Sécurité : voici comment le service secret américain contrôle les faits et gestes des politiques congolais (cas de Faustin Manzikala)

Cette photo de Jean-Faustin Manzikala provient du site Stanleyville.be

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Au début du pouvoir de Mobutu, les diplomates américains craignaient qu’il soit à son tour victime d’un putsch. Par conséquent, ils se mirent à constituer des dossiers sur les officiers et fonctionnaires susceptibles de constituer la réserve, en cas de besoin.

Ces documents jadis classifiés au Département d’État, ont été déclassifiés sous le numéro NND 969000, et sont désormais accessibles aux chercheurs. Un de nos consultants, le Dr Jeremy Rich, professeur d’histoire à l’Université de Marywood aux USA, à qui nous exprimons nos sentiments de profonde gratitude, nous a en transmis quelques-uns, lesquels seront progressivement publiés sur notre site, après leur traduction en français par nos soins.

Aujourd’hui, nous débuterons avec le rapport confidentiel biographique de Jean-Faustin Manzikala, connu aussi sous le nom de John Foster Manzikala, réalisé le 12 janvier 1967 par l’Ambassade USA à Kinshasa, après sa nomination au poste du Gouverneur de la Province du Katanga.

Ces archives démontrent que les moindres faits et gestes des politiciens, officiers et fonctionnaires sont suivis par les services étrangers et sont l’objet de rapports confidentiels auxquels les grandes puissances se réfèrent dans la gestions de leurs rapports avec nos pays. Ce qui se fait en catimini aujourd’hui, sera révélé demain.

RAPPORT CONFIDENTIEL BIOGRAPHIQUE SUR JEAN-FAUSTIN MANZIKALA 

Rédigé par l’Ambassade des USA  le 12 janvier 1967.

Traduit par messager

Manzikala, Jean-Faustin (connu aussi comme John Foster Manzikala)

Le gouverneur du Katanga nouvellement nommé est une habile et solide figure ayant acquis sa notoriété par son habilité à rester au sommet en dépit des vicissitudes de la politique congolaise. Son succès est dû à son habilité à établir et à contrôler un pouvoir encré sur sa province d’origine (Ex-Kibali- Ituri), et à ses relations avec les autres leaders de la politique congolaise, à l’instar de Victor NENDAKA.  On ne sait pas comment il s’en sortira au Katanga, un milieu ethniquement différent, et d’où il sera coupé de ses nombreuses et lucratives actives commerciales, qui constituaient le socle de son pouvoir à Kibali-Ituri. Toutefois, Manzikala s’est montré dans le passé comme étant un efficace et pragmatique administrateur, possédant un considérable degré de courage personnel. Il est possible qu’il réussisse à devenir le bras dur du régime Mobutu au Katanga.

Manzikala, est un ressortissant de la tribu Logo proche de la frontière Soudanaise, près de Faradje, qui a acquis sa première expérience en tant que commis dans une société belge installée dans le District de Uele. Il devint membre du MNC/Lumumba en 1959, en assumant en même temps les fonctions d’Administrateur du Territoire d’Aba au Nord de Kibali-Ituri. Grâce à son affiliation au MNC, il avait été désigné en septembre 1960 Président par intérim de la Province Orientale, après le décès de son premier Président, Finant.  Par la suite, il sera élu Président de la Province Orientale au détriment de Bernard Salumu, un activiste patenté du MNC/L et Secrétaire provincial du parti.

