Religion/RDC: l’autre visage du cardinal Monsengwo

Cardinal Laurent Monsengwo

Par Paul Béré

Jésuite burkinabè, spécialiste de sciences bibliques et enseignant-chercheur à l’Institut biblique pontifical (Rome).

Le cardinal Laurent Monsengwo, à Rome en février 2015.
Décédé le 11 juillet, le cardinal Laurent Monsengwo a été inhumé ce 21 juillet.

Si beaucoup saluent la mémoire d’un fin politique, très peu savent qu’il l’est devenu grâce à sa maîtrise de l’exégèse biblique.

Du cardinal Laurent Monsengwo Pasinya, décédé ce 11 juillet, on croit tout savoir, parce qu’il était une voix qui résonnait dans la sphère publique. Mais, à y regarder de près, on réalise qu’on en sait trop peu. Comme nul ne l’ignore, il avait l’art de mettre les Mots sur les maux du Congo (titre d’un ouvrage collectif consacré à l’analyse de quelques-uns de ses discours, paru en mai dernier).
L’héritage très politique du cardinal
Interprète chevronné
Mais d’où tirait-il le souffle qui alimentait l’à-propos de ses prises de parole ? Peu de personnes savent qu’il lui venait de l’exégèse biblique : il était avant tout un interprète chevronné des Saintes Écritures. C’est de là que vient, me semble-t-il, l’acuité de sa sensibilité pour les questions sociales et pour la loi. Premier Africain docteur en sciences bibliques de l’Institut biblique pontifical de Rome, il présenta le 12 février 1971 une thèse doctorale intitulée « La notion de nomos dans le Pentateuque grec ». Cette recherche programmatique traçait le sillon d’une profonde enquête sur la manière dont la bible grecque recueillait par le « nomos» la notion fondamentale de la Torah hébraïque.

Repérer, par le biais de la traduction, le passage d’une conception socio-anthropologique de la loi du monde culturel des Hébreux à celui des Grecs conférait à l’exégète Monsengwo un outil scientifique pour sa mission : intégrer les Saintes Écritures dans la vie des communautés chrétiennes d’Afrique. Le jeune chercheur ouvrait ainsi le vaste chantier de l’herméneutique africaine de la Bible qui l’occupera toutes les années de ses enseignements et recherches aux Facultés Catholiques de Kinshasa.

Au congrès organisé à Jérusalem en 1972 sur L’Afrique noire et la Bible, le jeune professeur Monsengwo offrait ses premières intuitions avec sa relation : « Herméneutique et interprétation africaine de la Bible ». Et à partir de 1978, il organisera avec ses collègues exégètes des séminaires de recherche biblique intitulés  Journées bibliques africaines. C’est à l’occasion de la troisième édition de ces Journées, en 1987 à Yaoundé, que naîtra sous son impulsion une association savante appelée Association panafricaine des exégètes catholiques (Apeca). Sa mission : offrir une exégèse scientifique rigoureuse de la Bible, d’une part, et, d’autre part, répondre aux questions que posent les contextes de vie des chrétiens d’Afrique aux auditrices et auditeurs de cette Parole de Dieu.

Le professeur Monsengwo en sera le président pendant douze ans, manifestant ainsi son leadership. Cette association organisera, en 2005 à Kinshasa, un congrès pour célébrer le jubilé d’argent de son président ordonné évêque en 1980. À cette occasion, les membres de l’association lui décerneront le titre de « Sage » à la manière de Salomon, ce roi qui désira un cœur qui écoute pour bien gouverner.

Comme évêque, Laurent Monsengwo prendra l’initiative de la création d’un Centre biblique pour l’Afrique et Madagascar (Cebam, en anglais BICAM). À ce Centre fut assignée la mission de promouvoir à l’échelle du continent une meilleure connaissance de la Bible dans les communautés chrétiennes. Aujourd’hui, il est sous l’égide du Symposium des Conférences Épiscopales d’Afrique et de Madagascar (SCEAM). Ce souci majeur de Monsengwo pour les Saintes Écritures n’échappera pas à Jean-Paul II qui le nomma membre de la Commission Biblique Pontificale (1985-1989). On ne s’étonnera donc pas de lire en page 9 du document Unité et diversité dans l’Église publié en 1988 par la Commission que « la grâce de la catholicité implique une authentique diversité entre les communautés ecclésiales dans la même communion ».

Lors de la douzième Assemblée générale ordinaire du Synode des Évêques sur la « Parole de Dieu dans la vie et la mission de l’Église », tenue à Rome du 5 au 26 octobre 2008, son expertise en sciences bibliques sera davantage révélée au grand jour. Il y jouera le rôle de secrétaire spécial, c’est-à-dire chargé, en tant que spécialiste de la matière traitée, de coordonner la production des documents issus des délibérations des participants. On se souvient de l’aisance avec laquelle il donnait lecture de la relation générale des travaux de ces assises, produite en latin !

Pour que ce monument vivant des sciences et de la pastorale bibliques serve de « role model » (comme on dit en anglais), l’Institut de théologie de la Compagnie de Jésus, une institution universitaire de formation théologique des Jésuites à Abidjan, créa, le 30 septembre 2015, la Chaire Cardinal Laurent Monsengwo Pasinya pour promouvoir la recherche biblique. Ainsi furent invités à donner des conférences, d’une année à l’autre, les professeurs Jean-Bosco Matand Bulembat (RD Congo), Marc Girard (Canada), Joëlle Ferry (France), Moïse Adekambi (Bénin), Jean Louis Ska (Belgique/Italie), André Kabasele Mukenge (RD Congo), Paulin S. Poucouta (Congo [Brazzaville]), Thomas C. Römer (Suisse/France), André Wénin (Belgique). Fort heureusement, à l’occasion des 80 ans du cardinal Laurent Monsengwo, un livre hommage fut publié avec la contribution de ces différents conférenciers sous le titre Carrefour des Écritures : Mélanges en hommage à Monsieur le Cardinal Laurent Monsengwo Pasinya à l’occasion de ses 80 ans (1939- 2019) coédité par les Presses de l’ITCJ (Abidjan) et la GBPress (Rome).

L’homme avait une très riche personnalité. Ce bref aperçu sur le spécialiste des sciences bibliques aurait besoin des harmoniques sur l’âme du musicien très peu connu qui jadis fit vibrer les orgues de la basilique Saint-Pierre de Rome. Mais c’est là un autre hommage… qui mérite une autre page !

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