans les pays scandinaves et d’Océanie. Hormis quelques rares et brèves parenthèses libérales et conservatrices, elle est pratiquée, presque sans interruption, en Suède, en Norvège, au Danemark, en Finlande, en Islande, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Elle est tentée, de temps à autre, en Allemagne, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en France, en Autriche, en Belgique, en Grèce, en Italie, en Israêl, en Espagne, au Portugal, au Brésil, dans les provinces de l’Ouest canadien qui constituent généralement, par le biais du Nouveau Parti Démocratique, des gouvernements provinciaux quasi-autonomes du gouvernement fédéral, quelle que soit l’orientation idéologique de celui-ci, etc.

DOUBLEMENT LIBERAL

Le régime social-démocrate est doublement libéral. C’est-à-dire qu’il est politiquement et économiquement libéral. Il est politiquement libéral parce qu’il garantit constitutionnellement la démocratie politique et la met réellement en oeuvre. En effet, il reconnaît, accepte et applique rigoureusement les libertés publiques fondamentales (d’opinion, de réunion, d’association, d’expression et de presse), le multipartisme et le suffrage universel tels que vécus aux Etats-Unis d’Amérique, au Royaume-Uni, en France, en Allemagne, au Canada, en Italie, etc. Il fait volontier du suffrage universel son moyen quasi-exclusif de conquête, d’exercice et de conservation du pouvoir politique. Il admet d’en accepter la sanction négative du Souverain primaire et le jeu d’alternance au pouvoir avec des partis politiques de tendances idéologiques différentes ou opposées. Ainsi, quand un parti social-démocrate accède au pouvoir dans un contexte capitaliste, il accepte de gérer la crise du capitalisme en alternance avec un parti de droite. Mais, sa gestion a toujours un caractère social.

Le régime social-démocrate est, par ailleurs, économiquement libéral. Dans ce sens qu’il reconnaît, d’après Michel Rocard, « l’existence du butoir économique du marché et qu’il a, par conséquent, très tôt abandonné les thèses de nationalisation intégrale des moyens de production et d’échange, de planification totale de la production et de la consommation des marchandises.» Il accepte et applique donc le capitalisme comme système de production. En Suède, rapporte Stig Hadenius, l’industrie et le commerce se trouvent, dans une proportion de 90 %, dans les mains d’intérêts privés. Le régime social-démocrate mène donc, d’une manière systématique, une politique économique très favorable à l’entreprise privée. Il encadre cette dernière avec les propres armes du patronat capitaliste : libre entreprise, respect des lois concurrentielles, refus de nationalisation des moyens de production et d’échange, lutte contre les tendances monopolistes, etc.

ECONOMIE SOCIALE DE MARCHE

Le régime social-démocrate est part ailleurs, en partie, économiquement socialiste. En effet, tout en favorisant, d’un côté, l’initiative individuelle, il dote, de l’autre, l’économie de marché d’une très forte dimension sociale. D’où le mode de production qualifié d’économie sociale de marché. Celui-ci se définit comme une recherche permanente de la combinaison la plus efficace possible entre la performance optimale que peut offrir le capitalisme et la justice et la sécurité sociales que peut offrir le socialisme. Cela veut dire que sous le régime social-démocrate, l’économie n’est pas livrée à la seule volonté du marché contrôlé par les capitalistes. Car, l’Etat y joue le rôle déterminant de principal agent de la réalisation de l’objectif du bien-être pour toutes les composantes de la société.

En vue d’y parvenir, l’Etat social-démocrate organise la répartition des fruits du travail sur base des décisions politiquement orientées. Et ce, selon Magnus Falkehed, « après de profondes et de réalistes concertations menées et un consensus équitable trouvé entre les partenaires sociaux que sont les représentants du patronat et les représentants des travailleurs. » En social-démocratie, on ne badine pas avec les négociations et le consensus. Le tout se passe sous l’œil vigilant de l’Etat qui est le lieu où s’exerce activement la solidarité entre les différentes classes sociales. Dans ce sens que la justice et la sécurité sociales constituent les meilleures conditions du dynamisme d’une économie en croissance. Ainsi, allier l’efficacité économique au progrès social est une obligation pour l’Etat social-démocrate. Car, à ses yeux, l’exigence de la démocratie économique s’impose avec la même rigueur et la même évidence que la démocratie politique.