À cette époque Manzikala était considéré comme un jeune homme intrépide, doté d’une verve oratoire, mais aussi comme fondamentalement raisonnable dans ses perspectives. Sa victoire sur Salumu, un extrémiste notoire, était perçu comme une victoire mineure dans le camp des modérés dans la Province Orientale. Une grande partie du mandat de Manzikala à la tête de la Province était absorbée dans la situation de coexistence avec le « Gouvernement Central » d’Antoine Gizenga. Toutefois, cette coexistence a été difficile avec l’administration effective assurée d’une part, par le Gouvernement Provincial, et d’autre part, par le Régime Gizenga, en réalité un gouvernement en exil, ayant une incidence principale sur le plan diplomatique et sur le terrain militaire. Cette situation s’ajouta à une tension supplémentaire en 1961, lorsque l’embargo économique imposé par Léopoldville commença à détériorer l’économie de la Province Orientale. Manzikala, avec certains de ses ministres provinciaux étaient en privé méprisants à l’égard du régime Gizenga, et négociaient en vue d’améliorer les relations économiques avec la capitale. Manzikala se distingua également par ses efforts à maintenir l’ordre dans la Province. Son gouvernement manifesta beaucoup d’intérêts à conserver les entreprises européennes, et afficha une attitude plus tolérante à l’égard des européens que ne fit le gouvernement Gizenga. L’attitude personnelle de Manzikala à l’endroit des européens a souvent été coopérative. En 1960, par exemple, il s’engagea en insistant que l’annonce du décès de Lumumba ne soit pas une occasion pour les représailles vis-à-vis des européens. Encore en 1961, il diffusa un message invitant les congolais à respecter les européens restés dans la province Orientale.

Ces différents aspects de la lutte interne au sein du MNC/L aboutirent probablement au changement ayant entraîné la destitution de Manzikala (en octobre 1961) et son remplacement par Simon Losala. Cependant, en mai 1962 et après la chute de Gizenga, le Parlement National adopta une recommandation par une spéciale commission et réinstalla Manzikala comme le Président Provinciale. Son retour à Kisangani provoqua de considérables tensions au sein du MNC/L, lesquelles furent résolues seulement à travers l’élection de Manzikala comme Gouverneur de la Province de Kabali-Ituri, après la scission de la Province Orientale en août 1962. Dès lors, Manzikala restreignit ses activités politiques dans sa petite provincette, de sorte que ses activités commerciales en Ouganda et au Soudan régressèrent.

Manzikala a passé 1963 et la moitié de 1964 en consolidant sa position politique à Kibali-Ituri et en accroissant ses profits commerciaux incluant le contrôle des zones les plus lucratives de la contrebande. À l’approche des rebelles en 1964, Manzikala assuma sa flexibilité aujourd’hui reconnue, en engageant un effort de coute durée consistant à conclure en avance un accord avant leur arrivée, dans le but de demeurer Comme chef à Bunia. ( Il avait précédemment décliné une offre du CNL en vue d’adhérer à ce groupe en 1963 ) . Toutefois, sentant la propension des rebelles à s’opposer à toutes les figures politiques sans distinction, Manzikala s’échappa en Ouganda, juste avant la capture de Bunia en mi-septembre 1964. Après un mois, il gagna Bukavu où il s’engagea par les ondes dans une guerre psychologique contre le régime Gizenga. Il retourna à Bunia avec une colonne de mercenaires qui captura cette ville au début de décembre 1964– une action moins caractéristique pour la plupart des gouverneurs congolais.

Manzikala s’est mis alors à éliminer systématiquement tous le rebelles qu’il pouvait capturer, avait-t-on appris, aussi bien que tous ses adversaires politiques. Au début de 1965, il afficha publiquement son antipathie contre les rebelles en adhérant publiquement au parti CONACO de Moïse Tshombe,  devenant ainsi le Président Provincial. Il fut élu Député National et par ricochet Gouverneur réélu de Kabali-Ituri, sous les couleurs du CONACO durant les élections organisées au printemps de 1965.  Néanmoins, dans la mesure où au cours de cette année, le conflit entre Tshombe et le Front Démocratique Congolais soutenu par le groupe de Binza s’est accru, Manzikala effectua un revirement en faveur du camp opposé. Avec le coup d’État de novembre 1965, Manzikala fut parmi les premiers à retrousser les manches et à supporter le régime militaire. Il arborait fréquemment l’uniforme militaire, et avait récemment installé la branche du CVR à Kibali-Ituri, avec lui-même comme père fondateur, et ses hommes de main occupant toutes les positions clefs. ( Note de l’Ambassade A-276, 15,décembre , 1966).

