Page d’histoire : Mobutu élu à vie avec 99,99% en 1970

En cette année électorale où ce rendez-vous avec l’histoire de la République démocratique du Congo gagne déjà les esprits, la rédaction de sphynxrdc.com revient sur l’élection du citoyen Joseph Désiré Mobutu Sese Seko Kuku Ngwendu Waza Banga en 1970. Ce dernier qui organisa lui même ces scrutins fut élu à vie avec 99,99% des voix. Ceci démontre, à suffisance, d’où vient ce pays où tout le peuple réclame des élections libres et transparentes. Retour sur cet épisode sombre avec cet article de Samuel Malonga tiré de mbokamosika.com.

L’avènement de Mobutu

Portrait officiel de Mobutu Sese, président de la RDC

Au petit matin du jeudi 25 novembre 1965 qui a marqué à jamais l’histoire de notre pays, la population découvre le visage du nouvel homme fort du Congo-Léo. Officier bien connu, il est le chef de l’armée et s’est beaucoup impliqué dans la politique nationale depuis l’indépendance. Il s´appelle Joseph-Désiré Mobutu; son grade: lieutenant-général. Il vient de réussir son deuxième coup avec la complicité de ses frères d’armes. Joseph-Désiré le fils vient de prendre la place de Joseph son père. Ci-dessous les moments-clés qui ont marqué son arrivée au pouvoir suprême.

Samedi 20 novembre 1965

Sous prétexte de commémorer la prise de Stanleyville aux rebelles de Christophe Ngbenye le 24 novembre 1964, Mobutu rassemble autour de lui tous les membres du Haut commandement militaire pour faire le point sur la situation politique du pays. Kasa-Vubu, chef d’État et chef suprême de l’armée n’est pas présent et n’est pas non plus représenté. 

Mercredi 24 novembre 1965

La longue nuit commence. Mobutu coordonne les préparatifs du coup d´État à partir de sa résidence du camp Tshatshi où il a réuni tous les officiers supérieurs. Personne ne communique avec  l´extérieur. Le général est assisté par le lieutenant Denis Ilosono son secrétaire particulier. Son épouse, Marie-Antoinette, sert de la nourriture et de la boisson à tous ces épaules galonnées alors que le major Wabali est occupé à couper la ligne téléphonique de Kasa-Vubu. Isidore Ndaywel è Nziem raconte dans son livre Histoire générale du Congo:  » Pendant ce temps, certains membres du gouvernement se montrèrent préoccupés. Kimba, lui-même intrigué par le fait que Kasa-Vubu ne s’était pas fait représenter à la réunion du haut-commandement en sa qualité de chef suprême de l’ANC, fut victime d’un incident curieux vers 20h30. Il logeait au camp de Binza depuis qu’il était nommé Premier ministre ; ce soir-là il se vit interdire la sortie du camp. Les soldats de garde lui déclarèrent en avoir reçu l’ordre formel. Il força ce barrage et se rendit à son cabinet. Avec Kamitatu, il tenta de contacter le chef de l´État par téléphone vers 21h30, mais en vain. De plus en plus inquiet, Kimba décida de se rendre chez le président. L´accès du Mont Stanley lui fut interdit. Comme il insistait, les militaires menacèrent de l´abattre. Il rentra donc au camp, et assista le lendemain matin à la proclamation militaire « .

