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Justice: Affaire Christopher Ngoyi contre Kalev, Me Alain Kendewa éclaire l’opinion

Me Alain Kendewa, avocat au barreau de Matete

Affaire Christopher NGOYI contre Kalev Mutondo
Suivant les informations qui circulent sur les réseaux sociaux et bien connues du grand public, c’est que Monsieur NGOYI Christopher, défenseur des droits humains, est allé en justice contre Monsieur KALEV MUTONDO, ex-patron de l’Agence Nationale des Renseignements, par devant le Tribunal de Paix de Kinshasa/Gombe. Ce défenseur des droits humains accuse l’ex-patron de l’Agence Nationale des Renseignements de tentative d’assassinat, d’enlèvement, de torture et d’empoisonnement, des faits prévus et punis par la loi pénale congolaise dans les dispositions que nous aurons l’occasion d’évoquer tout au long de ces propos. Mais avant tout, il s’observe que pour tous ces faits mis à charge de Monsieur Kalev Mutondo, Monsieur NGOYI Christopher a saisi le Tribunal de paix de Kinshasa/Gombe pour que justice lui soit faite. Cela appelle tout de même l’attention de tout juriste rompu dans la pratique prétorienne à analyser, non pas le fonds de l’affaire dont les soins demeurent l’apanage exclusif du juge saisi de les apprécier suivant son intime conviction, mais plutôt les aspects procéduraux ayant conduit à cette saisine du Tribunal de paix de Kinshasa/Gombe.

En effet, les pouvoirs, l’organisation et le fonctionnement des juridictions de l’ordre judiciaire sont portés en République Démocratique du Congo par la loi n°13/011-B du 11 Avril 2013 sur l’organisation et fonctionnement des juridictions de l’ordre judiciaire. C’est dire qu’en s’adressant au juge de paix pour connaître de l’affaire qui l’oppose à Monsieur KALEV MUTONDO, Monsieur NGOYI Christopher était censé connaître ces dispositions légales en vue du succès dans l’action qu’il a menée. Le Tribunal de paix de Kinshasa/Gombe, en l’occurrence, est-il matériellement compétent pour connaître des infractions soumises à sa juridiction ? Voilà toute la question autour de laquelle s’étendra la présente analyse. Nous écartons de nos propos la question relative à la compétence territoriale. En effet, l’article 85 de la loi sous examen dispose « Les tribunaux de paix connaissent des infractions punissables au maximum de cinq ans de servitude pénale principale et d’une amende, quel que soit son taux ou d’une de ces peines seulement », fin de citation. Il en découle que l’infraction dont on se propose de poursuivre la répression doit avoir pour peine applicable non supérieure à cinq ans de servitude pénale principale. Le justiciable n’a donc pas de choix à opérer en rapport avec le juge que la loi lui assigne. D’où la question de passer à l’examen de ces infractions mises à charge de Sieur KALEV MUTONDO présentées en terme de tentatives d’assassinat, d’enlèvement, de torture et d’empoisonnement. D’emblée, l’opinion devra retenir au vœu de l’article 4, alinéa 2 du Code pénal congolais Livre premier que la tentative est punie au même titre que l’infraction consommée. C’est dire que Sieur KALEV MUTONDO est poursuivi du chef de ces préventions indifféremment du résultat auquel ces tentatives avaient abouti in illo tempore. Ces infractions sont donc considérées comme étant ayant été commises et consommées. Passons ainsi à l’examen de chacune d’elles et donnons la position que nous jugerons pertinente à chaque espèce :

