C’est un scrutin dont l’issue ne faisait pas mystère pour les plus fins observateurs du microcosme financier africain, mais dont l’ampleur a néanmoins surpris. Avec 76,18 % des voix dès le troisième tour, le Mauritanien Sidi Ould Tah a été porté à la présidence de la Banque africaine de développement (BAD) comme une évidence. Une clarté électorale inédite dans l’histoire récente de l’institution, signe d’une confiance solide placée en cet homme au parcours millimétré, maniaco-structuré, et à la réputation d’une redoutable efficacité.
À 63 ans, l’ancien patron de la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (Badea) devient ainsi le neuvième président de la plus grande institution panafricaine de financement. Une arrivée saluée par une large partie des gouverneurs de la banque, mais aussi par le monde des affaires, des bailleurs, et les cercles discrets de l’intelligence financière arabe et africaine.
Le trait d’union Afrique – monde arabe
Peu connu du grand public il y a encore quelques années, Sidi Ould Tah est pourtant un habitué des couloirs des grandes banques de développement. Docteur en économie, formé entre Paris et Rabat, il a successivement occupé les fonctions de ministre mauritanien de l’Économie et des Finances, de haut fonctionnaire à la Banque mondiale, puis de directeur général de la BADEA, poste qu’il a occupé pendant une décennie.
Sous sa direction, cette institution discrète, financée par les pays de la Ligue arabe, a connu une métamorphose spectaculaire : volume d’approbations multiplié par douze, volume des décaissements par huit, et un taux de créances douteuses ramené sous la barre des 0,5 %. Une transformation saluée jusqu’aux agences de notation internationales : S&P a relevé la note de la BADEA à AA+ en mai dernier, positionnant l’institution dans le peloton de tête des banques multilatérales du Sud global.
En filigrane, Ould Tah incarne une ambition : celle de repositionner l’Afrique au centre des flux financiers émergents, loin des mécaniques traditionnelles de l’aide publique au développement. « Le monde de l’aide occidentale est mort, il faut aller chercher l’argent là où il est », confiait récemment Serge Ekué, président de la BOAD. Un discours que partage pleinement Sidi Ould Tah, pour qui le partenariat stratégique avec le Golfe et l’Asie est l’un des piliers d’avenir.
Une victoire portée par une stratégie implacable
Son équipe de campagne, conduite par Frannie Léautier, ex-vice-présidente de la BAD et ancienne cadre de la Banque mondiale, a imposé un tempo précis : une vision technique, un langage rassurant, et une image de bâtisseur silencieux. Face à des concurrents solides – le Sénégalais Amadou Hott ou le Zambien Samuel Maimbo – Ould Tah a capitalisé sur la stabilité, la crédibilité technique et la géopolitique, en ralliant aussi bien l’Afrique de l’Ouest que les pays arabes, grâce notamment à l’activisme diplomatique de Nouakchott sous la présidence de Mohamed Ould Ghazouani à l’Union africaine en 2024.
Avec sa doctrine des « quatre points cardinaux » – réforme de l’architecture financière africaine, mobilisation de capitaux à grande échelle, industrialisation raisonnée, valorisation du dividende démographique – Sidi Ould Tah promet une BAD plus agile, plus stratégique, et résolument tournée vers le levier privé plutôt que le poids public.
Un style réservé, mais une main de fer
À la différence de son prédécesseur Akinwumi Adesina, charismatique mais parfois clivant, Ould Tah opte pour la sobriété dans la forme mais la fermeté dans la méthode. Sa prise de parole après la proclamation des résultats fut brève : « Je vous remercie pour cet honneur dont je mesure la responsabilité… Now, it’s time to go to work. I’m ready. »
Prêt, il l’est, incontestablement. Et il le sait, il sera attendu sur plusieurs fronts : relancer certains volets de la stratégie décennale (2024-2033), accélérer l’électrification via le programme Desert to Power, faire décoller la Mission 300, et surtout… faire plus avec mieux, dans un contexte où le capital libéré plafonne alors que les besoins africains explosent.
Fabrice Lusinde, un soutien de la première heure
Au sein de cette constellation de hauts responsables africains, certains n’ont pas attendu pour féliciter le nouveau président. Parmi eux, un nom bien connu en République démocratique du Congo : Fabrice Lusinde, actuel directeur général de la SNEL SA (Société nationale d’électricité), qui a tenu à saluer « l’élection d’un ami, un travailleur infatigable, un homme d’affaires au service du public, et un partenaire de vision ».
Les deux hommes se connaissent bien. Ils ont collaboré à la Banque mondiale, où leurs chemins se sont croisés dans divers projets d’appui institutionnel. « Je suis convaincu que Sidi Ould Tah va marquer son temps. Il a la compétence, la rigueur, mais surtout une compréhension fine des équilibres africains. Son élection est une bonne nouvelle pour tout le continent. » confie Lusinde.
Un président pour une nouvelle ère
L’heure n’est plus à la fête. Dès demain, l’équipe de transition de Sidi Ould Tah intégrera la BAD pour une prise de contact accélérée avant son installation officielle le 1er septembre 2025. En héritant d’une banque en bonne santé mais sous forte pression stratégique, le nouveau président n’aura pas de répit.
Mais s’il est une qualité que même ses adversaires lui reconnaissent, c’est celle-ci : il n’avance jamais sans cap, sans méthode, ni sans but. Et il sait plus que quiconque que l’avenir du continent ne se construira pas sur de belles intentions, mais sur des feuilles de route, des chiffres, et du concret.
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