En établissant son contrôle sur Kibali-Ituri, Manzikala démontra de considérables qualités en exploitant deux majeures caractéristiques de la Région, lesquelles sont: le respect pour un leader fort et l’orientation vers les liens traditionnels. En se référent au passé, Manzikala n’a jamais hésité à devenir cruel et dur en cas de besoin, dans le but de conserver sa position. Il a eu recours à plusieurs occasions aux crimes politiques pour éliminer ou intimider ses adversaires, comme quand il a dénoncé et tué le jeune-frère de son principal adversaire local, Timothee TSHOMBE ( sans aucune relation avec Moïse Tshombe), mentionné dans le rapport A-473 du 17 février 1966 à Kinshasa. Aussi, il ordonna et assista personnellement à l’exécution d’au moins 300 rebelles au moment de son retour à Bunia en 1964. Son exécutant dans ses actes était l’ancien chef de la police de Bunia, MAWA DONAT, qui a été récemment réaffecté à Bukavu. Sur le plan politique, son principal lieutenant a été Frederic BUMBA et Honoré AGOYO, l’ex-président de l’Assemblée Provinciale et notable coutumier,  et son dernier ministre de l’Intérieur .

Manzikala est corrompu à plusieurs niveaux. Fréquemment, il a passé beaucoup de temps en Ouganda, en exerçant ses activités commerciales et de contrebande. Il aurait une maison en Grèce, après la visite de courtoisie rendue à commerçant en février 1965. Il n’y a apparemment rien qu’il ne puisse faire pour de l’argent. Récemment, il a accepté 5.000 Pounds Soudanais d’un émissaire du gouvernement soudanais, en échange de son accord à livrer les réfugiés Soudanais qui se trouvaient à la frontière. (On ne sait pas s’il avait effectivement rendu ce service).  Il a aussi été soupçonné dans la vente de l’or en Ouganda, obtenu illégalement dans les mines de Kilo-Moto, près de Watsa.

Sur le plan personnel, Manzikala est un dépravé et un très grand truand. Le missionnaire américain, physicien, qui l’avait soigné et qui le connaît bien, a déclaré qu’il a un sérieux problème d’alcool pour lequel il avait été hospitalisé et une fois presque à l’agonie. Quand bien même il ne s’abuse lui-même, il prend plaisir à abuser les autres —-fréquemment ses maîtresses—dont les plaies infligées par le gouverneur ont été également soignées par les missionnaires. En 1965, lorsque Manzikala en avait assez d’une des ses trois maîtresses métisses, il lui mordu le nez avant de la discréditer.

Comme déjà mentionné ci-haut, Manzikala a apparu raisonnable et bienveillant à l’égard des commerçants européens et leurs activités. Il a été plus dur envers les missionnaires belges, qu’il suspecte comme faisant partie du réseau des renseignements du gouvernement belge. Par contre, Il a été plus amical avec les missionnaires américains de la région de Kibali-Ituri et est souvent intervenu dans leurs activités qu’il considère comme apolitiques. Manzikala a souvent affiché son respect pour le pouvoir et la politique américains, et fréquemment exprimé sa volonté de visiter les États-Unis. Il affirme qu’il avait changé son nom de Jean-Fauster à John Foster (aussi occasionnellement Jean Foster ou John Fauster) en guise d’admiration pour la politique anti-communiste de Mr. Dulles, dominée par la force. Tout récemment, toutefois, il semble préférer la version originale de son nom.

Manzikala est d’environ 5’8’’ ( ?), de corpulence moyenne, et apparaît comme ayant 35 ans d’âge. Il a souvent entretenu de longs favoris et porté une fine moustache. S’il n’est pas dans ses tenues « retroussons-les manches », il arbore souvent un accoutrement flashy et peu orthodoxe. Il impressionne comme étant rusé plutôt que sage, et il n’a probablement qu’une intelligence moyenne. Il parle swahili, un bon français, et plusieurs dialectes de la frontière Nord-Est du Congo.

Rapport confidentiel biographique réalisé par l’Ambassade des USA, le 12 janvier 1967.

RÉACTIONS

La nomination de Jean Faustin Manzikala comme gouverneur du Katanga a été un événement marquant de la consolidation du pouvoir de Joseph Désiré Mobutu.