Jeudi 25 novembre 1965

Les troupes sont déployées aux points stratégiques de la capitale. A 5 heures, les programmes de Radio-Léopoldville débutent par la diffusion de la musique militaire sur les ondes. A 5h30, le lieutenant Lonoh fait la lecture de la déclaration du coup d´État de l’ANC. A 7 heures, le colonel Malila remet à Kasa-Vubu sa lettre de destitution signée par Mobutu. Le président déchu accepte. Dans son livre Le « Congo-Kinshasa », le journaliste Jean-Jacques Arthur Malu-Malu affirme qu´une poignée de durs de l´ANC voulaient résister aux usurpateurs car Mbuta Muntu disposait encore de solides appuis au sein de l´armée. Mais comme il ne voulait pas que le sang congolais coule à nouveau pour une banale histoire de positionnement, Kasa s´opposa à toute tentative de reconquête du pouvoir pas son clan. A 10 h, Entouré par les membres du Haut commandement militaire, le général s´adresse à la presse. Dans l’après-midi, Mobutu convoque la réunion des deux Chambres au Palais de la Nation. Le président du Sénat, Sylvestre Mudingayi, lit d’abord la proclamation du haut commandement, puis le message du nouveau président de la République. A la fin de la lecture, l´Assemblée nationale et le Sénat  élus lors des élections de mars-avril 1965 approuvent par acclamation. Mudingayi lève aussitôt la séance après l’approbation des parlementaires. Dans la soirée, Mobutu s´adresse aux militaires à qui il exprime sa gratitude et déclare: « Je compte sur vous pour être les ambassadeurs de mon administration. Je suis président de la République pour cinq ans mais pendant ce temps, je resterai militaire comme vous. Je porterai mon uniforme et recevrai mon traitement du Quartier général « . Moise Tshombe tout comme Nendaka soutiennent la décision des militaires. Le nouveau régime est aussitôt reconnu par les États-Unis, la Belgique et la quasi-totalité des pays africains. Seules la Chine et l´URSS qui qualifient Mobutu de « chien courant des impérialistes » montrent leur réticence.

Dimanche 28 novembre 1965

Le gouvernement d’union nationale est formé par le colonel Mulamba puis nommé par le général Mobutu. La liste de ses membres est rendu public. Investi par le Parlement à une large majorité (deux abstentions seulement sur 258 votants), il compte 21 membres représentant chacune des 21 provinces du Congo et de la capitale. Voici sa composition:

Premier ministre : Colonel Léonard Mulamba

Ministres

Affaires étrangères : Justin-Marie Bomboko

Agriculture : Alphonse Zamundu

Classes moyennes : Bernardin Mungul-Diaka

Défense nationale, rattachée au président de la République : J.D Mobutu

Éducation nationale : Abbé Athanase Ndjadi

Finances : Jean-Joseph Litho

Fonction publique : Michel Colin

Intérieur et Affaires coutumières : Étienne Tshisekedi

Plan : Jean-Marie Kititwa

Santé publique : Martin Tshishimbi

Transports et communications : Victor Nendaka

Travaux publiques : Jean Bolikango

Commerce extérieur : Blaise-Oscar Mulelenu

Secrétaires d’État

Affaires étrangères : Joseph Kulumba

Économie nationale : Eloï Mayala

Justice : Joseph N´Singa

Terres, Mines et Énergie : Michel Kabamba

Haut commissaires

Information et Tourisme: Jean-Jacques Kande et Antoine Ngwenza

Jeunesse et Sport : Victor N’Joli et Théodore Mwamba

On note dans cet exécutif dirigé par le colonel Mulamba la présence de  cinq anciens ministres du gouvernement Kimba du 18 octobre 1965, entre autre  Nendaka (Intérieur), Litho (Finances), Kititwa (Éducation nationale et Affaires culturelles), Abbé Ndjadi (Travail) et Zamundu (Agriculture).

Mardi 30 novembre 1965

La constitution ayant été suspendue lors du putsch, Mobutu comble ce vide juridique en instituant un régime d’exception. Pour diriger le pays, il signe l’ordonnance-loi n° 07 qui lui accorde des « pouvoirs spéciaux ». En effet, cette disposition juridique donne au chef d´État le droit de légiférer à coup d’ordonnances présidentielles et de prendre des mesures qui sont du domaine de la loi.

Vendredi 3 décembre 1965

La journée est caractérisée par l’ouverture de la session parlementaire. Ce parlement issu des élections d’avril-mai 1965 organisées par Kasa-Vubu et Tshombe se réunit en présence de Mobutu qui suit les débats assis sur une chaise en peau de léopard. La loi martiale est votée et imposée pour une durée de cinq ans.

Samedi 4 décembre 1965

A sa propre demande, le président déchu Joseph Kasa-Vubu est acheminé dans son Mayumbe natal. Il est escorté par le colonel Tshatshi et ses militaires du camp des blindés de Thysville  (Mbanza-Ngungu). A ce propos Isidore Ndaywel écrit: « Tshatshi, le commandant du camp Hardy de Mbanza-Ngungu, fut chargé de diriger cette escorte présidentielle. Parvenu à hauteur de Mbanza-Ngungu, l’officier se ressaisit et demanda à Kasa-Vubu de lui donner ordre de rebrousser chemin. Il proposa d’occuper à nouveau la ville avec ses unités, d’arrêter les officiers supérieurs rebelles et auteurs du coup d’État et de le réinstaller comme président de la République. Ce dernier refusa. » Mbuta Kasa se retira alors dans sa résidence du mont Kinsundi à Boma dans le Kongo Central. Il y sera assigné.

