Je vois déjà les Congolais passer leur temps à scruter la facture de 18 milliards USD du budget national, et de ce fait, sans le dire ou le comprendre, les critiques et les partisans approuvent les arguments sous-jacents d’un exercice de camouflage de la médiocrité déguisée en ambition économique. Le discours officiel met en avant les secteurs productifs, la sécurité, l’éducation, les infrastructures et le bien-être social. Mais la véritable priorité, dictée par des impératifs populistes, se concentre sur l’armée, des gains superficiels de pouvoir d’achat, le maintien le train de vie des membres des institutions et un grand pari sur l’agriculture, que je juge nettement mal orienté. Une question légitime se pose : ce budget est-il conçu pour juste offrir l’illusion d’une réforme ? Ce tour de passe-passe détourne les ressources des investissements structurels et cérébraux, essentiels à la modernisation économique et à la transformation de la société.
Alors que j’étais encore très jeune, visitant le parc des Virunga, on m’a appris qu’un rhinocéros en chasse peut atteindre des vitesses allant jusqu’à 56 kilomètres par heure. Cependant, sa masse et son élan rendent les virages serrés presque impossibles, surtout à grande vitesse. Plutôt que de tenter de le distancer, la seule stratégie est de sortir de son chemin. Si le rhinocéros tente un arrêt brusque, il risque de trébucher et de se blesser gravement, voire de mourir. L’animal doit percuter un obstacle, se réaligner et repartir à l’assaut. Ainsi, pour survivre à une charge de rhinocéros, il suffit de constamment échapper à sa trajectoire, évitant ainsi un impact potentiellement fatal.
Alors pourquoi les gouvernements congolais successifs se comportent-ils comme ce rhinocéros, fonçant tête baissée sous les applaudissements d’une population qui n’en tire aucun bénéfice ? Pire encore, quand réaliserons-nous que nous poursuivons les mauvaises cibles ? Mais surtout, sommes-nous capables de changer de cap ? À la lumière de la définition contemporaine de l’identité nationale et de nos structures sociales et politiques, je peux affirmer sans hésitation : non.
Combien de Manières Puis-Je Crier le Même Message ?
Il n’y a pas de domaine où les Congolais semblent vouloir jouer les rhinocéros comme dans l’agriculture. Face aux critiques incessantes sur mon opposition à faire de ce secteur une priorité, beaucoup restent réticents à scruter les chiffres. Nombreux sont les pays qui affichent d’énormes déficits agricoles, incapables de répondre à leurs besoins alimentaires, de même que les grands importateurs ont des populations bien inférieures à celle de la RDC.
En 2022, plusieurs nations ont enregistré des déficits agricoles colossaux. La Chine se démarque avec un déficit monumental de 137,2 milliards de dollars, suivie du Japon, avec 48,6 milliards de dollars, soutenus par 57 milliards d’importations pour 125 millions d’habitants. Le Royaume-Uni, avec ses 66 millions de citoyens, a accumulé un déficit de 35,4 milliards de dollars après avoir importé 62 milliards de dollars de produits agricoles.
D’un autre côté, en 2020, l’Allemagne, avec ses 83 millions d’habitants, a importé 95 milliards de dollars en produits agricoles. Les Pays-Bas, avec seulement 17 millions d’habitants, ont dépensé 69 milliards de dollars, et même la Belgique, avec ses 11 millions d’habitants, a importé 38,44 milliards de dollars.
En comparaison, la RDC, avec plus de 100 millions d’habitants et une facture agricole d’importation de seulement 4 milliards de dollars, ne figurant pas parmi les 20 premiers pays en termes de terres arables, abritant le plus grand nombre de personnes vivant dans une extrême pauvreté au monde, révèle un problème bien plus préoccupant : ce n’est pas le manque de production qui pose souci, mais le manque d’importations de nourriture ou de matériel nécessaires, dû à la pauvreté économique.
Et comme mise en garde, les pays les plus dépendants des ressources agricoles au monde figurent souvent parmi les moins développés. Il faut dire qu’un déficit commercial peut indiquer une faiblesse économique, mais un déficit agricole énorme à la fin du 20e siècle et au 21e siècle reflète le développement rapide d’un pays, ce qui est finalement positif.
Attaques mal placées sur des tours qui ne méritaient pas le drame
Tout a commencé avec la grande promesse du président Tshisekedi de créer, par tous les moyens, des millionnaires, mettant l’accent sur une distribution de la richesse du haut vers le bas, au lieu de mettre en place un écosystème propice à la mobilité économique et sociale. Cette approche démontre une ignorance du rôle crucial de la classe moyenne et de l’environnement instable qui a ouvert la voie à une série interminable de scandales financiers.
