Page d’histoire: La DSP a-t-elle exécuté Philippe de Dieuleveult ?(vidéos)

Cela fait exactement 37 ans depuis que Philippe de Dieuleveult, célèbre animateur de télévision, a disparu dans les eaux tumultueuses du fleuve Zaïre avec ses six compagnons d’aventure. L’enquête officielle menée conjointement par le Zaïre et la France a conclu à une « noyade collective accidentelle ». Depuis, la famille Dieuleveult se bat pour connaître la vérité car les conditions de la mort de Philippe sont floues. Le 3 février dernier, Alexis de Dieuleveult, le neveu de l’animateur, a déposé une requête auprès du parquet de Paris pour demander la réouverture de l’enquête judiciaire ouverte en 1996 et close par un non-lieu en 2004 pour insuffisance de charges. La disparition de Philippe de Dieuleveult sur les rapides d’Inga est-elle due à un naufrage accidentel ou à une bavure des militaires zaïrois couverte par la France?  Un dossier sensible aux multiples rebondissements. Retour sur cette mystérieuse énigme qui pose question.

En juillet 1985, une expédition composée d’une dizaine d’hommes veut tenter la descente du fleuve Zaïre en rafting. Conçue par André Hérault, un ancien pilote d’Air Zaïre, l’expédition qui est baptisée Africa Raft se compose de jeunes gens animés par le goût de l’aventure et du risque. Ils veulent tenter l’impossible, c’est-à-dire traverser l’Afrique équatoriale d’est en ouest, de l’océan Indien à l’Atlantique. Faute d’autorisation de certains pays dont la Tanzanie, le départ est donné sur le versant burundais du lac Tanganyika et l’arrivée est prévue à l’embouchure du fleuve à Banana. Pendant ce périple long de 3.000 km, l’expédition doit passer par les Portes de l’enfer au Maniema et surtout franchir les dangereux rapides d’Inga reconnus  infranchissables et encore jamais domptés par l’homme.   

Philippe de Dieuleveult qui fait partie de cette expédition était l’animateur vedette de ″La chasse au trésor″, un jeu télévisé qui a tenu la France toute entière en haleine. Le baroudeur a coanimé cette émission dans laquelle il a pris des risques énormes en partant à l’aventure avec son hélicoptère un peu partout dans le monde. Ce qui lui a valu le surnom de « Tintin d’Antenne 2 » (aujourd’hui France 2). L’animateur s’est même rendu à Matadi pour les besoins de son émission. Le tournage a eu lieu dans la ville portuaire à la fin mars 1984. Philippe de Dieuleveult est alors au faîte de sa popularité. Sa présence dans l’expédition Africa Raft met un coup de projecteur sur cette entreprise sponsorisée par Paris Match. L’animateur de télévision veut en faire un documentaire filmé de 52 minutes.

Deux zodiacs de 8 m de long sur 3 m de large baptisés le Françoise et le Godelieve sont mis à la disposition des aventuriers. Chaque embarcation est équipée d’un poste radio militaire submersible avec de grandes antennes qui permettent de communiquer entre les deux rafts ou de capter des appels quotidiens depuis la France. Ils sont huit à prendre le départ : André Hérault (50 ans, l’organisateur), Lucien Blockmans (36 ans, technicien audiovisuel), Richard Jeannelle (39 ans, photographe à Paris Match), Guy Collette (37 ans, entrepreneur belge résident à Bujumbura), Angelo Angelini (37 ans, mécanicien), François Laurenceau (34 ans, médecin), Marc Gurnaud (29 ans, caméraman) et Philippe de Dieuleveult (34 ans, animateur de télé et figure de proue de l’expédition). Jean-Louis Amblard et le Portugais Nelson Bastos, un familier de la région du Bas-Fleuve, rejoignent l’expédition à partir de Kinshasa. Mais un nom intrigue les autorités zaïroises, celui du Belge Guy Collette. Sa participation dans cette aventure les dérange. Car l’homme serait en contact avec des agents libyens opérant à Bujumbura. Il est considéré par Kinshasa comme un informateur infiltré dans l’expédition. Philippe de Dieuleveult est capitaine de réserve de la DGSE, le service secret français. Avec deux membres considérés comme des espions, Africa Raft est sous surveillance. Le SARM (Service d’action et de renseignements militaires) n’a-t-il pas déjà alerté le Directeur du cabinet du Chef de l’Etat de l’arrivée imminente des mouchards français qui veulent faire sauter le barrage d’Inga ?