Le général Mobutu s’adresse à la nation dans un grand rassemblement populaire organisé au stade roi Baudouin. Plus de cinquante mille Kinois suivent son meeting dans le théâtre du football congolais. Mobutu parle au peuple les yeux dans les yeux pour justifier son acte. Il lance dans la foulée le slogan « Retroussons les manches » pour inciter la population à beaucoup travailler pour la prospérité du pays. Ce discours sur le redressement de la nation a pour thème principal  » Le Congo au travail « . Il est rediffusé pendant plusieurs jours à la radio. L´Homme du 24 novembre se fait remarquer par son style de contact direct avec le peuple. Une page de l’histoire du Congo indépendant vient d’être tournée. Sur le plan musical, bien des artistes composeront des chansons sur ce thème comme pour relayer le message présidentiel.

Le Colonel Mulamba, premier ministre, ainsi que les ministres, les hauts-commissaires et les secrétaires d’État prêtent serment de fidélité au président. Les officiers du Haut commandement de l´Armée nationale congolaise qui ont participé au putsch assistent à la cérémonie. Le général-président prend acte de la prestation de serment de chaque membre du nouvel exécutif. La cérémonie s’est passée dans le palais présidentiel du Mont Stanley que Kasa-Vubu avait quitté six jours plus tôt.

Dimanche 12 décembre 1965

La cérémonie de prise du pouvoir est organisée dans un décor grandiose. Dans l´hémicycle, toutes les forces vives du Congo sont réunies pour la circonstance. Le nouveau président prononce son discours-programme. C’est un sévère réquisitoire, suivi d’une analyse critique de la situation politique, financière, économique et sociale du pays. Il dénonce les conflits stériles des politiciens qu´il a « pembenisés » à cause du chaos, du désordre, de la négligence et de l’incompétence. Il appelle le peuple à se mettre au travail afin d’engager le pays dans la voie de l’industrialisation. Le général évoque aussi les grands projets à venir comme ceux de la construction du barrage d’Inga et de l’usine sidérurgique de Maluku. Il annonce la réduction de la rémunération des députés, suspend le droit de grève et rappelle la mesure de suspension édictée au lendemain  du coup d’État laquelle frappe les quelque 223 partis politiques congolais recensés. Il déclare :  » J’ai décidé de rester au pouvoir pendant cinq ans. Il a fallu cinq ans aux politiciens pour conduire le pays à la ruine. Je me donne cinq ans pour conduire, avec votre aide à tous, le pays vers la prospérité. « 

Mardi 14 décembre 1965

Mobutu se rend à l’université Lovanium. Les étudiants lui font visiter le complexe sportif flambant neuf, le Plateau, la paroisse catholique Notre Dame de la Sagesse et le bâtiment administratif. Le président rencontre toute la communauté universitaire dans la salle de promotions. L’accueil est chaleureux et le dialogue fructueux avec les étudiants groupés dans les deux plus grandes associations estudiantines: l’Union générale des étudiants congolais (UGEC) et l’Association générale des étudiants de Lovanium (AGEL). Par la voix de Nkanza Ndolumingu, président de l´UGEC, ils lui demandent de faire appel à l´élite congolaise.

Vendredi 31 décembre 1965

Pour la saint Sylvestre, Mobutu adresse son message du Nouvel an 1966 à la nation congolaise. Il annonce dans la foulée que dès le lendemain les plus hautes autorités du pays cultiveront obligatoirement un champ d’au moins un hectare, et précise qu’il donnera lui-même l’exemple.

Les années charnières

En 1966 (déclarée année de l´intérieur) et 1967 (année de l´agriculture), Mobutu prend une série des mesures pour renforcer son assise sur l´échiquier politique congolais.

