Ousmane Bakoyoko, un bijou signé Mayaula Mayoni

La vie, ce don de Dieu, passe si vite qu’il vaut mieux la croquer à pleines dents. En juin 2016, à Abidjan – la ville lumière et certainement l’une des plus belles villes d’Afrique -, capitale économique de la Côte d’Ivoire, lorsque j’ai commencé ce rendez-vous du lundi matin, j’avais dans mon répertoire, si je puis dire, une dizaine de contacts adressés. De fil en aiguille et de bouche à oreille, aujourd’hui, vous êtes plus de 700 à recevoir chaque lundi matin ces vœux de bonne semaine.

Profondément attaché à l’importance des relations humaines et, plus encore, à leur qualité, je me fais un devoir d’être fidèle à ce rendez-vous que vous appréciez tant. Puissiez-vous trouver ici l’expression de ma profonde gratitude. Ce matin, et à la demande de nombreux d’entre vous, je vous convie à l’écoute d’un bijou de chanson que nombre d’entre nous avons dansé tant et plus. Je veux parler de OUSMANE BAKAYOKO, lancé à Lomé.

“OUSMANE BAKAYOKO, est une chanson savamment arrangée par Mayaula Mayoni Freddy et Ernest Mvouama. Elle est extraite de l’album « L’amour au Kilo », produit par Tamaris, en 1992. Cet opus compte sept chansons qui s’enfilent comme des perles, constituant un véritable joyau dans l’écrin musical congolais. Il connaîtra un maxi succès et donnera plus de vigueur à la carrière de l’artiste.

 

Porté par la voix de Carlito Lassa avec l’appui de celle d’Abby Surya, ce titre raconte l’inquiétude d’une femme qui accepte l’invitation d’un homme dont elle est déjà éprise. « Ousmane, elaka opesaki ngai, nakoya lelo na pokwa. Notre rendez-vous de ce soir, je viendrai chéri. Notre rendez-vous de la nuit, je viendrai ce soir. Kasi naboyi nakuta yo na mbanda, Don Padrino ». « Ousmane, la promesse que tu m’as faite, je viendrais ce soir. Notre rendez-vous de ce soir, je viendrai chéri, notre rendez-vous de la nuit, je viendrais ce soir. Cependant, je refuse de te trouver dans les bras d’une rivale, Don Padrino ». En effet, Don Padrino est le surnom de Mayaula. Mais, l’histoire de Mayaula ne fut pas toujours aussi rose… lui qui n’a jamais été un membre à part entière du TP OK JAZZ malgré les sollicitations de Franco.

 

Un jour, assistant à un concert du TP OK JAZZ, j’ai eu un aparté avec le guitariste surdoué Eugène Mangaya dit Gégé Mangaya – qui allait rejoindre Zaiko Langa Langa en 1989 après avoir fait les beaux jours de l’orchestre Thu Zahina en 1968 -, qui passait de la guitare solo à l’accompagnement et à la basse avec une facilité déconcertante, et il me raconta l’anecdote suivante. Il faut savoir qu’entre 1968 et 1971, Freddy Mayaula a joué à un très haut niveau en tant qu’ailier gauche à l‘AS Vita Club à Kinshasa et aussi pour l’équipe nationale du Zaïre avant de “rejoindre” le TP OK JAZZ en 1975. Franco lui ouvrira d’autant plus facilement les portes du TP OK JAZZ qu’il fut son ancien Président de club. Mais, dans l’OK JAZZ, il allait et venait…

Freddy Mayaula Mayoni dans l’OK JAZZ ce sont les succès suivants : “Chérie Bondowe” qui raconte l’histoire d’une femme libre… “Nabali Misère”, “Bombanda Compliqué”, etc. Pour MPONGO LOVE, il composera, “NDAYA” (“Nayebi kombo ya mbanda te”). Mais, revenons-en à notre anecdote.

Dans les années 1970 – en 1978 plus exactement -, alors que le succès de Tabu Ley Rochereau est à son paroxysme avec des tubes tels que Sorozo et Sukaina, Franco Luambo Makiadimet sur la place publique deux chansons – dont je tairais ici les titres par pudeur – d’une vulgarité affligeante et peu respectueuse de la femme zaïroise. Des chansons dont les paroles particulièrement crues suscitèrent l’ire du Procureur Général de la République de l’époque, Léon Kengo Wa Dongo – nommé à ce poste en août 1968 par le Président Mobutu – qui, fort justement, prit la décision de censurer lesdites chansons. Mieux, il décida de faire arrêter le Grand Maître  Luambo Makiadi et plusieurs de ses musiciens – sur l’initiative du chef de la sécurité militaire de la ville de Kinshasa de l’époque – pour avoir débité publiquement de telles obscénités. Jugé en flagrance, Luambo Makiadi et ses musiciens seront donc arrêtés sous le chef d’accusation suivant : outrage aux bonnes mœurs.

Franco, plus provocateur que jamais, se produisait dans le bar d’un immeuble, dont il était le propriétaire : “Un-deux-trois”, situé dans la commune de Kasa-Vubu à Kinshasa, comme le TP OK JAZZ en avait l’habitude. Il faut savoir qu’en RD Congo, l’histoire du bar se conjugue au présent avec celle de la rumba : l’une ne va pas sans l’autre… Alors que le concert bat son plein, ce jour-là, sur les sonorités bien connues du TP OK JAZZ et que Franco débite ses insanités, des agents de police habillés en civil firent irruption en vue de procéder à l’arrestation de Franco et de ses musiciens. Cette incursion provoqua une débandade quasi générale. Aussi bien les musiciens, le  tenancier du bar que lesclients – sevrés de rumba et de Simba -, tout le monde cherchait une issue pour s’échapper.