Sur le plan pratique, cela se traduit essentiellement de la manière suivante. Premièrement, l’Etat social-démocrate planifie une partie de l’économie nationale. Il s’agit de l’économie mixte et publique qui, en Suède par exemple, ne représente qu’environ 10% de l’ensemble. Cependant, cette planification très partielle est souple et non dirigiste. Deuxièmement, le secteur public est généralement d’une ampleur exceptionnelle par comparaison avec les Etats de pure démocratie libérale. Ce secteur est, en fait, le plus important de tous en valeur relative. Les dépenses publiques de la Suède, par exemple, s’étaient élevées, en 1989, à 36% du PIB contre 25% aux Etats-Unis d’Amérique. Troisièmement, sans être coercitif, l’Etat social-démocrate est extrêmement actif et influent dans l’orientation générale de l’économie. Mais, il est, dans ce contexte, peu interventionniste. Il n’intervient véritablement qu’en cas d’absence d’une alternative privée viable et crédible. C’est ce qu’on appelle, en économie sociale de marché, le principe de subsidiarité. En intervenant par la force des choses, l’Etat social-démocrate évite de bloquer le mécanisme du marché de jouer son rôle. C’est ce qu’il entend par le principe de conformité au marché.

EGALITE SOCIALE

L’Etat social-démocrate est particulièrement socialiste parce qu’il est rigoureux sur l’objectif de l’égalité sociale. Il s’efforce de le réaliser de deux façons. Il remplit, en premier lieu, la fonction de prévention des risques par les assurances sociales. Il s’agit de l’assurance-maladie, de l’assurance-accident, de l’assurance-vieillesse et de l’assurance-chômage. Ces diverses assurances sociales sont financées par les cotisations des employeurs, des travailleurs salariés et des travailleurs indépendants quant à l’assurance-chômage. Le caractère général, obligatoire et égalitaire de ces assurances sociales permet une réduction très sensible des disparités sociales par l’instauration d’une solidarité horizontale entre les différentes catégories des travailleurs en particulier et entre les membres de la communauté nationale en général. L’Etat social-démocrate remplit, en second lieu, la fonction deredistribution des richesses entre les diverses catégories des travailleurs en particulier et entre les membres de la communauté nationale en général. En organisant une solidarité verticale entre les hauts et les bas revenus. Et ce, au moyen de la politique de solidarité salariale et de progressivité de l’impôt qui permet des transferts importants de revenus des riches vers les pauvres.

Le taux élevé de l’impôt marginal, les écarts relativement faibles entre les revenus et un système très élaboré de protection sociale font de la Suède, de la Norvège, du Danemark, de la Finlande, de l’Islande, de l’Australie et  de la Nouvelle-Zélande des pays où les différences de niveau de vie de la population sont exceptionnellement faibles. En Suède, par exemple, nous apprend Jean-Jacques Servan-Schreiber, « le revenu moyen général par habitant était, en 1964, de 15233 couronnes ; la moyenne pour les employeurs de 16217 couronnes et pour les employés de 15000 couronnes. Le salaire moyen dans les villes était de 16538 couronnes contre 13497 dans les campagnes. » « Quel écrasement de la hiérarchie des revenus ! », s’exclame, émerveillé, Jean-Jacques Servan-Schreiber. « On pourrait craindre, poursuit-il,  qu’il n’aboutisse à un manque de dynamisme et de compétition dans l’économie, que l’escalier égalitaire ne monte pas bien haut et que le niveau général baisse. En fait, ce frein ne semble pas exister. Aucun autre pays au monde ne présente à la fois un tel degré d’égalité des revenus et de développement économique que la Suède.»

Passé le seuil des économies de pénurie, les stimulants de la conquête sociale ne s’arrêtent pas seulement aux  revenus financiers et aux assurances sociales. Le régime social-démocrate assure à la population soins de santé, logements sociaux décents, formations médicales et laboratoires de santé publique, institutions d’enseignement de tous les niveaux, routes, ponts, stades, crèches, parcs de loisirs, etc, de haute qualité. L’école obligatoire d’une durée de 9 ans, instaurée en Suède en 1962, a asséné un coup fatal à l’analphabétisme et aux discriminations sociales entre les écoles jadis fréquentées par les enfants des riches et celles où se retrouvaient ceux des autres. Depuis lors, tous les enfants suédois étudient dans les mêmes écoles et suivent le même système d’enseignement. Avec le temps, cette idée de marche vers l’égalité sociale est devenue un dogme. Même les bourgeois et autres ultra-conservateurs, qui s’y opposaient au départ, se gardent bien d’y toucher aujourd’hui. Car, les programmes sociaux sont toujours conçus et fonctionnent de façon à couvrir toutes les classes sociales plutôt que les seules classes en difficulté. Ils permettent « à toutes les classes sociales, même aux ouvriers, de vivre aujourd’hui mieux qu’il y a cent ans », affirme Ken Follet, le romancier antipartis politiques britannique. 

