RDC : l’Ituri dans « une spirale mortifère », selon le PAM

« En huit jours, nous avons dénombré au moins 123 civils tués », note Pierre Boisselet, coordinateur du Baromètre sécuritaire du Kivu (KST), un groupe de chercheurs présents dans les zones de conflits dans l’est de la RDC.Des soldats congolais

Drodro, Tchabi, Ivo, Kateza, Ndoya… Les noms de localités attaquées en Ituri, dans le nord-est de la République démocratique du Congo (RDC), s’égrènent jour après jour. Plus d’une centaine de personnes y ont été tuées en une semaine.

Une opération militaire a été lancée mardi depuis l’Ouganda dans cette province et celle voisine du Nord-Kivu contre les rebelles des Forces Démocratiques Alliées (ADF), considérés par Kampala comme les auteurs de récents attentats djihadistes. Mais l’Ituri subit les exactions d’autres groupes armés. Trois des cinq « territoires » de la province sont particulièrement touchés.

Ceux de Djugu et Mahagi, où les différentes factions de la Coopérative pour le développement du Congo (CODECO), qui prétendent défendre les intérêts de la communauté Lendu, attaquent principalement les membres de la communauté Hema. Plus au sud, l’Irumu, où les ADF ont massacré près de 300 personnes depuis le début de l’année.

Attaques de camps de déplacés

« En huit jours, nous avons dénombré au moins 123 civils tués », note Pierre Boisselet, coordinateur du Baromètre sécuritaire du Kivu (KST), un groupe de chercheurs présents dans les zones de conflits dans l’est de la RDC. Un bilan que l’armée ne confirme pas. Des dizaines de milliers de personnes, déjà chassées de leurs villages par les violences, ont dû s’enfuir à nouveau en abandonnant tout derrière elles au cours d’attaques dans les camps de déplacés de Djugu.

« Nous avons connu quatre attaques sur des sites de déplacés. En plus des dizaines de morts et de blessés, beaucoup ont été kidnappés autour de ces sites où ils étaient venus chercher une protection », s’alarme Joseph Inganji, chef de la coordination humanitaire des Nations unies (OCHA) en RDC.

« Spirale mortifère »

« Nous assistons à une spirale mortifère », s’indigne également Erwan Rumen, un coordinateur du Programme alimentaire mondial (PAM). « Plus il y a de violence, plus il y a de personnes dans le besoin et moins les humanitaires ont accès à ces personnes », explique-t-il. Or, « quand les gens ne peuvent plus répondre à leurs besoins primaires, il y a mécaniquement plus de candidats pour rejoindre les groupes armés, qui eux-mêmes génèreront encore plus de violence ».

Le 21 novembre, l’attaque contre le camp de Drodro, qui abritait 16 000 déplacés, a coûté la vie à au moins 29 personnes. Dans des vidéos transmises à l’AFP, on aperçoit des centaines de personnes courir à travers champs pour échapper à l’assaut lancé par une faction de la Codeco.

Protection des Casques bleus

Dimanche 28, un autre site de déplacés proche de Drodro a été attaqué. Au moins 22 morts. Toute la semaine, des milliers de personnes sortant des broussailles et des forêts se sont entassées à Roe, à quelques kilomètres, autour d’une base de la Mission de l’ONU (Monusco).

Au moins 75 000 personnes y survivent aujourd’hui, sous la protection de 150 Casques bleus du Bangladesh et du Guatemala.« Nous continuons à mobiliser toutes nos ressources pour soutenir les dizaines de milliers de Congolais qui ont trouvé refuge à proximité de nos bases », assure Mathias Gillmann, porte-parole de la Monusco.

« Accidents de sécurité »

Joseph Inganji d’OCHA rappelle que « plusieurs acteurs humanitaires ont connu des incidents graves de sécurité ces dernières semaines et ne sont plus en mesure de fournir une aide aux populations ».

Le 28 octobre, un véhicule de Médecins sans Frontières (MSF)était attaqué, deux de ses occupants blessés par balle. Stephan Hauser, un des coordinateurs de MSF, déplore que seul un des trois projets qui étaient en cours en Ituri « fonctionne encore à plein régime ». Même constat au PAM, qui n’a pu atteindre « jusqu’ici qu’un tiers des 310 000 bénéficiaires de l’aide prévue pour novembre-décembre ».

Émissaires de paix

A l’été 2020, une demi-douzaine d’anciens chefs de guerre, dont le général Germain Katanga, condamné en 2014 par la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes de guerre, ont été envoyés par le président Félix Tshisekedi en émissaires de paix dans l’Ituri, où ils avaient eux-mêmes semé la terreur dans les années 2000.

Après avoir négocié un cessez-le-feu avec certaines factions de la CODECO, ils ont été rappelés à Kinshasa à la fin de l’année. Mais sept mois après l’instauration de l’état de siège et la reprise des opérations militaires, Felix Tshisekedi vient de leur demander de repartir en Ituri et de renouer le dialogue avec les groupes armés. Un membre de cette équipe, Jeannot Malivo, disait la semaine dernière sur Twitter être investi d’« une lourde mission, celle d’aller convaincre les groupes armés locaux de cesser les hostilités ».

Après des années de guerres meurtrières, opposant principalement les Hema aux Lendu, l’Ituri a connu un calme relatif pendant près de 20 ans. Fin 2017, les violences reprennent, sporadiques d’abord puis de plus grande ampleur en 2019, avec des factions communautaires structurées et bien armées. Malgré l’état de siège en Ituri et dans le Nord-Kivu, plus de 1 200 civils ont été massacrés depuis mai.

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