En fait, le Procureur Général, Léon Kengo Wa Dondo, ne disposant pas de preuves matérielles ou d’indices sérieux de ce que chantait le Grand Maître dans ces deux chansons licencieuses avait missionné, la veille, deux inspecteurs judiciaires au concert de l’Ok Jazz où ils se sont fondus dans le public ; afin de vérifier les affirmations d’un très haut gradé de l’armée zaïroise – qui fustigeait la légèreté dont Franco faisait preuve dans ses chansons – et si possible d’enregistrer Luambo, à son insu. Ainsi, ne se doutant de rien, Franco « De Mi Amor » se lance dans la prestation de ses deux chansons impudiques devant un public étonnamment enthousiaste et complaisant. Les deux inspecteurs judiciaires ont tout le temps nécessaire d’enregistrer “l’objet du litige”. Ils reviennent le lendemain, quasiment aux mêmes heures, muni d’un mandat d’amener destiné à Franco, Simaro, Josky Kiambukuta, etc., pendant qu’en civil et dissimulés dans le public, d’autres agents les avaient précédés. La souricière était prête à se refermer…

Aux dires de Gégé Mangaya, Mayaula Mayoni, tout grand compositeur et accompagnateur qu’il était, rappela à tout un chacun, sa carrière passée de footballeur. Prompt comme un diable qui sort de sa boîte, il se dirigea vers une issue de secours à sa portée. Un policier en civil tenta de lui barrer la route, mais, en fin tacticien, Mayaula le dérouta d’une feinte de corps dont il avait le secret. Puis, ouvrant précipitamment la porte qui donnait sur une cour à l’arrière du bar, notre homme se lança dans une course effrénée pour atteindre le “prince” (la voie routière) comme on dit à Kin, son seul salut, avec, à ses trousses, une poignée d’agents de police.

Mais, Freddy (Mayaula) retrouva son souffle et ses jambes de footballeur à la faveur de cette fuite. Faisant preuve d’une incroyable vélocité et au prix d’une accélération fulgurante, semblable à celle d’un ailier tentant de déborder un défenseur, il parvint à semer les agents de police avant de disparaître dans le dédale des rues de la commune de Kasa-Vubu. Gégé Mangaya qui me racontait cette anecdote était encore fasciné par cet exploit, plusieurs années après. Mayaula, lui, s’était évaporé dans la nature.

Mais, dura lex sed lex, Franco et la plupart de ses musiciens furent – opportunément – arrêtés et emmenés manu militari à la prison centrale de Kinshasa (prison de Makala) où ils furent embastillés plusieurs mois durant. Néanmoins, les relations particulières que Franco entretenait avec le Président Mobutu permirent à celui-ci de recouvrer la liberté très rapidement tout comme tous ses musiciens incarcérés. Peu de temps après, Franco choisit le chemin de l’exil et de la Belgique où il créa, en 1980, sa propre maison d’édition, Visa 1980, non, sans avoir éclaboussé au passage, la dignité du Procureur Général qui l’avait embastillé, via deux de ses compositions aux paroles assassines et vindicatives dont il avait le secret…

Il convient de souligner ici que rarement – sinon jamais – dans l’histoire de la rumba congolaise, les mœurs n’avaient atteint un niveau aussi bas. Dans sa course à la gloire, contre son éternel rival, Tabu Ley Rochereau, Franco avait franchi le rubicond. Entraînant son public et l’ensemble des mélomanes dans une dépravation morale à nulle autre pareille, transformant la société zaïroise en une caricature qui ne correspondait absolument pas à ses valeurs et que seule la soif de gloire d’un artiste talentueux – mais s’exprimant et pire encore, agissant parfois de façon paillarde – avait motivée.

Je fais partie des amoureux de la rumba congolaise depuis mon plus jeune âge et je suis un grand admirateur de Luambo Makiadi Franco, que j’ai souvent rencontré à la faveur de ses concerts, et je respecte son apport à notre musique et à notre culture. Mais, lorsque l’artiste-musicien n’a plus conscience de son rôle social et qu’il entraîne – par les paroles de ses chansons – toute une société dans la perversion et le vice, il doit subir la rigueur de la loi ; la musique est un art et tout art a vocation à sublimer une société, non à la dépraver, car le rôle éducationnel des musiciens, qu’ils soient griots ou non, est un facteur très important, pour les jeunes, en particulier. Si un jour le philosophe grec, Aristote, en est venu à dire que la musique adoucit les mœurs, c’est qu’il était pleinement conscient – déjà à son époque – des vertus éducatives et apaisantes de la musique.

Ce matin donc, apprécionsOUSMANE BAKAYOKO” – en activant le lien ci-dessous – et laissons-nous entraîner, l’espace de cet opus, dans l’univers grisant de la rumba congolaise car, bien souvent, là où les mots manquent, la musique parle, mieux, elle fait danser. Bonne semaine à toutes et à tous.

https://www.youtube.com/watch?v=39wRVvjFUkU

Roger NZAU

Kinshasa, RD Congo

Le 02 décembre 2024

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