Enjeux et défis des élections 2023 en RD Congo: Lorsque le peuple affronte ses politiciens pour des élections crédibles

Thierry Nlandu Mayamba

Professeur Ordinaire à la Faculté des Lettres

Université de Kinshasa

Consultant en développement Organisationnel

E-mail : [email protected]

Tél. 0818823337

Depuis 2006 en passant par 2011 et enfin 2018, le peuple congolais a toujours affronté la résistance farouche des politiciens au pouvoir comme dans l’opposition à organiser des élections libres, transparentes et crédibles qui auraient pour seul but de légitimer ceux d’entre eux que le peuple aura choisi. Durant toutes ces années, les hommes politiques au pouvoir comme dans l’opposition multiplient les stratagèmes qui leur ont jusqu’ici permis de garder ou de conquérir le pouvoir en bluffant notre peuple et en transformant l’espace électoral en espace théâtral qui, progressivement, a fini par présenter les élections comme un outil douteux de soutien à la démocratie.

Au fils des années électorales, les enjeux et défis restent les mêmes pour chaque acteur de ce théâtre électoral digne de Kafka :

  • Pour les politiques au pouvoir et dans l’opposition, l’enjeu majeur reste et restera toujours le pouvoir à garder pour les uns et à conquérir pour les autres, car c’est le seul moyen d’avoir accès à l’argent et aux honneurs.
  • Pour la CENI, l’enjeu sera celui d’accompagner ceux qui sont au pouvoir et qui organisent les élections, à conserver ce qu’ils considèrent comme leur pouvoir, une propriété privée.
  • Pour le peuple, hier comme aujourd’hui, l’enjeu majeur est et sera toujours le combat pour la vérité des urnes afin que ceux et celles qui accèdent au pouvoir soient réellement des personnes que le souverain primaire aura élues. En définitive, l’enjeu du côté du peuple est et sera toujours celui de légitimer le pouvoir de ceux et celles qui seront appelés, non seulement à diriger notre nation ; mais surtout à garantir une gouvernance fondée sur des valeurs humaines.

En guise de réponse à ces enjeux unique et différent, chaque camp se coupe en mille morceaux pour répondre aux seuls défis qui se présentent aux uns et aux autres :

  • Comment organiser la fraude électorale pour conserver le pouvoir ? Tel a toujours été le défi pour ceux qui ont étés au pouvoir hier et qui le sont aujourd’hui.
  • Comment conquérir le pouvoir en contrecarrant la fraude électorale mais en bénéficiant, par pure réalisme de politicien en quête de pouvoir, de cette même fraude là où elle offre des possibilités dans une circonscription précise ? Tel a toujours été le défi à relever pour ceux qui ont étés dans l’opposition et qui le sont aujourd’hui.
  • Comment organiser à tout prix les élections dans le strict respect du délai constitutionnel et sans aucun souci de la qualité de celles-ci ? Tel a toujours été le défi ronronné par toutes les CENI depuis 2006 même si la dernière partie de cette affirmation reste plutôt susurrée.
  • Comment faire triompher la vérité des urnes et avoir enfin des élus qui seront ceux et celles pour qui nous aurons votés ? Tel a toujours été le défi pour le peuple congolais, assoiffé d’un régime qui, enfin placera l’homme et la femme de cette terre au cœur de ses préoccupations.

Au lendemain de chaque élection, notre pays se réveille avec un parlement panthéon, constitué de députés élus, nommés, désignés par les cours et tribunaux, coptés, etc. Quel gâchis à chaque élection ! Quel désastre pour la démocratie ! Quel bonheur pour le système néolibéral et sa démocratie de façade qui, pendant un nouveau mandat de cinq ans continueront à s’articuler autour des habituels compromis et compromissions orchestrées par des acteurs et actrices politiques qui acceptent de jouer aux marionnettes dans une pièce théâtrale dont nul d’entre eux ne sera ni dramaturge ni encore moins metteur en scène !

Que faire alors ?

En effet, la grande question est de savoir ce que nous comptons faire en tant que peuple pour déjouer le piège dans lequel les élections et nos politiciens nous enferment depuis trois cycles électoraux. Pour certains, les plus pessimistes parmi nous, il faut baisser les bras, car le système qui nous opprime et nous conduit à la dérive semble trop fort. Il a des ramifications dans tout notre corps social sans compter les lobbies nationaux, internationaux et régionaux. Il y a comme un sentiment d’incapacité à nous en sortir. On s’en remet à un Dieu faiseur de miracles que célèbrent, à temps et contre temps, certains de nos hommes d’églises, des complices qui, consciemment ou inconsciemment, participent à l’asservissement du peuple souffrant du Congo.