Après l’obtention des documents nécessaires pour entrer au Zaïre, le départ est donné le 2 juillet 1985. Les pavillons français et zaïrois flottent à l’arrière des deux rafts. L’aventure commence pour cette équipe qui a un défi majeur à relever. Un challenge à très hauts risques ! Pendant la première étape, le groupe traverse le lac Tanganyika à partir de Bujumbura. Il atteint la rive zaïroise le 5 juillet. Il fait ensuite cap sur la rivière Lukuga qui sur une distance de 350 km amène les aventuriers dans le Lualaba, la partie supérieure du fleuve Zaïre. Après l’exploit du passage à Kongolo des rapides de la Porte de l’Enfer, le groupe atteint Kisangani le 18 juillet.

Marc Gurnaud quitte l’expédition pour raison professionnelle. Philippe de Dieuleveult prend lui aussi un répit et rentre en France pour rendre visite sa mère et surtout à son épouse qui attend famille. Il n’y reste pas jusqu’à la naissance de son troisième enfant car Il rejoint vite ses compagnons à Kinshasa le 1er août. Il ramène des équipements de survie permettant une longue marche en brousse.

Avant de monter dans les bateaux, les aventuriers effectuent en avion le repérage du parcours pour se faire une idée des difficultés qui les attendent. Maintenant que tout est prêt, la seconde et dernière étape de l’expédition, celle qui est la plus risquée peut commencer. Le grand départ est donné le 3 août devant quelques Kinois venus leur dire au revoir. Philippe leur lance quelques mots. « A bientôt, leur dit-il. On reviendra ». Puis, les deux rafts déjà jetés à l’eau sur le port de Kinshasa mettent le cap sur l’embouchure du fleuve située à près de 600 km. Dans leur parcours, les neuf aventuriers abordent des rapides, des tourbillons qui les impressionnent. Plus ils avancent, plus le fleuve se rétrécit, plus le débit augmente et plus les eaux sont démontées. Sur les radeaux, les aventuriers sont bringuebalés de haut en bas, de bas en haut par les vagues et les eaux en furie, mais réussissent par miracle à s’en sortir avec de petites blessures pour les uns et des égratignures pour les autres. Dans l’après-midi du 5 août, l’expédition atteint l’île des Hippopotames à quelques encablures du barrage d’Inga, site hautement stratégique gardé par les éléments des Forces armées zaïroises. Ils posent pied à terre pour bivouaquer et souffler un peu car le plus dur reste à faire et le jour suivant les choses sérieuses devraient commencer. Il reste à l’expédition encore 150 km à parcourir avant d’atteindre l’Atlantique. Mais il faudrait d’abord passer par Inga, passage réputé  extrêmement périlleux.

La nuit au bivouac, le groupe se réunit autour du feu allumé pour évaluer la situation depuis leur départ de Kinshasa. Les difficultés rencontrées jusque-là n’ont rien avoir avec ce qui les attend. La discussion tourne autour de la question de savoir s’il faudrait arrêter l’aventure ou pas. Le débat se poursuit même sous les moustiquaires jusqu’au petit matin. Certains veulent tout simplement jeter l’éponge. En effet, effrayés, le docteur François Laurenceau, ami d’enfance de Dieuleveult, et Jean-Louis Amblard ne veulent pas braver les dangereuses chutes. Ils décident d’abandonner et de rester dans le campement sur l’île. Dieuleveult hésite. Il n’a pas envie de continuer. Le lendemain matin après une énième discussion avec les camarades, il change d’avis et prend la décision de poursuivre l’aventure.

