LE MARCHE DE L’EMPLOI PRIS EN OTAGE PAR CERTAINS FACULTES UNIVERSITAIRES(Une chronique du Prof Voto)

Dans un environnement où le taux de chômage est très élevé, où beaucoup d’entreprises ont fait faillite suite à la zaïrianisation ainsi que des pillages des débuts des années 90, trouver du travail sur le marché congolais devient un casse-tête pour des jeunes diplômés. Cette situation s’est aggravée du fait que des secteurs entiers de la vie publique sont pris en otage par les ressortissants de certaines facultés universitaires qui les considèrent comme leur chasse gardée. Les ainés ayant été pionniers à occuper le secteur, ils l’ont verrouillé en faveur des cadets issus de la même faculté qui les a formés. Conséquence : ne peuvent y entrer et occuper un poste vacant que les jeunes qui les ont succédés dans les auditoires, au nom d’une règle qui n’est écrite nulle part. Ceux qui ont étudié dans d’autres universités ou d’autres facultés n’y ont pas de place.

UNIVERSITES PUBLIQUES vs PRIVEES
L’Etat étant le premier employeur dans ce pays et Kinshasa étant le siège des institutions avec plusieurs possibilités d’emploi, ce sont les universités publiques qui ont commencé à verrouiller le marché d’emploi pour leur compte, excluant les diplômés des universités privées, avant que celles-ci ne prennent leur revanche au fil des temps. Qu’ils soient de l’opposition ou de la majorité, les camarades des mêmes facultés restent solidaires et protègent leur chasse gardée.

LES FINANCES PUBLIQUES
Le secteur des finances publiques a été pris en otage depuis des années par la faculté de l’économie de l’Université de Kinshasa. Les emplois et les marchés se passent entre professeurs et leurs étudiants.
Depuis la deuxième république, l’ombre des ainés comme Kinzonzi, Mabi Mulumba, Mulumba Lukoji, Makumanya wa Ngate, Katanga Ya Mutumba, Freddy Matungulu, Ilunga Ilukamba, etc, a toujours plané sur le secteur accompagnant leurs étudiants comme Sam Bokolombe, Bavon Nsamputu, Matata Mponyo, Jules Alingete, Samuel Simene, Jean Lucien Bussa, et tant d’autres.
Il est donc très difficile d’occuper des hautes fonctions dans les finances publiques si vous n’êtes pas sorti de cette école. Les étudiants de l’Ecole Nationale des Finances sont leurs exécutants et n’ont pas droit aux hautes fonctions.

LES ENTREPRISES PRIVEES
Il faut attendre le début des années 2000 avec le boom bancaire et les télécoms pour voir l’UPC prendre sa revanche sur la faculté de l’économie de l’Unikin. Les premiers diplômés de la faculté d’économie de l’UPC ont été absorbés par des banques et les entreprises de télécoms qui venaient s’installer nouvellement à Kinshasa, leur permettant de se hisser très vite à la tête de ces entreprises privées. Aussi, les staffs de plusieurs banques et entreprises de télécommunications et même les sous-traitances dans ce secteur, sont dirigées par des anciens de l’UPC. Ceux-ci ayant compris comment les autres fonctionnent, ont également verrouillé à leur tour le secteur. Le recrutement se fait de bouche à oreille, sinon, le test d’embauche s’organise carrément au sein même de la faculté. Il est très difficile à un diplômé d’autres universités de se hisser haut dans ces entreprises où les anciens de l’UPC se montrent solidaires.

LA MAGISTRATURE ET LE BARREAU
Ici, c’est la chasse gardée de la faculté de droit l’université de Kinshasa qui tolère à peine les diplômés de la faculté de droit de l’Université de Lubumbashi. Fort de l’aura de leurs professeurs et autres anciens diplômés dans le domaine politique comme Vundwawe te Pemako, Nimy Maidika Ngimbi, Kolongo Mbikay, Evaiste Boshab, le parchemin de l’Unikin semble devenir un sésame sans lequel les portes se referment devant vous.
Ils ont pris en otage la magistrature et le barreau. Les diplômés de la faculté de droit de l’UPC qui sont pourtant formés par les mêmes professeurs venus de l’Unikin, ne sont pas les bienvenus dans le métier. Pour contourner ce verrouillage, les diplômés des universités privées se replient en province pour prêter serment avant de revenir à Kinshasa. L’ascension des diplômés d’autres Universités dans le métier est simplement laborieuse.

LA SANTE
Le secteur de la santé est aussi pris en otage par la faculté de médecine de l’université de Kinshasa qui accorde un peu d’espace à leurs collègues qui ont étudié à l’étranger pour des raisons d’expertise. Les diplômés d’autres Universités ont difficile à obtenir le numéro d’ordre leur permettant d’exercer. Et, s’ils arrivent à l’avoir, leur place est dans les petites formations médicales privées. La symbolique de ce modèle d’exclusion est donnée par la Covid-19 qui a été gérée entre le Professeur Muyembe et son étudiant Eteni Longondo. Le comité scientifique est essentiellement constitué des anciens étudiants de cette faculté. Même le brillant Professeur Ekwalanga de Lubumbashi a éprouvé des sérieuses difficultés à faire passer son protocole contre la Covid-19. Le Dr Muyangi qui é terminé à l’Université Bel Campus était un espoir pour tous ces médecins sortis d’universités privés, s’il arrivait à convaincre avec sa recette. Malheureusement.

LA COMMUNICATION
Le secteur des médias se présente telle une chasse gardée de l’Ifasic. Alors que presque toutes les universités organisent aujourd’hui la formation en sciences de l’information et de la communication, il est très difficiles aux diplômés d’autres universités de se faire une place au soleil dans le secteur. Il faut être un téméraire comme Jean Marie Kassamba ou très talentueux comme Christian Lusakweno, pour se faire entendre dans ce secteur quasiment fermé. Presque tous les membres du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, CSAC en sigle, viennent de l’Ifasic. Comme ailleurs, ça se passe entre professeur et étudiants de cette faculté. L’actuel Ministre de la communication est un ancien de l’Ifasic. Presque tous les membres du service de communication de la présidence sont sortis de l’Ifasic : le porte-parole et son adjoint ainsi que la plupart des cadres viennent de la même faculté. Les tentatives par la présidence de déroger à cette règle n’a toujours pas donné des résultats. Les stagiaires qui viennent des autres universités, même de l’Unikin, sont regardés autrement par des responsables des médias qui sont presque tous des anciens de l’Ifasic.

Ces différents scénarii qui ont conduit à phagocyter le marché de l’emploi témoignent de l’exclusion des uns par les autres au motif d’un passé historique qui n’a rien à voir avec le sceau de la compétence ou de savoir-faire individuel. D’aucuns estiment qu’un arbitrage des pouvoirs publics devrait mettre fin à ce type d’apartheid universitaire qui ne dit pas son nom dans le secteur de l’emploi congolais.

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