1966 :

  • 9 janvier, le Corps des Volontaires de la République (CVR) est fondé  par Gaston N’Sengi Biembe (président) et Paul-Henri Kabayidi (secrétaire général).  Destinée à mobiliser la population derrière Mobutu, cette structure a aussi pour mission d´assurer la vigilance et l´éducation citoyenne.
  • 7 mars, Mobutu déclare :  » Le peuple et moi, nous ne faisons qu’une seule et même personne ». Le même jour, Il signe l’ordonnance-loi n°66/92 bis  qui confisque au Parlement les quelques garanties de contrôle qui lui était restées.
  • En avril, le nombre de provinces passe de 21 à 9 pour affaiblir les liens tribaux et ethniques. Du coup, les provinces perdent leur autonomie et les gouverneurs deviennent des simples fonctionnaires permutables. Le 14, le cacique Jean Bolikango est révoqué du gouvernement.
  • 3 mai, débaptisation de la capitale et de certaines villes du pays.
  • 22 mai, Mobutu s´accorde les « pleins pouvoirs ». Le pouvoir législatif est transféré à l´exécutif.
  • Le 1er juin sont pendus quatre hommes politiques de haut rang.
  • 30 juin, Mobutu réhabilite Patrice Lumumba à l’occasion de le fête nationale et déclare : « Gloire et honneur à l’illustre Congolais, au grand Africain, au premier martyr de notre indépendance, Patrice Emery Lumumba, tombé victime des machinations coloniales. Au nom du gouvernement, nous le proclamons officiellement en ce jour héros national ».
  • 26 octobre, fin du bicéphalisme politique et éviction de Léonard Mulamba. Le poste de Premier ministre supprimé, Mobutu détient le quasi-monopole du pouvoir exécutif tout en contrôlant les pouvoirs législatif et judiciaire. Le 29, Sophie Lihau-Kanza entre au gouvernement en remplacement de  Blaise-Oscar Mulelemu.
  • 7 novembre, le Secrétariat général à la Présidence est crée. Le secrétaire général n´est autre que Gérard Kamanda, ancien président de l´UGEC.

1967 :

  • En janvier a lieu la reforme monétaire. Le zaïre remplace le franc congolais. Au cours officiel, il vaut 2 dollars, 100 francs belges, 1000 francs congolais.
  • 17 (18?) avril, à Mbandaka où il se trouve, Mobutu annonce la fondation du MPR.
  • 20 mai, naissance officielle du MPR avec la proclamation de son manifeste à Nsele. Le Mouvement populaire de la révolution emprunte et confisque à l’UGEC son logo (le flambeau), sa devise (servir en non se servir) ainsi que plusieurs de ses résolutions (le nationalisme, l’indépendance économique). La constitution du MPR est présentée par le secrétaire général Alphonse-Roger Kithima.
  • 23 juin, sept syndicats dont l´UTC (Union des travailleurs congolais), la FGTK (Fédération générale du travail du Kongo) et la CSLC (Confédération des syndicats libres du Congo) organisent un congrès à l´issue duquel toutes les organisations fusionnent pour créer un syndicat unique, l´UNTC (Union nationale des travailleurs congolais)
  • 24 juin, Mobutu promulgue une nouvelle constitution en remplacement de celle du 1er août 1964 dite de Luluabourg suspendue lors du coup d´État. Elle est adoptée par référendum avec 97,8 % de oui.
  • 27 juin, dissolution du Parlement élu en avril-mai 1965 après la promulgation de la nouvelle constitution.
  • En juillet, nait la Jeunesse du mouvement populaire de la révolution (JMPR) en remplacement  du CVR.

Mokako sua, cent ans tumutombele…

Fin 1967, l’administration et les services secrets sont placés sous les bottes de Mobutu. Tous les pouvoirs (exécutif, législatif, judiciaire) sont concentrés entre ses mains; toutes les compétences (politique, sociale, économique, militaire, financière, coutumière, juridique, foncière) sont désormais en sa possession. Disposant de facto du droit de vie ou de mort de ses concitoyens, Mobutu est devenu le seul maître à bord après avoir hermétiquement verrouillé toutes les institutions grâce à une constitution taillée sur mesure. Le grand léopard fait alors passer le Congo d’une démocratie civile fédérale à une dictature militaire personnalisée. Il ne va jamais honorer sa promesse de remettre le pouvoir aux civils. Au contraire, il se fait élire pour la première fois en 1970 par le score soviétique de 99,99 % des voix. Ad vitam eternam, Mobutu va diriger la RDC d´une main de fer pendant trente-deux ans.

Samuel Malonga

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