Musique: Cha-cha-cha, el ritmo de moda, l’argot qui fit la musique congolaise (illustration audio)

Cha-cha-cha est une onomatopée espagnole qui provient du son produit par le frottement des pieds des danseurs sur le sol. Ce terme autrefois utilisé par les latino-américains est devenu un substantif grâce à la musique. L’art d’Orphé a totalement transformé la vie de ce vocable innocent qui a fait le tour du monde. Le mot a connu une belle histoire en traversant les océans et les continents. Son nom raccourci est chacha.

Origine

En 1954, le violoniste cubain Enrique Jorrin remarque la difficulté des danseurs avec les syncopes du mambo. Pour remédier à cette carrence, il invente une nouvelle forme de musique de danse en composant la chanson La Engañadora. Jorrin baptise sa création du nom de cha-cha-cha parce que son oreille d’artiste a détecté le son des traces des danseurs lorsqu’en action ils traînent les pieds sur le sol. Le succès est fulgurant. La danse et le genre musical s’exportent vite dans d’autres latitudes. Ils envahissent tour à tour l’Amérique latine, les USA et l’Europe.

Avant-gardiste dans le domaine culturel,  le Congo n’échappe pas à la contagion de ce que l’on appelle à l’époque « el ritmo de moda« . La fièvre s’empare aussitôt de Léopoldville et de Brazzaville. Les artistes-mucisiens des deux capitales les plus rapprochées du monde l’intègrent aussitôt dans leur répertoire.

Cha-cha-cha made in Congo

Lorsqui’il au Congo, les grands noms de la musique congolaise se laissent berner par ce genre musical venu de Cuba. Aussitôt arrivé au Pool Malebo, se pose le problème de la langue. Les artistes privilégie l’originalité du cha-cha-cha en gardant l’espagnol qui pourtant n’est ni connu ni parlé au Congo. Mais par la magie de la créativité, les artistes arrivent à trouver la parade réalisant du coup une performance inédite. Ils créent un argot qui ressemble à l’espagnol. C’est un véritable bric à brac des mots et d’expressions hibériques. En réalité c’est une langue morte, incompréhensible. Les artistes-musiciens eux-même qui l’ont inventée et qui l’utilisent dans leurs oeuvres ne la comprennent pas. L’écriture des chansons se fait de façon surréaliste dans cette langue qui en réalité n’existe pas et à partir de laquelle ils écrivent leurs textes. Ils ont fait de cet espagnol à la sauce congolaise la langue du cha-cha-cha.

Argot : langue musicale et langue du cha-cha-cha

Même si on ne sait pas  comment et par qui il a été inventé, l’argot est lié à l’existence du cha-cha-cha au Congo. Il a permis à ce style musical d’évoluer et de ne pas trop s’éloigner de l’éspagnol sa langue originelle. Avec son invention, les artistes congolais ont démontré leur niveau d’inventivité et de creátivité.

L’aventure de cet argot musical congolais n’a pas fait l’objet d’études. Les chroniqueurs musicaux n’en ont jamais parlé et pourtant  il est une invention congolo-congolaise. Elle ne porte pas de nom. Elle s’appelle simplement argot.

Plusieurs titres voient le jour dans cette langue nouvelle faite de bric et de broc. Dans ce registre se retrouvent les meilleurs orchestres de l’époque. Ils jettent leur dévolu dans ce style en rivalisant d’ardeur. De l’African Jazz (Linda Calegnita, Et que siembra su maiz, Indépendance cha cha de Kallé, Club de Six),  à l’OK Jazz (Tcha tcha tcha demi amor de Franco) en passant par le Congo Jazz (A la miaou de Dewayon), Camille Feruzi (Cha cha cha bay) ou Rock-A-Mambo (Baila de Jean-Serge Essous, Pancita et Jalousie de Nino), Kongo Jazz (Simarocca de Lutumba Simaro),  chacun y trouve son compte. Dans certaines chansons le lingala est couplé à l’argot (Africa mokili mobimba).

Le cha-cha-cha aborde la décennie 60 avec assurance. L’OK Jazz et l’African Fiesta des éditions Vita innondent le marché du disque avec les airs cubains de ce rythme. Il résiste contre vent vents et marée. Au contarire, il rivalise férocement avec la rumba en s’imposant comme le second style de la musique congolaise. Íl est bien présent dans le répertoire de l’OK Jazz (Como quere Miguel CantaQue numera el son et Elena el Mujos de Mujos, Sabina el Kwamy de Kwamy, Escucha mia demanda de Vicky Longomba) et l’African Fiesta (Sey sey, Paquita, Eso querida, Calabosso, Tremendo punto et Tabalissimo de Rochereau ; Domingo o sabado, Me voy a cantar et Amartes de Pablito le futur Pamelo Mounka ; Impercoque de Nico). Même le Négro Succès (Mambo Coco) s’y met tout comme Franklin Boukaka (Tombe mire spa, Que tenga hora) sans oublierBantou Jazz (Kumbele Kumbele de Casino) chanté en lingala. La méconnaissance de l’espagnol a entraîné plusieurs artistes congolais à piocher dans la chanson cubaine (El Que Siembra Su Maiz). Par contre, si La Engañadora de Jorrin est considéré comme le premier cha-cha-cha de tous les temps, le plus celèbre tempo congolais de cette musique reste sans doute Indépendance chacha de Grand Kallé.

Et le chacha s’estompa

Lorsquel’African Fiesta se disloque, le divorce entre Nico et Rochereau étant consommé, le cha-cha-cha fait encore de la résistance. Car même si l’African Fiesta Sukisa (Yo soy tu dolor et Comono de Nico, Runeme mama de Chantal) et l’African Fiesta National (Mentiroso, Como bacalaoGuantanamo et Bina ringa de Rochereau ; Sam tu querreComo bacalao de Mangwana) s’intéressent encore à ce genre musical, l’élan pris dans les années 50 semble se ralentir. La majorité des orchestres s’ouvrent aux rythmes et aux vents musicaux nouveaux qui soufflent sur la culture congolaise. Dans les années 70, seul l’African Team de Paris s’y accroche encore désespérément. Le groupe sort quelques titres (Africa ambiance, El Bantou) qui tentent péniblement de prolonger son existence plus que jamais menacée. Mais loin de son terroir kino-brazzavillois le cha-cha-cha est en sursis.

Englouti par la génération Thu Zaïna puis celle de Zaïko, Le rythme tombe dans l’hibernation. Inusité, l’argot musical disparaît totalement de l’univers artistique congolais. Il faut attendre l’interprétation réussie de Marina par Beyou Ciel et l’Afrisa pour se remémorer des airs afro-cubains. Malgré  la réédition par Tabu Ley de ses inoubliables anciens succès (Paquita et En Guantanamo) dans l’album réservé pour ses 33 ans de sa carrière, le cha-cha-cha n’arrive pas à décoller pas. Au contraire ces reprises, sans oublier Jeancy de  Pompom Miyake, sont les mélodies d’adieu aux mélomanes des deux rives du fleuve Congo.

Classée musique d’antan, la création de Jorrin a fait son temps. Avec la disparition des artistes qui ont fait sa renommée, cette sauce cubaine est aujourd’hui plongée dans un très profond coma. Les générations actuelles ne semblent ni se souvenir de ce tempo ni s’intéresser à ce genre musical suave dont les airs ont pourtant assouvi bien des cœurs.

Samuel Malonga/mbokamosika.com

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Verified by MonsterInsights