  1. Assassinat : c’est une infraction prévue et punie par les dispositions combinées des articles 44 et 45 du Code pénal Livre second et il est puni de mort. Cette peine mise en concours avec le taux de la peine de cinq attaché aux infractions de la compétence du Tribunal de paix, il s’observe que l’infraction d’assassinat échappe à la compétence matérielle du Tribunal de paix. Le Tribunal devra se déclarer dans ce cas incompétent ratione materiae pour connaître de cette infraction.
  2. Enlèvement : une infraction légalement établie au vœu de l’article 67 du code pénal congolais livre second, elle est punie de 1 à cinq ans de servitude pénale. Il apparaît dès lors que cette prévention relève de la compétence du Tribunal de paix au regard du taux de la peine prévue. La juridiction saisie, dirait-on, a la compétence de sa compétence.
  3. Torture : Il faut rappeler qu’en République Démocratique du Congo, la torture n’était pas encore érigée en infraction par le législateur congolais. Elle était considérée au titre des circonstances aggravantes de certaines infractions telles que le viol, les menaces,…des nombreuses conventions internationales font mention de l’interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il en est ainsi de la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (New York, 10 Décembre 1984 ratifiée par la RDC le 18 Mars 1996) dispose en son article 1er : Aux de la présente convention, le terme « torture » désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aigües, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne auxfins notamment d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou de faire pression sur elle ou d’intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit, lorsqu’une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou tout autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. Ce terme ne s’étend pas à la douleur ou aux souffrances résultant uniquement de sanctions légitimes, inhérentes à ces sanctions ou occasionnées parelles ». Par ailleurs, l’article 2 prévoit que « Tout Etat partie prend des mesures législatives, administratives, judiciaires et autres mesures efficaces pour empêcher que des actes de torture soient commis dans tout territoire sous sa juridiction ». En vertu de cette dernière disposition, la RDC était d’abord amenée à disposer dans sa Constitution du 18 Février 2006 en son article 61, point 2 que « En aucun cas, et même lorsque l’état de siège ou l’état d’urgence aura été proclamé conformément aux articles 85 et 86 de la présente Constitution, il ne peut être dérogé aux droits et principes fondamentaux énumérés ci-après : ……2. L’interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants ; Cependant, il y a lieu de noter que si les constitutions congolaises ont toujours proclamé l’interdiction de la torture au titre des droits et libertés publiques à protéger, aucune loi spécifique criminalisant la torture n’existe à l’heure actuelle. Il serait donc hasardeux et donc grossièrement risqué de diriger pareille action relative à la torture par devant le Tribunal de paix au regard notamment de la gravité des faits que cela renferme. Pour ma part, je vais considérer, sauf preuve littérale contraire, que les tribunaux de paix n’ont pas compétence pour connaître des faits de cette gravité-là, si ce n’est le Tribunal de grande instance. C’est donc une réflexion proactive faite de lege ferenda.
  4. Empoisonnement : c’est une infraction prévue et punie par la disposition de l’article 49 du Code pénal Livre second. Il est puni de mort. Mis en concours avec le taux de peine prévue pour déterminer la compétence des tribunaux de paix, il s’observe que cette infraction échappe péremptoirement à la compétence du tribunal de paix. La conséquence logique est de s’entendre le tribunal ainsi saisi par le Défenseur des droits humains se dise non compétent dans cette espèce.
    Dans la pratique, que faire donc lorsque des infractions tout à fait diverses sont mises à charge d’une personne revêtue au moment des faits des charges publiques ?
    Pour un premier temps d’une personne poursuivie de plusieurs infractions relevant des juridictions de rang différent, la solution est pertinemment posée par la disposition de l’article 99 du Code de l’organisation, du fonctionnement et de la compétence de juridictions de l’ordre judiciaire qui dit « lorsqu’une personne est poursuivie simultanément du chef de plusieurs infractions qui sont de la compétence de juridictions de nature ou de rang différents, la juridiction ordinaire du rang le plus élevé compétente en raison de l’une des infractions l’est aussi pour connaître des autres ». Ainsi donc, suivant cette disposition évoquée eu égard aux infractions soumises à la juridiction du tribunal de paix, cette juridiction se doit de se dessaisir de ce dossier au profit du Tribunal de Grande Instance de Kinshasa, normalement compétent en raison de plus d’une infraction.
