Le 28 mai 2025, l’Afrique a perdu l’une de ses plus grandes consciences littéraires. Ngũgĩ wa Thiong’o, écrivain kényan, penseur décolonial et militant acharné des langues africaines, est décédé à l’âge de 87 ans. La rédaction de SPHYNXrdc.com s’associe avec le Docteur Wael Okediran pour vous retracer l’héritage monumental d’un homme qui a osé penser et écrire en gikuyu pour libérer l’Afrique.
Une voix de géant s’éteint
Professeur, romancier, dramaturge, essayiste… Ngũgĩ wa Thiong’o, né James Ngugi, laisse derrière lui une œuvre puissante marquée par un engagement total : celui de redonner à l’Afrique ses mots, ses voix, ses langues. Décédé le 28 mai dernier, il aura passé près de six décennies à lutter contre la domination culturelle imposée par les langues coloniales, au nom d’une Afrique souveraine et linguistiquement libérée.
L’écrivain qui a dit non
Ngũgĩ est l’un des premiers intellectuels africains à avoir volontairement abandonné l’anglais langue dans laquelle il avait pourtant connu le succès – pour écrire exclusivement dans sa langue maternelle, le gikuyu. Ce choix radical, à contre-courant des tendances éditoriales, a marqué un tournant dans l’histoire de la littérature africaine.
« Supprimer une langue, c’est effacer une mémoire. Écrire en gikuyu, c’est résister à l’amnésie », disait-il souvent.
Un militant de la plume
En 2021, il participait à une conférence virtuelle organisée par la Pan African Writers Association (PAWA), où plus de 200 écrivains africains étaient présents. À cette occasion, il dénonçait « le fardeau des vernaculaires » dans l’Afrique postcoloniale, accusant les élites intellectuelles d’avoir abandonné leurs langues au profit de l’anglais et du français.
« Nous sommes devenus les auxiliaires involontaires des anciennes puissances coloniales, promouvant leurs langues au détriment des nôtres », affirmait-il.
Un Nobel manqué, une reconnaissance populaire
Son nom a souvent été cité pour le Prix Nobel de littérature. Mais Ngũgĩ ne s’en formalisait pas. « Le plus grand prix, disait-il, c’est celui que me donne le peuple africain quand il lit mes livres dans ses langues. » Pour beaucoup, il restera à jamais le Nobel du cœur africain.
Un appel resté en suspens
Dans un message adressé en mai 2023 au secrétaire général de la PAWA, Ngũgĩ exprimait une inquiétude :
« Si PAWA veut célébrer la littérature africaine, alors qu’elle célèbre celle écrite en langues africaines. Ce sont ces langues qui ont besoin de nous. »
Un cri du cœur, un testament intellectuel qui sonne aujourd’hui comme une injonction urgente pour le continent.
Une scène symbolique en bord de mer
Le Dr Wale Okediran, secrétaire général de la PAWA, se trouvait à Apam, au Ghana, lorsqu’il apprit la nouvelle. Il y offrait des livres à des enfants de pêcheurs. L’un d’eux un vieil homme lui demanda un livre dans sa langue maternelle. Il n’en avait aucun.
« C’est à ce moment-là que j’ai compris que nous avions encore trahi Ngũgĩ », confie-t-il.
Un héritage, une mission
Avec la disparition de Ngũgĩ wa Thiong’o, c’est une ère qui s’achève, mais une mission qui commence. Plus qu’un écrivain, il était un éveilleur de conscience, un constructeur de dignité linguistique.
Il appartient désormais aux écrivains, éditeurs, institutions et États africains de reprendre le flambeau. Car promouvoir les langues africaines n’est plus une option : c’est un devoir de mémoire, de culture, d’identité.
Ngũgĩ wa Thiong’o est mort. Mais ses mots, eux, vivent.
La Rédaction