La conjoncture politique de 1964 était complexe. En effet, le Congo venait de résorber la sécession katangaise en 1963. Au cours de la même année une rébellion éclata à partir du Kwilu. Comme un feu de paille, cette rébellion s’étendit jusqu’à l’Est du pays sous la houlette du CNL (Conseil National de Libération). Le CNL fut créé à Brazzaville et regroupait tous ceux qui se réclamaient de PE Lumamba exécuté au Katanga le 17 janvier 1961.

Les circonstances politiques furent qu’on puisse recourir à l’ancien Président du Katanga sécessionniste Moïse Tshombe pour réduire la rébellion. Ce dernier fut un retour triomphal à Kinshasa. Il prit les fonctions de Premier Ministre. Il ramena dans ses valises les mercenaires belges et ses troupes de la Gendarmerie Katangaise refugiée en Angola. Tout ce beau monde fut sous le commandement de JD Mobutu.

Les mésententes au sein du CNL, dû aux luttes de leadership, et le manque d’une ligne politique claire sonnèrent les glas de la rébellion. La coalition du gouvernement central prit le pas et la rébellion fut dispersée. À la fin de la rébellion, la redistribution des cartes s’imposa. Les élections eurent lieu en 1965 et la coalition dirigée par Moïse Tshombe (CONACO) remporta haut la main.

Moïse Tshombe détenant la majorité parlementaire devait tout naturellement former le gouvernement. Il en fut tout autrement. Maintenant que la paix était revenue personne ne voulait de Moïse Tshombo. Le Président Joseph Kasa Vubu désigna Evariste Kimba formateur, un ancien protégé de Moïse Tshombe. Le gouvernement Kimba n’obtint pas l’assentiment du parlement. Malgré cet échec au parlement, le Président Kasa-Vubu renomma le même Evariste Kimba formateur. C’est fut l’impasse qui ouvrit la porte toute grande à JD Mobutu le 24 novembre 1965.

Aussitôt au pouvoir, JD Mobutu annonça ses couleurs. Les politiciens devaient être neutralisés pendant cinq ans. Le président sortant fut envoyé en exil intérieur dans son village. Moïse Tshombe reprit le chemin de l’exil extérieur en Espagne. L’infortuné Evarsite Kimba fut pendu en 1966 avec trois autres politiciens à Kinshasa. La table était mise pour un pouvoir fort.

Bien qu’étant un élu de la CONACO lors des élections de 1965. Jean Faustin Manzikila s’allia au nouveau pouvoir de JD Mobutu. Il participa, avec Victor Nendaka, à la chasse aux anciens rebelles mulelistes dans la province orientale en général et à Kinsangani à particulier. Ces opérations se déroulèrent avec une brutalité sans commune mesure.

Durant la même période de 1966, une mutinerie éclata parmi les troupes des gendarmes katangais stationnés encore à Kinsangani et encadrés par les mercenaires. Officiellement, les mutins réclamaient des soldes impayés. Mais il était aussi question d’une tentative de prise de pouvoir orchestrée par Moïse Tshombe. En 1967, une autre minuterie éclata encore à Kisangani. C’étaient les mercenaires en première ligne entourés de la troupe de la gendarmerie katangaise. Ceux-ci finirent par quitter le Congo par le Rwanda.

Après ces épisodes de mutineries de Kisangani, les blancs furent désarmés et évacués vers l’Europe. Quand les congolais restèrent entre eux, le chef des mutins, le colonel Tshipula fut arrêté et exécuté. Les autres chefs de la gendarmerie katangaise furent envoyés à Ekafela à l’Équateur. Ils y périrent sans autre forme de procès. Une partie des hommes de troupes retournèrent à la vie civile au Katanga.

C’est ainsi qu’en 1967, JD Mobutu nomma Jean Faustin Manzikala gouverneur du Katanga. Il avait comme mission de débusquer tous les anciens gendarmes katangais. Il exécuta cette mission avec une cruauté sans réserve. Il les traqua partout en procédant par des enlèvements et des exécutions sommaires sous le prétexte de combattre le banditisme. Il fut un des gouverneurs le plus craint lors de son passage au Katanga. Il commit l’erreur d’oublier un prêtre orthodoxe grec dans le coffre d’une voiture. Lorsque ce prêtre fut découvert. JD Mobutu fut contraint de muter pour faire bonne figure.
Ilunga BUKASA. 

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