Au réveil, le mardi 6 août, le groupe réduit à sept s’apprête à affronter les vagues hautes comme des immeubles. Vers 8 heures, le Françoise à bord duquel se trouvent le casse-cou Dieuleveult, Angelini et Blockmans puis le Godelieve sur lequel montent Bastos, Jeannelle, Hérault et Colette partent à partir de la plage caillouteuse de l’île à l’assaut des monstrueux et indomptables rapides d’Inga. A cet endroit, le fleuve n’est pas navigable, son débit est plus qu’infernal, le bruit est assourdissant, le courant extrêmement puissant, les eaux sont démontées et les vagues surtout celles appelées ″vagues portefeuilles″ atteignent dix à quinze mètres de haut. Le grondement assourdissant des rapides s’entend à 10 km à la ronde. Profond de 1.500 m, le fleuve y est très dangereux. C’est un endroit effrayant, stupéfiant, réputé infranchissable. On y voit des trous d’eau, des vagues à contre-courant, des failles abyssales, des rochers qui apparaissent et disparaissent sous des trompes d’eau gigantesques. De mémoire  d’homme, aucune embarcation n’a jamais réussi à passer par là. Jetés à l’eau, les deux radeaux pneumatiques partent à l’assaut des eaux en furie. Vont-elles les gober ? François et Jean-Louis restés dans l’île  prennent des photos du départ de leurs copains. Puis, les rafts disparaissent dans un rideau d’écumes et de vagues.

Les heures passent sans nouvelles. Inquiets, François Laurenceau et Jean-Louis Amblard tentent d’entrer en contact radio avec les deux rafts. En vain. Coincés sur l’île et ne sachant comment la quitter, ils ont la chance d’apercevoir un pêcheur voguant sur sa bouée en réalité une grande chambre à air pour camion. Ce dernier les dépose un par un sur la berge après deux heures de traversée. Sur la terre ferme, ils tombent aussitôt sur des militaires qui les appréhendent et les emmènent à Matadi pour les interroger. Selon Alexis de Dieuleveult, les soldats leur ont fait signer un document dans lequel ils ont affirmé qu’ils n’ont pas entendu de coup de feu.

L’annonce de la disparition des sept membres de l’expédition est annoncée le 10 août. L’information laconique émanant du ministre des Relations extérieures Roland Dumas est ainsi libellée : « Philippe de Dieuleveult et ses six compagnons ont disparu le 6 août dans le fleuve Zaïre ». L’hypothèse de la noyade est aussitôt retenue par Kinshasa et Paris, mais elle ne convainc pas. Les recherches sont menées conjointement par le Zaïre et la France. Elles permettent de retrouver les deux rafts. Si celui de Philippe est intact, il ne reste de l’autre que sa structure métallique car dépouillé par les villageois. Le 19 août, un corps est découvert à environ 100 km en aval d’Inga. C’est celui de Guy Colette, reconnu à cause du bracelet qu’il porte. La dépouille est vite rapatriée en Belgique dans un cercueil plombé. Le 6 septembre, un second corps est repêché à Matadi à l’endroit où la rivière Mpozo se jette dans le fleuve. Il est en très mauvais état puisque mutilé à 90 %. C’est un buste non identifiable qui n’a ni tête, ni main, ni sexe, ni viscère, ni extrémité des pieds. L’autopsie réalisée sur base des similitudes morphologiques par les médecins légistes à Kinshasa laisse à penser qu’il s’agirait du cadavre de Philippe de Dieuleveult. Mais grâce à des informations plus précises et notamment des radiographies fournies par sa famille, la  contre-autopsie pratiquée à l’institut médico-légal à Paris contredit cette hypothèse. Jean, le frère de Philippe qui veut entreprendre ses propres recherches se heurte à un mur opaque tant à Paris qu’à Kinshasa. Dès lors, ses frères et sa mère sont persuadés qu’il s’est sûrement passé quelque chose, qu’on leur cache la vérité. Pour eux, la thèse de la noyade ne tient pas, ne convainc pas. Ils sont confortés dans leur conviction d’autant plus qu’ils constatent la volonté délibérée de l’Etat français d’étouffer l’affaire.
Même si Diane, l’épouse de Philippe, qui a aussi fait le voyage de Kinshasa et d’Inga avec son avocat a disculpé le Zaïre en acceptant la thèse de l’accident, bien des zones d’ombre subsistent pour un bon nombre de protagonistes. Des témoins zaïrois ont vu au loin le passage des deux embarcations aux alentours d’Inga. Des ingénieurs américains du barrage ont aperçu des militaires le long des rapides pour mettre en joue les aventuriers. Des documents relatifs à cette expédition font aussi allusion aux hommes en armes présents dans ce lieu. Dans cette optique, c’est Okito Bene Bene, un ancien officier des services secrets zaïrois en exil qui a jeté un pavé dans la mare avec son livre au titre accusateur intitulé « J’ai vu mourir Philippe de Dieuleveult ». Il y affirme avoir assisté à l’exécution de l’animateur et de ses quatre compagnons le 9 août après  interrogatoire. Le Zaïre connaît à l’époque une vive tension avec l’Angola. Le pays redoute le sabotage du barrage hydroélectrique par des mercenaires venus de son voisin communiste. Pour éviter une attaque surprise surtout après l’alerte donnée par les services d’un pays ami (la France ?), le site est étroitement surveillé par les éléments des Forces Armées Zaïroises des deux côtés du fleuve. Le 6 août 1985, lorsque l’expédition passe au pied du barrage, la zone est sous alerte militaire maximale.

