Hommage à Pépé Kallé : l’éléphant de la musique Africaine

La vie, ce don de Dieu, passe si vite, qu’il vaut mieux la croquer à pleines dents. Voilà vingt-six ans, jour pour jour, que décédait, le 29 novembre 1998, Jean-Baptiste Kabasele Yampanya wa ba Mulanga, alias Pépé Kallé, né à Kinshasa le 30 décembre 1951, arraché à la vie des suites d’une crise cardiaque. Mesurant 2,10 mètres et pesant près de 150 kilos, Pépé Kallé était surnommé «l’éléphant de la musique africaine».

D’abord apprécié à la chorale de l’église, sa voix se révèle en 1969 au sein de l’orchestre Bamboula dont le style s’inscrit dans la lignée de l’African Fiesta de Rochereau. Mais c’est Verckys, célèbre saxophoniste de l’OK Jazz de Franco et grand découvreur de jeunes talents, qui saura mettre en valeur les qualités de chanteur de Pépé Kallé au sein de son groupe Vévé (véritable pépinière de musiciens) et d’une de ses formations satellites Lipua Lipua de Nyboma avec le génial accompagnateur Vata Diantima dit Vata Mombasa .
En 1972, toujours au sein de « l’écurie Vévé », Pépé Kallé participe à la fondation du groupe Bella Bella mené par les frères Maxime et Émile Soki, qu’il va quitter rapidement pour créer son propre ensemble, Empire Bakuba, avec Dilu Dilumona et Papy Tex Matolu. Ce trio vocal a connu une longévité exceptionnelle (plus d’un quart de siècle) dans un environnement où la dislocation des orchestres semble être la règle. Il est aussi celui qui imposa dans le soukouss ce style d’harmonieuses polyphonies interprétées par des solistes.

Il convient de souligner ici que l’orchestre EMPIRE BAKUBA a souvent été confondu avec l’orchestre BAKUBA ou l’orchestre BAKUBA MAYOPI. En effet, l’orchestre Bakuba est une création de Seskain Molengadont Pepe Kalle fut l’une des grandes vedettes et queMadilu System – dont le timbre vocal était proche de celui de Pépé Kallé – avait intégré en 1971. Pour prendre conscience de la similitude des voix entre Pepe Kalle et Madilu, je vous invite à écouter, selon votre emploi du temps, “Verre Cassé” ou “Kopo epasuki” de Simaro chantée tantôt par Pepe Kalle tantôt par Madilu System.

En 1972, le groupe se disloqua. Pépé Kallé s’en alla donc dans Bella-Bella, Papy Tex dans Bella Mambo. Resté seul, Yossa Taluki, dont les violons ne s’accordaient plus avec Seskain Molenga, créateur de cet orchestre, fera appel à Madilu, Pirex et José Dilu pour relever le Bakuba. Mais après un laps de temps, José Dilu ira rejoindre Pépé Kallé et Papy Tex pour monter l’Empire Bakuba.

À partir de 1973, le succès remporté par Pepe Kalle et Empire Bakuba avec Nazoki ne se démentira plus. De 1975 à 1977, ils visitent les pays alentours et vont bientôt propager une nouvelle danse, “masasi calculé”, danse qui embrasa littéralement la ville de Kinshasa et de l’intérieur du pays tout comme les capitales voisines du Zaïre, beaucoup de fans du groupe se balançant de la gauche vers la droite, portant à bout de bras un fusil virtuel tout en mimant un tir tout aussi virtuel, le visage transi de bonheur, en parfaite communion avec le rythme endiablé d’Empire Bakuba et au bord de l’extase.

Dans les années 1980, alors que le groupe commence à étendre le rayon de ses tournées au-delà du continent, les prestations d’Empire Bakuba se font de plus en plus spectaculaires. Adoptant les tenues des sapeurs, les artistes jouent la carte de l’extravagance jusqu’à la limite du grand guignol. Le fameux « Bakuba Show » fonctionne essentiellement sur le contraste saisissant entre la stature gigantesque de Pepe Kalle – qui n’hésitait pas à se mouvoir, de manière fort suggestive, devant les caméras de la télévision nationale au grand bonheur des téléspectateurs fascinés par cette masse qui semblait défier les lois de la pesanteur – et le nain de service : le très célèbre Emorodont les phases de danse allaient, le plus souvent, bien au-delà de ce qu’auraient requis la pudeur et la bienséance… Mais, qu’importe le facétieux Emoro (malheureusement décédé en 1992 lors d’une tournée du groupe au Botswana) accompagné de Joli Bébé, Dokolos et Dominique Mabwa furent les figures marquantes de  l’album Bombe Atomique qui fit exploser les ventes d’albums de l’orchestre.