    En deuxième lieu, nous sommes emmenés à nous prononcer sur l’incident de procédure qui pourrait être évoqué en rapport avec la qualité de ce justiciable : ces infractions ayant été commises à l’occasion de l’exercice de sa profession, Monsieur KALEV MUTOND ne bénéficie-t-il pas de garanties judiciaires en termes d’’immunités, de privilèges de juridictions et ou encore, des privilèges de poursuites ? Interrogeons d’abord la loi créant l’agence nationale des renseignements. En effet, l’article 1er du Décret-loi n°003-2003 portant création de l’agence nationale des renseignements porte que cette agence est un service public doté de l’autonomie administrative et financière. Examinant à fonds cette loi, il se trouve que dans son article 20 le personnel de cette agence est soumis à la loi n°81-003 du 17 Juillet 1981portant statut du personnel de carrière des services publics de l’Etat. Cette disposition n’opère aucune distinction dans la catégorie de ce personnel en ce qu’il n’est pas hasardeux d’y comprendre aussi l’administrateur général, son dirigeant. Cependant, la question est celle de savoir finalement quel est le statut judiciaire d’un administrateur général de l’Agence nationale des renseignements ? La lecture combinée des articles 91 de la loi sur la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire et 25 du Décret créant l’Agence nationale des renseignements fait observer que l’Administrateur est non seulement bénéficiaire des privilèges de juridiction mais il jouit aussi de privilèges des poursuites. En effet, l’article 91 de la loi sur la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire dispose « …elles connaissent également, au premier degré :…2. Des infractions commises par les membres de l’assemblée provinciale, les magistrats, les Maires, les Maires adjoints, les Présidents des Conseils urbains et les fonctionnaires des services publics de l’Etat et les dirigeants des établissements ou Entreprise publique revêtus au moins du grade de directeur ou du grade équivalent. Si donc, l’on doit considérer que le personnel de l’Agence nationale des renseignements en ce compris l’administrateur général est soumis au statut du personnel de carrière des services publics de l’Etat, l’on peut donc considérer que l’administrateur général en tant que fonctionnaire de ce service public de l’Etat jouit effectivement des privilèges de juridiction. Par ailleurs, si l’on prend en encore en considération l’article 25 « Les officiers de police judiciaire ou du ministère public, avant d’interpeller ou de poursuivre les agents et fonctionnaires de l’Agence nationale des renseignements pour les actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions, doivent demander l’avis préalable de l’administrateur général ». Il résulte de cette disposition que les agents et fonctionnaires de cette agence y compris l’administrateur général lui-même jouissent des privilèges des poursuites. Ainsi donc, dans le cas de l’affaire Ngoy Christopher contre Kalev Mutond, la partie poursuivante doit s’assurer que tel avis avait été obtenu en vue d’engager des poursuites contre l’ex-patron de l’Agence. Cet avis est donc obligatoire sans toutefois qu’il puisse lier le juge du fonds. Cependant, le défaut de cet avis peut donner lieu à une sanction d’irrecevabilité de cette affaire.
    En définitive, nous sommes au point où il va falloir que nous puissions conclure sur ce feuilleton, du moins du point de vue de la procédure, le fonds demeurant toujours l’apanage du juge d’apprécier suivant son intime conviction. Nous sommes d’avis que l’action telle menée devant le Tribunal de paix de Kinshasa/Gombe sous réserve de la compétence territoriale de cette juridiction pourrait ne pas aboutir car nombre d’infractions mises à charge du prévenu Kalev Mutond ne relèvent pas de la compétence du Tribunal depaix d’une part et d’autre part la personne de Kalev Mutond était au moment des faits, moment auquel les faits se cristallisent, à la fois bénéficiaire des privilèges de juridiction et des poursuites. Ainsi donc, sa juridiction pénale se trouve être la Cour d’Appel. Nous pensons arriver au terme de notre mot.
    Me Alain KENDEWA KOMBOZI

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