Ensuite, une énergie toxique est consacrée à l’éloge incessant de l’entrepreneuriat, au détriment de la valorisation des artisans et commerçants. Il est stupéfiant de constater la négligence dont on fait preuve à l’égard de ces acteurs essentiels, véritablement au cœur de l’échange de biens et de services. Ce sont eux qui constituent le pilier fondamental du commerce et de la société dans son ensemble, et non les entrepreneurs, comme tant de personnes se trompent à le croire.
Que dire de l’énergie gaspillée dans la quête d’un accès élargi à une éducation de base, alimentée par l’illusion de la gratuité de l’enseignement ? Il serait bien plus judicieux d’investir dans la mise à jour et la modernisation de la qualité du système éducatif, un domaine où la technologie pourrait véritablement combler les lacunes d’accès. Cela revient à affirmer que la réduction du nombre d’illettrés, même de manière superficielle, est plus prioritaire que le développement d’une main-d’œuvre qualifiée ou l’amélioration des moyens individuels pour initier ou s’engager dans le commerce ou l’entrepreneuriat, comme dans un dialogue moderne. Ce faisant, cela révèle une méconnaissance des fondements de la richesse moderne sur lesquels une nation se construit.
Nous pouvons ajouter à cette accumulation des attaques mal placées l’invitation du président Tshisekedi faite à la diaspora de rentrer au pays, plutôt qu’un système de recrutement des expatriés congolais. Cela équivaut à un système de sélection et de récompense visant à drainer les compétences et les talents congolais de tous horizons vers leur terre natale.
Les Maladies et leurs Remèdes Constitutionnelles
Comment mettre fin à ce cirque ? Il semble qu’il n’y ait pas un jour sans qu’un individu ne prétende que ses actions sont alignées avec la vision du président Tshisekedi, alors que l’on devrait plutôt se concentrer sur l’amélioration du niveau de vie de son employeur, plus de 100 millions de Congolais. Personne n’ose aborder les promesses faites par le président lors de sa campagne, de crainte de raviver le souvenir de « déclarations de guerre contre le Rwanda à la moindre escarmouche ». Parfois, je suis tenté d’implorer le président de bannir les membres des institutions publiques des écrans de télévision et des journaux. Mais comment mes amis, mendiants dans les médias, pourraient-ils survivre ? En réalité, le système de gouvernement semi-présidentiel impose une structure à l’exécutif, peuplée de mercenaires politiques.
Le remède dans le projet de correction de la constitution : ARTICLE 44. Le pouvoir exécutif est confié au Président de la République. Il exercera ses fonctions pendant le mandat de cinq ans, renouvelable ou réexercé une fois au cours de sa vie, et, avec le vice-président, choisi pour le même mandat. ARTICLE 63. Le Gouvernement est composé du Président de la République, du Vice-Président de la République, du procureur général de la république, des ministres et vice-ministres.
L’idéologie descendante, héritée de la colonisation, rend le projet des 145 territoires non seulement manquent de pertinence dans la vie des Congolais, mais constitue également un immense gâchis qui alimente que l’appétit de prestige du président de la République. Cette approche idéologique, où les habitants de la République de la Gombe semblent s’illusionner sur les besoins du reste de la nation tout en partageant le gâteau à leur convenance, ne fait qu’aggraver le fossé entre les différentes régions.
Toutefois, la décentralisation ou la relocalisation des fonctions administratives hors d’un centre unique ne favoriseront ni la croissance économique rapide ni la transformation sociale de la nation. Au contraire, la dévolution, qui consiste à transférer le pouvoir vers d’autres entités, accompagne des opportunités de mobilité économique et sociale, s’étendant au-delà des villes urbaines vers les zones rurales.
La dévolution, l’habilitation des entités territoriales décentralisées, est exprimée dans le projet de correction de la constitution comme suit : ARTICLE 24. Sans préjudice des autres dispositions de la présente Constitution, les matières suivantes relèvent de la compétence exclusive des entités territoriales décentralisées : la police locale, les pompiers, la santé, l’enseignement primaire et secondaire, les transports publics, les services publics, l’immobilier, les infrastructures locales, le commerce et la protection de l’environnement. En outre, il est chargé de réglementer les petites et moyennes entreprises. Les entités perçoivent les impôts suivants : Impôts sur les transactions de production économique. Il est basé sur un ensemble de pourcentages de la valeur des ventes (ad volorem). Impôts fonciers. Elles peuvent créer des taxes dans le domaine de leur juridiction. Elles peuvent émettre des obligations avec l’approbation du Parlement provincial. Elles peuvent créer des sociétés économiques mixtes pour exploiter les ressources naturelles, minières ou pétrolières de leur sous-sol. Elles délivrent les permis de recherche ainsi que les permis d’exploitation.