Il faut reconnaître à Pépé Kallé le mérite d’avoir, en quelque sorte, exorcisé le phénomène du nanisme – souvent associé à la malédiction et donc livré à la vindicte populaire dans certaines cultures africaines – en donnant la possibilité à une brochette de nains conduite par Emoro de laisser libre court à l’expression corporelle les rapprochant ainsi, de manière inductive et intelligente, du commun des mortels. La mascotte Emoro, affectueusement adoptée, est rentrée dans nos têtes comme un gène brisant définitivement l’image morbide et avilissante d’une sous-créature porteuse de damnation et suscitant une unanime réprobation dans le for intérieur des esprits retors.

Les chansons de Pépé Kallé (L’argent ne fait pas le bonheur, Dieu seul sait, Simplicité…) sont dans la tradition d’un Franco, où il s’illustre  dans des textes à double sens évoquant, non sans une certaine ironie corrosive, les difficultés de la vie quotidienne de ses compatriotes. Écrite en 1985, sa chanson Article 15, beta libanga, évoque, avec un cynisme consommé, mais sans équivoque aucune, de « s’en remettre à l’article 15 » que le Président Mobutu avait recommandé aux Zaïrois lors de l’une de ses allocutions devenues célèbres : « Qu’on soit jeune ou vieux / On est tous en face d’une même réalité : la vie difficile / Le cauchemar quotidien / Que faire, sinon se référer à l’Article 15 / « Débrouillez-vous pour vivre » / À Kinshasa ».

Pépé Kallé, considéré comme l’une des grandes pointures de la musique rd-congolaise, va longtemps trôné sur le piédestal des meilleurs artistes du pays avec son titre  « Zabolo » danger de mort, sorti en 1982. « Zabolo » est une œuvre qui débute par une entrée en pièce vocale : « Ngai Kolito Buya na sambwe pona likambo Zabolo asalingai nakoki te, nakoki te ». « Moi, Kolito Buya, je me sens extrêmement humilié à cause de ce que le diable m’a fait ».
À travers la chanson « Zabolo », Pépé Kallé raconte la trahison que connaissent les hommes en général dans leurs histoires d’amour. Zabolo, danger de mort et la danse “sous-marin” qui la symbolise sont encore très prisées aujourd’hui par les mélomanes. D’artilleurs, avec la danse “masasi calculé”, Pépé Kallé a transformé ses fans en “nageurs” (en eaux troubles) avec la danse “sous-marin” laquelle se danse, bien évidemment en mimant les gestes du crawl tout en simulant, à des moments bien précis, la disparition sous les flots, à l’instar d’un sous-marin nucléaire… Avec en prime, les inévitables moulinets du bassin, véritables marques déposées des danses de la rumba congolaise…

Pépé Kallé s’installe ensuite à Paris en 1985. En compagnie de son vieil ami Nyboma (qu’il apprécie depuis l’époque où ils chantaient ensemble dans Bella Bella) et sous la houlette du producteur Ibrahima Sylla, Pepe Kalle s’intéresse au public antillais avec Zouke Zouke puis Mobiyi, qui le rendra célèbre dans toute la Caraïbe en 1987. Deux autres albums « soukouzouk » mais cette fois en solo, Pou moun paka bougé et Tiembe raid pa molirespectivement parus en 1989 et 1990. Rest in Peace Kabasele Yampanya Pépé Kallé.
Merci d’activer les liens ci-dessous pour écouter “Nazoki” et “Zabolo” en guise d’hommage posthume à ce formidable auteur-compositeur que fut Pépé Kallé.

Roger NZAU
Kinshasa, RD Congo
Le 29 novembre 2024

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