La réconciliation comme gage d’une paix durable en République Démocratique du Congo

Dans son ouvrage, intitulé “ DIPLOMATIE” paru aux Éditions Fayard en 1996 et traduit de l’anglais par  Marie-France de Paloméra, le Dr Henry Kissinger (1923-2023) – ancien professeur à l’Université de Harvard, ancien Ministre des Affaires Étrangères des États-Unis et probablement l’un des meilleurs analystes du monde des relations internationales – définit la realpolitik comme une méthode d’action fondée sur une analyse préalable des facteurs déterminant une situation donnée, une telle analyse devant servir la prise de décision afin d’atteindre un but précis.

Au fil des événements et des périodes historiques, le mot « realpolitik » a indistinctement été utilisé comme un slogan, un label, une pratique politique, une posture, voire une catégorie d’analyse à la connotation négative. Souvent associée au cynisme et à l’absence de morale en politique, la realpolitik trouverait son double opposé dans la figure de l’idéalisme. Sur le plan intellectuel, l’origine de cette pratique est souvent associée au nom du penseur italien Nicolas Machiavel (1469-1527) – la filiation intellectuelle conduisant également à des figures politiques européennes telles que le cardinal de Richelieu, Talleyrand, Metternich, Bismarck, auxquels Kissinger fait longuement référence dans son ouvrage.

La Diplomatie a ceci de commun avec la Politique c’est qu’elles appartiennent toutes les deux à des disciplines qui ne laissent que peu de place aux sentiments et aux états d’âmes. Le rendez-vous “manqué” du 15  décembre 2024 à Luanda – où il devait être question, entre autres, de l’évaluation des progrès réalisés dans le cadre de ce qu’il est convenu d’appeler “Le Processus de Luanda”, depuis mars 2024, et du projet d’Accord de Paix présenté, par la facilitation angolaise, en août 2024, aux Parties au conflit – doit inviter à une commune introspection.

Ce rendez-vous “manqué” ne doit, en aucun cas, être assimilé à un échec dès l’instant où ses motivations réelles sont connues et que celles-ci correspondent à la posture d’une fuite en avant plutôt que d’une réelle volonté de s’inscrire dans un Processus de Paix appuyé tant par l’Union Africaine que par les Nations-Unies.

La présence du Président de la République Démocratique du Congo, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, à Luanda, pour le Sommet Tripartite sur la paix et la sécurité à l’Est de la RD Congo convoqué par le Président angolais, Joao Lourenço, en date du 15 décembre 2024, marque la volonté de la RD Congo de rester fidèle à ses engagements et de faire le choix de la paix plutôt que celui des armes.

Dès lors, tous ceux qui sont en faveur de la paix doivent se féliciter de la décision du Président de la RD  Congo de se rendre à Luanda, mais, également, soutenir sans réserve, aucune, cette démarche, tout en condamnant avec la dernière énergie toute politique de diversion portée par un bellicisme anachronique et de seconde zone transcendé par une idéologie dont l’obsolescence renvoie à des périodes  reculées et peu glorieuses de l’histoire de l’humanité.

La quête de la paix n’est jamais une voie rectiligne, elle est toujours semée d’embûches parce que, à la coexistence pacifique entre les peuples, certains préfèrent la perversion emblématique quasi machiavélique du non respect des droits de l’homme subtilement masqué par une supercherie intellectuelle motivée par l’appât du gain et un irrédentisme séculaire.