Pour s’assurer que les territoires où sont extraites et exploitées les ressources naturelles en tirent le maximum de bénéfices : ARTICLE 16. Alinéa 5. Une entreprise qui produit ou exerce une activité d’extraction ne peut ni exporter ni vendre directement sur le marché. Cette dernière devra vendre à sa filiale ou à une autre entreprise ou à un particulier qui aura alors la liberté de vendre sur le marché ou d’exporter le bien. Cela se produit un impôt sur les transactions économiques.
Kamulangu ? La fierté liée à une source culturelle est à applaudir. Cependant, le plaidoyer fondé sur l’appartenance à un groupe culturel particulier constitue un poison pour l’ensemble de la nation. Il est crucial de se prémunir contre le danger de l’habilitation des entités territoriales décentralisées, ou du tribalisme, qui pourrait empoisonner la dévolution congolaise. Le remède : ARTICLE 3. La nationalité congolaise est soit d’origine, soit d’acquisition individuelle. Est Congolais d’origine, toute personne née sur le sol congolais. Le garde-fou : ARTICLE 2. Alinéa 4 & 5. Les limites des provinces et les entités territoriales décentralisées sont fixées et peuvent être modifiées par la loi pour s’adapter à l’évolution de la situation économique, sociale et géographique. Toute modification des limites des provinces et des entités territoriales décentralisées pour de raisons culturelles ou politiques est prohibée.
Comme remède contre le tribalisme et le chantage financier exercé par le pouvoir central sur les entités territoriales (décentralisées-dévolues), l’Article 207 (L’autorité coutumière) et l’Article 181 (La Caisse nationale de péréquation) de la constitution de 2006 sont abrogés, pour dire radiés.
Enfin de briser le schéma des institutions publiques qui consistent à utiliser des étrangers pour vider les caisses de l’État : ARTICLE 16. Alinéa 5. L’État ne peut traiter ou conclure des contrats qu’avec des sociétés enregistrées en République Démocratique du Congo dans lesquelles des Congolais possèdent plus de 50 pour cent des actions ou détenues par un citoyen congolais.
Pour boucher la voie à la série interminable de scandales financiers : ARTICLE 20. Les dépenses liées au fonctionnement des institutions ne peuvent excéder 50 pour cent du budget. Sur le montant restant, 50 pour cent devraient être alloués aux dépenses sociales, 25 pour cent aux infrastructures et 25 pour cent aux investissements. L’allocation de 25 % du budget national, provincial et des entités territoriales décentralisées doit être déterminée pour les organisations de la société civile enregistrées à chaque niveau respectif.
Sourd, muet, aveugle, ou peut-être le tout à la fois ?
On m’a un jour demandé comment caractériser l’opposition congolaise. Ma réponse, empreinte d’une mélancolie lucide, était simple : Dupont et Dupont et Dupont et… L’opposition s’enlise dans une guerre politique de guérilla, où les intérêts individuels semblent souvent primer sur ceux de la nation. Pour eux, à cause de Tshisekedi, les États membres de l’ONU devraient rejeter la candidature de la RD Congo au Conseil des droits de l’homme, comme si cela pouvait réellement influencer la vie des Congolais, en dehors d’un prestige national illusoire. Et le plus arrogant de tous crie haut et fort qu’il faudrait une concertation nationale, pour repartager le gâteau je présume. Étrangement, ils restent silencieux sur toute revendications socio-économiques des Congolais et n’offrent aucune contre-expertise face à la Loi des Finances 2025, renforçant l’impression d’une complicité avec le statu quo.
Ils devraient se bousculer pour démontrer qu’ils ne sont ni des charlatans ni des nains intellectuels. Cependant, tout comme mes interrogations à leur sujet, je peine à discerner si le gouvernement est sourd, muet, aveugle, ou tout cela à la fois. Peut-être les deux camps ne sont-ils que des rhinocéros, indifférents aux cris de désespoir qui résonnent autour d’eux.
Une chose est indéniable : la Loi des Finances 2025 n’est qu’un énième détour face à l’énigme persistante qui nous hante : comment mettre fin à l’humiliation politique, sociale et économique qui s’étire depuis plus d’un siècle ? Les lecteurs devraient depuis longtemps savoir comment déterrer la prescription que j’ai formulée pour la RDC, un remède qui, pourtant, reste à portée de main.
Jo M. Sekimonyo
Écrivain, théoricien, défenseur des droits de l’Homme et économiste politique
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