Pour tout dire, la cohésion sociale demeure le but ultime de la social-démocratie. D’où, le régime social-démocrate instaure une véritable solidarité entre tous les citoyens qu’il faut socialement promouvoir. Avec, bien sûr, un accent particulier sur les classes sociales les plus défavorisées dont il faut nécessairement relever. Dans ce contexte de marche incessante vers l’égalité sociale, dont l’équité et la justice constituent le soubassemment, les antagonismes entre les  diverses classes sociales sont moins forts que le sentiment d’appartenance à une communauté en développement constant et relativement harmonieuse.

Cependant, cette quête incessante de l’égalité sociale a sa contrepartie : une très forte pression fiscale. Leplus petit des salariés suédois, par exemple, paie en impôts deux mois de son salaire annuel ! Selon l’OCDE, les recettes fiscales de la Suède sont les plus élevées au monde. Elles représentaient, en 1989 par exemple, 56,8 % du PIB contre 43,9 % à la France, 38,1 % à l’Allemagne, 36,5 % au Royaume-Uni et 29,8 % aux Etats-Unis d’Amérique. Cette lourde fiscalité, bien qu’ancrée dans les mentalités, offusque bon nombre de citoyens et surtout d’opérateurs économiques. Mais, tout ce monde comprend, enfin, que cette lourde fiscalité sert à dégager les ressources financières indispensables au développement accéléré des besoins sociaux de base. Car, « si l’expansion est évidemment la base d’une justice sociale possible, la justice devient, ce qui est beaucoup plus fort, la condition de la croissance continue», soutient Jean-Jacques Servan-Schreiber.

COHESION SOCIALE

Sous le régime social-démocrate, l’équité ou plutôt la justice sociale, régulée par l’Etat, constitue le moteur principal du développement durable et de la cohésion nationale et sociale des Etats. En effet, toutes les classes sociales vivent, concrètement et indistinctement, toutes les libertés fondamentales. Dont le suffrage universel qui est le mode consacré d’accession au pouvoir et aux postes politiques fondamentaux. Ce régime génère, par le biais de la force de travail de tous, d’abondantes richesses. Certes, celles-ci vont généralement se loger dans les poches des propriétaires des moyens de production et d’échange tel que le Suédois Ingvar Kamprad, le fondateur et le principal propriétaire aux 37 milliards d’euros de la multinationale Ikea. Mais, par l’application rigoureuse des principes d’équité et de justice sociale, le régime social-démocrate fait du social la substance même de son action politique et économique.

Visant foncièrement la cohésion sociale, l’Etat social-démocrate est toujours à la recherche d’un certain équilibre entre les différentes classes sociales. C’est ainsi qu’il s’efforce, en tant qu’Etat-éthique, de redistribuer équitablement le pouvoir et surtout les richesses nationales entre les diverses classes sociales. En réduisant très sensiblement les inégalités dans les domaines politique, économique, social et culturel. En favorisant l’émergence d’une très large classe moyenne par l’enrichissement général de la population, c’est-à-dire, l’émergence d’une société dans laquelle personne n’est trop pauvre, personne n’est trop riche et dans laquelle les antagonismes sociaux sont relativement tempérés.

Pour toutes ces raisons, la social-démocratie apparaît, dans le contexte mondial actuel, comme ce régime politique qui se rapproche le mieux possible de la concrétisation des principes clés de liberté, d’égalité et de solidarité aboutissant à l’idéal sacré de cohésion sociale pourtant également envisagé par ses confrères libéral et socialiste marxiste-léniniste souvent déchirés par des conflits sociaux. D’où, les Etats tels que la Norvège, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Suède, le Danemark, la Filande et l’Islande occupent très souvent, si pas toujours, les meilleures places dans le palmarès mondial du bien-être, l’indicateur du développement humain soutenable, que le PNUD publie chaque année depuis 1990.

Irrémédiablement, si l’on met l’accent sur les conditionnements socio-économiques, les déterminations par les intérêts et les rapports sociaux de classe, il nous semble que plus d’un citoyens éclairés et altruistes souhaiteraient que leur Etat, refusant de servir primordialement de courtier du grand capital comme sous la démocratie libérale, de profiter essentiellement aux dirigeants politico-idéologiques comme sous la démocratie populaire, joue le rôle déterminant de lieu où s’exerce activement la solidarité entre les différentes classes sociales comme sous la social-démocratie. Car, le degré de démocratie d’un régime politique se mesure indiscutablement par la façon dont il répartit le pouvoir et surtout les richesses nationales entre ses différentes composantes sociales. Ce qui permet de découvrir finalement, par rapport au profil classique de la social-démocratie ci-haut brossé, le véritable visage social des partis politiques congolais qui se disent sociaux-démocrates.

MUSENE SANTINI BE-LASAYON

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