L’impression générale pour ses frères et sœurs réduits à la passivité et à la fatigue est le désarroi de tous ceux qui, comme dans le mythe de Sisyphe, ont roulé la pierre jusqu’au sommet de la colline se retrouvent à la fin de chaque élection en train de contempler la même pierre rouler allègrement, comme par défi, jusqu’au bas de celle-ci. Où trouver la force pour recommencer la corvée de la remonter ? Où trouver les nouveaux bras lorsque les anciens sont meurtris pas les efforts fournis antérieurement ? Où sont les mains qui pousseront cette pierre lorsque celles dont nous disposons sont meurtries par des ampoules couleur sang ? Quel discours mobilisateur peut à nouveau nous convaincre nous qui nous laissons tondre à chaque saison électorale parce que devenus des brebis ? Où trouver les mots juste pour que cette haletante histoire humaine commune de lutte pour la démocratie ne se transforme pas en récit d’une tragédie humaines ? Comment continuer à maintenir cette espérance têtue de notre peuple qui refuse de ne pas croire en la possibilité, un jour, d’avoir des élections libres et transparentes dans notre pays. Doit-on baisser les bras et nous laisser dompter par une démocratie de façade ; une autocratie qui a choisi le chaos comme mode de gouvernance ; « une démoncratie » gérée par des partis politiques sans démocrates qui sont devenus de véritables prisons pour notre peuple et des cadres restreints d’un partage de pouvoir qui politise et mine tous les secteurs de la vie du pays au point où tout accès à une fonction publique devient tributaire de votre appartenance à un parti politique au pouvoir ?

Aussi, dans le Congo d’hier et d’aujourd’hui, il n’existe aucune volonté politique de bien faire les choses ; de placer les meilleurs d’entre nous aux postes qu’ils méritent. L’appartenance à l’ethnie et aux partis politiques sont tristement devenus les seuls critères d’éligibilité à toute fonction dans l’administration publique et autres secteurs de la vie nationale. Comme le dirait notre défunt et regretté Eminence, le Cardinal Mosengwo les « Médiocres » ont érigé domicile sur la Bastille !

En définitive, on a comme l’impression que dans nos différents espaces de vie et de travail, tout est illusion si pas mirage avec des acteurs et actrices politiques illégitimes qui n’ont pour assurance que l’arrogance de leurs ignorances. Comment organiser des élections respectueuses du souverain primaire dans un Far West sans Shérif où règne des hommes forts au détriment des institutions fortes ? N’est-ce pas ce qui durant les années de dictatures a justifié tous ces résultats électoraux dont la vérité des urnes se trouve toujours derrière les virgules : 80,02%, 98,03%, etc. ? N’est-ce pas ce qui, aujourd’hui, fragilise un président de la république élu par 38% de ses compatriotes alors que 62% ne se reconnaissent pas en lui ? N’est-ce pas ce qui explique ce taux de participation qui, de cycle en cycle, se réduit en peau de chagrin au risque de voir aux prochaines élections un nombre de candidats plus élevé que celui des électeurs?

Pour les plus radicaux parmi nous, il faut tout simplement boycotter ces élections. Mais, à ce stade de l’éducation civique et électorale de notre peuple, quelle garantie avons-nous de pouvoir organiser un boycott qui soit suivi par la majorité d’entre nous ? Bien plus, si c’est la piste de solution que nous choisissons, le temps de mobilisation pour pareille action de grande envergure ne paraît-il pas trop court vu l’étendue de notre pays et les diverses contraintes liées à pareille action ? Néanmoins, l’histoire de ce peuple et de sa capacité de mobilisation nous a toujours réservé plus d’une surprise. Wait and see ! Pourvu que tout ce peuple angoissé et en lambeaux ne tombe pas dans le piège de la violence que lui tendent ses propres fils et filles au pouvoir.

