Les instrumentistes-chanteurs(illustrations audios)

Le football et la musique sont deux domaines différents de par leur nature. Mais au Congo ils ont des affinités qui les rapprochent. Le sport-roi a par exemple prêté le vocable ″attaque″ à l’art d’Orphée. Au football, l’attaque est composée des joueurs évoluant vers l’avant. Ce que  l’on appelle communément dans le jargon musical congolais ″attaque chant″ est l’ensemble des chanteurs d’un orchestre. Ceux-ci se placent toujours au-devant de la scène alors que tous les autres musiciens sont à l’arrière-plan. Leur voix fait pâlir d’envie tandis que leur façon de se trémousser attire le regard et impressionne.

Dans un groupe musical, la voix des chanteurs raisonne dans le cœur des mélomanes. En débitant des paroles suaves, elle tient le public en haleine. La voix attire, pénètre dans les entrailles de l’être pour toucher l’âme, réveiller les émotions enfouies et ressusciter les sentiments les plus intimes. Sensuel, charmeur ou langoureux, le timbre de la voix reflète ce qu’il y a de profond dans une chanson. Cet attribut fait des chanteurs les artistes les plus adulés.

Au regard du public, les artistes instrumentistes jouent les seconds rôles sur cette scène dominée par les chanteurs. Même si les rifs emballants des solistes, les partitions sulfureuses des autres guitaristes, l’apport des batteurs ou des souffleurs apportent les ingrédients nécessaires dans le feu de l’ambiance, les chanteurs sont au-dessus du lot car ils captivent la foule.

Cette popularité des artistes-chanteurs a créé une certaine émulation. Elle a été l’objet d’un sursaut d’orgueil et d’un défi à relever de la part de certains instrumentistes. La magie du micro attire et émerveille les artistes-musiciens non chanteurs. Devenir chanteur étant considéré comme une ″promotion″ et même si la conversion n’est pas évidente, certains instrumentistes ont tenté l’aventure en devenant chanteurs par la force des choses. L’attaque chant n’est-elle pas la composante de l’orchestre qui fabrique plus de stars et de célébrités que d’autres? Pourtant des grands artistes et non des moindres comme Déchaud Mwamba, Docteur Nico et Decca Mpudi ont fait le choix contraire. Ils sont passés du micro à la guitare.

Dans les années 40, Wendo Sor et Adou Elenga jouent de la guitare mais s’illustrent surtout comme chanteurs.

Luambo Franco qui a vite compris l’avantage de cumuler micro et guitare dès ses débuts dans la chanson, jouera ce double rôle tout au long de sa riche carrière.

Dans ces années coloniales, Ebengo Dewayon et son frère Johnny Bokelo ne sont pas en reste. Ce dernier va même s’éclater au chant dans la série des Mwambe.

S’inspirant de ses aîné Luambo, Mopero wa Maloba surgit dans la décennie 70 avec l’orchestre Cavacha. Il va chanter et jouer à la fois sa guitare dans quasiment toutes les chansons de son groupe.

Jean Goubald a une place de choix dans cette catégorie des guitaristes-chanteurs.

Lorsqu’apparaissent Kapia et Kuyena, la liste des guitaristes-chanteurs évoluant seuls s’allonge. Auréolé par l’apport de Jean Bosco Mwenda un des précurseurs de ce genre musical, Lokua Kanza est celui qui aujourd’hui perpétue le plus cette tendance.

Après avoir rangé sa guitare, Ray Lema prend le micro. Devenu pianiste-chanteur, l’ancien séminariste a depuis réussi son pari. Dans la musique congolaise moderne,  Bobongo Stars est le seule groupe musical qui s’est illustré avec sa pléthore d’instrumentistes-chanteurs : Matingu Bastia (Mbati), Mutela Shakara, Kiandinga Ringo et Ondo.

Michelino Mavatiku s’est aussi livré à cet exercice (Niama Nzoku) tout comme bien avant lui le célébrissime Bavon Marie-Marie dans Libanga na libumu 2e.

L’attrait du micro étant fort, Bimi Ombale engagé comme batteur dans Zaïko émet son désir de passer à l’attaque chant. Les chanteurs du groupe lui mettent les bâtons dans les roues. Devant ce refus de ses pairs, l’homme claque la porte pour aller grossir les rangs de Tabou National. Lorsqu’il rentre au bercail, il retrouve ses anciens amis de Zaïko auréolé par son nouveau statut. Adieu les baguettes ! Devenu chanteur à part entière, Ombale s’affirme dans ses nouveaux habits. Son talent éclate au grand jour. Il étonne par la qualité et l’abondance de ses œuvres phonographiques. Aurait-il été l’auteur-compositeur prolifique que l’on a connu s’il était resté batteur ? Nul ne le sait. Toutefois dans ce registre, ses collègues Meridjo et Ilo Pablo n’ont pas démérité.  Un autre ″drummer″, Seskain Molenga, va se singulariser dans le groupe Show Machine de Saak Sakoul où bien des fois il s’est improvisé chanteur notamment dans Zalaka na ngai et Eluka makambo.

D’un instrument à l’autre, le monstre du cuivre, Empompo Loway, dont les mélodies du saxo emballent les mélomanes n’hésite pas à franchir le Rubicon. Celui que Tabu Ley a surnommé Le Meneur fait ses premiers pas de chanteur dans l’orchestre Tiers Monde Coopération avec Zunguluke, Adolo Timbi et Christo.

Mais bien avant lui, le polyvalent Verckys Kiamuangana alias L’homme aux poumons d’acier a gravé sa voix dans plusieurs œuvres de Vévé dont Mfumbwa. Le saxophoniste Manu Dibango est passé chanteur dès sa première chanson Twist à Léo.

Inversement, il y a aussi des chanteurs-guitaristes notamment Franklin Boukaka, Youlou Mabiala, Lita Bembo, Koffi Olomide, Carlito, Wazekwa, Joly Mubiala, Fally Ipupa, Lassa Lacolyte.

Même s’ils ne jouent que pour le plaisir, on a vu dans les années 70, Kolo Kwanga s’emparer de la guitare solo de Bongo Wende pour épater les téléspectateurs en grattant aisément sur les cordes de la guitare. Mais ils préfèrent rester chanteurs et profiter de la magie du micro pour emporter le public avec leur voix sublime.

Les instrumentistes-chanteurs ont connu des fortunes diverses. L’essentiel est qu’ils avaient pu savourer le bonheur de chanter devant le micro.

Samuel Malonga/mbokamosika.com et sphynxrdc.com

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