Le Peuple Congolais, dans toute sa diversité et son ensemble, est un peuple pacifique, hospitalier et convivial. Il est de coutume, dans nos traditions africaines, lorsque sourdent des problèmes, de se réunir, consacrer un temps à la discussion, un autre à la réflexion et finalement prendre le parti de la décision en vue de régler les différends dont question. Et le préambule de la Constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006, telle que modifiée en certaines de ses dispositions, par la Loi n°11/002 du 20 janvier 2011, est une invitation à la communion d’esprit, à la cohésion et à l’unité nationales, stipulant, en ces termes :

“Nous, Peuple congolais, Uni par le destin et par l’histoire autour de nobles idéaux de liberté, de fraternité, de solidarité, de justice, de paix et de travail ; Animé par notre volonté commune de bâtir, au coeur de l’Afrique, un Etat de droit et une Nation puissante et prospère, fondée sur une véritable démocratie politique, économique, sociale et culturelle ; Considérant que l’injustice avec ses corollaires, l’impunité, le népotisme, le régionalisme, le tribalisme, le clanisme et le clientélisme, par leurs multiples vicissitudes, sont à l’origine de l’inversion générale des valeurs et de la ruine du pays ; Affirmant notre détermination à sauvegarder et à consolider l’indépendance et l’unité nationales dans le respect de nos diversités et de nos particularités positives …”.

Dès lors, toutes les personnes appartenant aux groupes ethniques dont les personnes et le territoire constituaient ce qui est devenu le Congo (présentement la République Démocratique du Congo) à l’indépendance qui se reconnaissent dans cet idéal – véritable fondement de notre Nation -, ont vocation à participer à un dialogue sur la réconciliation nationale de nature à jeter les bases d’une nouvelle République véritablement inclusive qui garantisse la coexistence pacifique, le respect de chaque communauté se trouvant sur le territoire national et qui tiendrait compte des mutations ayant émaillé notre société au cours des trente dernières années.

Une telle initiative aurait le grand mérite de s’inscrire dans une dynamique de paix durable et rencontrerait, inévitablement l’assentiment des organisations internationales, particulièrement l’Organisation des Nations-Unies dont la Charte Fondamentale est l’essence même de la Paix, ce patrimoine commun de l’humanité auquel aspire toute Nation. Car la République Démocratique du Congo, à travers ses institutions et les acteurs de celles-ci, a résolument fait le choix d’une modèle de société où les différends ne se règlent pas par l’invective et la menace ou l’emploi de la force armée mais, dans lequel, l’ordre public est respecté tout comme les différences communautaires ont vocation à l’être.

Méthode d’action fondée sur une analyse préalable des facteurs déterminant une situation donnée, une telle analyse devant servir la prise de décision afin d’atteindre un but précis, la realpolitik invite aujourd’hui les Congolaises et les Congolais à se parler, à s’écouter, à se pardonner et à se considérer mutuellement, à faire table rase du passé et à jeter les fondements d’une société plus égalitaire dans laquelle le respect de la vie humaine et des sceaux de la République constitueront le socle sur lequel sera bâtie une Nation nouvelle, un Congo nouveau, en vue de garantir une coexistence pacificique et une paix durable.

L’exclusion suscitant, bien souvent, un sentiment de frustration voire d’ostracisme, la quête de la cohésion nationale et de l’unité nationale doivent inévitablement passer par la prise en compte de la différenciation dans une optique d’intégration. Les revendications ne peuvent avoir un fondement juridique que lorsqu’elles puisent leur légitimité dans les textes régissant une Nation et, à plus forte raison, dans sa Constitution. C’est donc par la Constitution et avec la Constitution que toute réconciliation nationale révélera son bien-fondé et que toute négociation trouvera ses assises.

Bien que l’issue d’une négociation ne soit jamais acquise d’avance et qu’à l’autel des principes, il n’y a pas de place pour la négociation, le levain de la paix invite à la négociation : pour autant, ne négocions jamais avec nos peurs, mais, au contraire, n’ayons jamais peur de négocier car, pour élever définitivement une Nation, aux Institutions de la République chacun doit respect, à la Constitution chacun doit loyauté et conformité, et à la République chacun doit la citoyenneté. C’est-à-dire la jouissance, au plan juridique, de l’ensemble des droits privés et publics qui constituent le statut des membres d’un État donné qui les reconnaît comme tels et qui fondent le socle naturel sur lequel ce même État est bâti.

Roger NZAU
Kinshasa, République Démocratique du Congo
Le 16 décembre 2024

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