Pourquoi faudrait-il échouer ? (Une tribune de Didi Tshongo)

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La question mérite d’être posée ! Mais avant tout, il est crucial de distinguer échec, faute et erreur, de la même manière que l’on peut revenir sur les notions de succès, de vrai et de réussite. Si l’on se penche sur les définitions et l’étymologie de chacun, nous découvrons respectivement une dimension personnelle, morale et descriptive. De là à affirmer que notre construction (sociale, personnelle, psychologique) de l’échec est erronée, il n’y a qu’un pas.
L’erreur que nous commettons porte sur l’objet de l’échec : nous considérons que l’échec englobe, alors qu’il n’est possible que sur ce que je fais et sur ce que l’on en perçoit. Jamais l’échec n’est admissible sur ce que je suis. Il ne peut y avoir un échec du Moi, au risque d’atteindre un stade où la fragilité narcissique devient une brûlure profonde.
Nous ne sommes pas égaux face à l’échec dans la mesure où nous nous approprions plus ou moins nos échecs : chacun a un locus de contrôle différent qui le mène à considérer que sa vie ou bien lui échappe (ses succès émanent donc de la chance, mais ses échecs correspondent à une série d’événements négatifs qui ne dépendent pas de lui), ou, au contraire, qu’il maîtrise totalement ce qui peut arriver (ainsi, si les succès sont pleinement assumés, les échecs sont imprimés au plus profond de soi).

Dans une civilisation qui a longtemps rejeté l’échec et qui se méfie de la réussite (tout en faisant du succès un idéal à atteindre, nous ne sommes pas à une injonction paradoxale près), nous devons alors combattre le perfectionnisme et la fascination pour le parfait.

Dans un sens, il s’agit de faire la distinction entre mal et négatif, à l’instar de François Jullien :
 » Le mal et le négatif désignent la même chose (la violence, la maladie, la mort, etc.), mais sous deux angles opposés : le mal fait l’objet d’un jugement, qui est d’exclusion ; tandis que le négatif fait l’objet d’une compréhension qui l’inclut de façon logique. Le mal nuit / le négatif coopère. »

Et il y a urgence ! Repenser nos échecs n’est pas qu’une nouvelle manière d’assurer son développement personnel. C’est un changement de paradigme complet et profond pour notre société qui s’est perdue en se créant de nouvelles idoles de réussite, cachant leurs efforts, leurs peurs, leurs craintes, leurs échecs passés pour ne conserver que le socialement acceptable.

La défaite nous ment quand elle nous fait croire que nous sommes un raté. Le succès nous ment lorsqu’il nous invite à confondre une réussite conjoncturelle ou une image sociale avec ce que nous sommes au fond.

Dans tout échec, nous retrouvons la force de vivre en nous. Cela nous permet de ne jamais baisser les bras.

Une véritable philosophie de l’échec serait capable de mettre en évidence la vertu de celui-ci, de montrer qu’une sagesse peut être enfantée par l’échec quand le succès, lui, ne produit au mieux qu’une ivresse. Cette vertu de l’échec est la grande absente de la tradition philosophique occidentale.

Ce que les « grands philosophes » nous en disent serait plutôt de nature à nous culpabiliser. Lorsque nous nous trompons, lorsque nous « errons », c’est, selon Descartes, que nous avons fait un mauvais usage de notre volonté – cette faculté humaine la plus importante, la seule par laquelle nous ressemblons à Dieu. Il y a donc vraiment de quoi s’en vouloir !

Pour Kant, l’échec serait davantage dû à un mauvais usage de la raison, cette faculté grâce à laquelle nous essayons de nous arracher à nos penchants les plus bas.

Échouer, c’est alors échouer dans le processus même de notre humanisation ! Quelle distance avec cette idée, tellement salutaire pourtant, que nos échecs peuvent nous grandir – avec cette idée, révélée par Freud, puis Lacan, vérifiée dans toute l’histoire de la médecine, que c’est quand « ça ne marche pas » que nous comprenons un peu comment ça marche. Tel est pourtant le sens du symptôme : un dysfonctionnement qui en dit long sur notre « fonctionnement ».

La vertu de l’échec : nous offrir un temps d’arrêt, d’examen, de retour sur soi ; nous offrir la chance d’arrêter d’avancer. Bien sûr, il est des échecs dont nous ne nous relevons pas, des ratés auxquels nous avons le malheur de nous identifier, confondant douloureusement « avoir raté » et « être un raté ». Bien sûr, nous n’avons pas tous les mêmes ressources pour rebondir. Raison de plus pour rappeler que la réussite n’est pas le succès. Il est des succès dangereux, trop précoces, trop enivrants : le sport de haut niveau regorge d’exemples de champions détruits par un succès prématuré.

Nous oublions si souvent que le succès a un coût, que la réussite n’est jamais une succession de succès. La réussite, sur le long terme, est toujours une succession d’échecs et de succès.
Didi Tshongo

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