Pour Alexis de Dieuleveult, neveu et filleul du reporter, Philippe et ses camarades ne sont pas morts noyés mais plutôt assassinés par les militaires zaïrois qui ont cru avoir affaire à des terroristes venus  saboter le barrage d’Inga. Peu après le passage des rapides, les deux embarcations de l’expédition Africa Raft sont pris pour cible par les éléments des FAZ. Philippe qui a survécu aux tirs a été capturé. Interrogé par la DSP, il a finalement été exécuté. Les sept aventuriers ont-ils été confondus avec un commando ennemi ? Paris a-t-il couvert une bavure de l’armée de Mobutu ? Alexis de Dieuleveult, qui a demandé la réouverture de l’information judiciaire au parquet de Paris, a aussi lancé un appel à Emmanuel Macron afin que les documents sur ce naufrage toujours frappés du sceau « confidentiel défense » soient déclassifiés afin d’accéder à la vérité sur la mort de Philippe de Dieuleveult et de ses six compagnons d’aventure.

Notons aussi que selon certaines indiscrétions, Philippe de Dieuleveult ne s’est pas seulement rendu au Zaïre pour les besoins de l’expédition Africa Raft. Contactée, la DGSE a affirmé qu’il n’était pas en mission au pays de Mobutu sous le couvert de cette aventure.

Président Mobutu

Outre les documentaires dont Philippe de Dieuleveult : Enquête sur un mystère, réalisé en 2005 par son fils Tugdual, cette disparition mystérieuse a produit plusieurs ouvrages notamment :

Diane de Dieuleveult, Philippe, 1986.

Arnaud Bédat, L’Énigme Dieuleveult, 1986.

Sakombi Inongo, Le péril de la désinformation : Le cas Philippe de Dieuleveult (Dialogue avec Lubabu Mpasiambongo), 1988.

Diane de Dieuleveult, Philippe de Dieuleveult : La Chasse aux souvenirs, 1989.

Okito Bene Bene, J’ai vu mourir Philippe de Dieuleveult : Un ex-officier des services secrets du Zaïre parle, 1994.

Alexis de Dieuleveult, Noyade d’État, 2020. 

Alexis de Dieuleveult, Noyade d’État : Je ne veux pas me taire (nouvelle édition), 2022.

Le corps de Philippe de Dieuleveult n’ayant jamais été retrouvé, la tombe familiale au cimetière du Minihic-sur-Rance lui tient lieu de cénotaphe.

Samuel Malonga

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