Aujourd’hui, il est plus qu’évident que dans ces moments de déprime qu’accompagnent nos élections, nous nous découvrons comme la femme adultère de l’évangile, des êtres, des Congolais et Congolaises qui désespèrent. Mais, au-delà de notre désespoir, nous devons avouer que si nous sommes capables d’analyser tout ce qui nous arrive avec autant de détails, de précisions et de lucidité ; c’est que nous sommes capables de nous sortir de ce bourbier surtout qu’à travers ce vaste pays, nous sommes nombreux à faire le constat que nous venons de partager dans ces quelques lignes.

Aussi, le peuple souffrant du Congo lance un vibrant appel à tous ceux d’entre nous, toutes ethnies confondues, qui se sentent vivement interpellés par le ciel ombrageux qui pointe à l’horizon de relever le défi des élections que l’actuelle CENI organise comme par défi et qui rappellent étrangement celles des années 60 avec leurs élans ethniques qui ont fini par jeter les bases des sécessions et autres rébellions annonciatrices de coup d’état.

Ensemble, nous pouvons démanteler les pièges que la CENI place tout au long du parcours électoral. Il suffit de le vouloir ; nous pourrons y arriver car ceux et celles qui organisent la fraude électorale ne sont pas plus nombreux que nous, les victimes souvent consentantes de cette fraude. Il nous suffira, dès à présent, d’organiser dans la non-violence, les mobilisations qui accompagneront, demain, ceux et celles que nous aurons réellement élus. Il nous faut développer d’autres stratégies pour faire triompher la vérité des urnes lors des prochaines élections présidentielle, législative, provinciale et communale. Nos simples contestations dans la presse écrites, à la radio, à la télévision et dans les réseaux sociaux ne suffiront pas même lorsqu’elles seront portées par des hautes personnalités de nos églises. 

En route vers la démocratie, notre peuple ne doit pas se laisser bercer par l’attraction des nouvelles appellations des partis politiques et autres alliances politiques : UDPS ; MLC, UNC, CRD, ADC, FCC, Ensemble, UDC, ABG, AAA, Nouvel Elan, Envol, ECIDE, ACP, Force du Nombre, Union Sacrée, Entente des Fédéralistes Républicains, ENFER, en sigle, etc. Toutes ces couvertures ne sont que des métaphores qui, depuis le processus désastreux de décentralisation s’acharnent péniblement à cacher les ardeurs ethniques et régionalistes manifestes de ceux qui sont au pouvoir ou qui cherchent à le conquérir. La population congolaise a comme l’impression de retrouver, à travers tous ces partis, les élans néfastes et destructeurs des partis dits historiques extrémistes, unitaristes et fédéralistes des années 60 : Alliance des Bakongo (ABAKO), LUKA, Parti Solidaire Africain (PSA), Centre de Regroupement Africain (CEREA), PUNA, Mouvement National Congolais (MNC), Baluba du Katanga (BALUBAKAT), Confédération Nationale des Tribus du Katanga (CONAKAT), Parti National du Progrès (PNP), UNION NATIONALE CONGOLAISE, MOUVEMENT NATIONAL CONGOLAIS/Lumumba (MNC/L), MOUVEMENT NATIONAL CONGOLAIS, PALU), etc

Avant qu’il ne soit trop tard, C’est maintenant que tous les Congolais amoureux de notre pluralité ethnique et soucieux de conserver cette richesse, doivent se mettre debout et oser monter des stratégies pour contrecarrer la fraude électorale qui pointe à l’horizon et qui sonnera le glas de notre beau pays. Ensemble, nous pouvons, dans la non-violence, dire non à tout ce qui se trame à ciel ouvert ou dans les coulisses. Ensemble, nous pouvons le faire car ceux qui conduisent le pays à la dérive ne sont pas plus nombreux que nous. S’ils réussissent à le faire c’est parce que par notre silence, par nos nombreuses peurs, nous les laissons faire et devenons ainsi des complices de nos propres bourreaux.

Oui, « yes we can » ! Car un peuple qui, contre vents et marées, avec autant d’abnégations et de sacrifices en vies humaines, a réussi en 2018 à imposer et sauvegarder sa constitution ne peut plus reculer. Les élections de 2023 seront une nouvelle étape dans notre volonté commune de construire, dans la non-violence, une démocratie dont nos fils et filles seront fiers demain. Il nous faut, ensemble, refuser que les prochaines élections ne soient celles qui consacreront la balkanisation de notre pays !

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