Docu télé : « Restituer ? L’Afrique en quête de ses chefs-d’œuvre »

© Cinétévé

Le 28 novembre 2017, Emmanuel Macron annonce la mise en ?uvre de la restitution du patrimoine africain à l’Afrique. Un sujet miné : environ 90? % du patrimoine africain se trouve principalement en EuropeEt les centaines de milliers d’?uvres qui garnissent les collections occidentales sont le fruit d’une spoliation perpétrée durant l’époque coloniale. Un an plus tard, deux universitaires, Felwine Sarr et Bénédicte Savoy remettent les conclusions d’un rapport à ce sujet et relancent un épineux débat : pour restituer les ?uvres, il faut identifier les conditions d’acquisition, nommer l’exploitation culturelle et reconnaître les violences, réelles et symboliques.

Le monde assiste à une véritable déflagration. L’heure des restitutions définitives semble avoir sonné. Les pays européens surtout se disent alors prêts à rendre. Les musées africains se multiplient et préparent les retours. « Le temps de l’action » pourtant, « s’étire » décrypte la réalisatrice. Si le spectre colonial continu de hanter cette géopolitique complexe, les États européens tiendront-ils leurs promesses ?

C’est le vaste et important sujet auquel s’est attelée la journaliste et réalisatrice, Nora Philippe dans son documentaire « Restituer? ? L’Afrique en quête de ses chefs-d’?uvre ». La forme interrogatrice du titre permet à l’autrice de faire le tour de la question, six ans après sa résurgence dans le débat public. Quant au mot « quête », il prend tout son sens dans un travail de mise en abîme d’une longue histoire, qui mérite qu’on prenne le temps d’en démêler les fils.

Une restitution qui s’inscrit dans l’histoire

« Restituer, c’est reconnaître qu’il s’est passé quelque chose qui peut-être n’aurait pas dû se passer », répond d’emblée Bénédicte Savoy, lorsqu’elle est interrogée sur l’approche du mot restituer. Ce faisant, elle inscrit le rapport au sujet dans une dynamique historique. À l’aide de cartes, de sons ou encore d’extraits de films (La Noire d’Ousmane Sembène, Les statues meurent aussi, d’Alain ResnaisChris Marker et Ghislain Cloquet), voir de reportage de journaux télévisés, Nora Philippe remonte le temps, et donne la parole à des experts, des responsables de musées, des chercheurs ou artistes afin d’apporter un éclairage précis sur le thème des restitutions. Et bien souvent, dans leurs réponses, ils battent en brèche des idées reçues qui persistent toujours, malgré le nombre important de documents désormais disponibles. Exemple, « à Abomey, les troupes coloniales françaises du général Dodds sont reparties avec des centaines d’oeuvres lors de la mise à sac du palais d’Abomey en 1892 », raconte « la France a longtemps présenté ce pillage comme un sauvetage car le roi Béhanzin dans sa défaite avait incendié le palais », mais ce que l’on sait moins, c’est tout cela est orchestré à partir de la conférence de Berlin de 1884 entre les grandes puissances coloniales. C’est qu’il existe une corrélation directe entre ce qu’il se passe sur le terrain de la conquête coloniale et l’avènement des musées géants en Europe : le British Museum est le premier d’entre eux, suivront, le Musée d’ethnographie de Berlin, inauguré en 1873, celui de Tervuren, près de Bruxelles, en 1908. Il faut les remplir, et pour cela on cherche à convaincre les indigènes de se débarrasser de leurs oeuvres et pour mieux y parvenir, les États font appel aux missionnaires, chargés notamment de rapporter les pièces les plus précieuses.

Tout part de cette lecture selon laquelle, l’art fait partie de l’humanité et se doit donc d’être visible sur les territoires où les conceptions de la liberté et de l’humanité sont pensées. L’idée est d’affirmer qu’on libère ces objets et qu’on les met à disposition de l’humanité et par conséquent que les autres ne sont pas capables voire indignes de posséder ces oeuvres, pire, on les accuse de les maltraiter. « L’idée de sauvetage va devenir un dogme pour ce qui concerne les collections venues des colonies », analyse Bénédicte Savoy. L’économiste et chercheur, Felwine Sarr pour qui ces pièces sont « des objets habités, agissant comme des sujets pour témoigner de la présence de l’invisible dans le visible » exprime un rapport presque traumatique avec les musées. Il décrit comment des objets qui faisaient partie intégrante de la quotidienneté des populations sont devenus des objets quasi morts. « Le lieu du crime est là », lâche-t-il à propos du musée du Quai-Branly.

Un plaidoyer pour des restitutions à l’Afrique

Le documentaire de Nora Philippe va plus loin et crée des passerelles, entre les objets qui sont dans les musées et dès le XIXe siècle intégrer et protéger par le patrimoine inaliénable des pays européens et les pratiques ethnologiques. Un vaste trafic de corps qui consiste à capter, conserver et exposer des restes humains a vu le jour durant cette époque. En réalité, on montre des cadavres derrière des vitrines en Europe depuis la fin du XVIe siècle, avec les momies rapportées d’Égypte. Il faudra attendre les années 2000 pour voir émerger, une « prise de conscience » quand l’Afrique du Sud a réclamé pour l’enterrer la dépouille de Saartjie Baartman, une femme du peuple khoïsan exhibée en Angleterre et en France, disséquée par Cuvier et conservée au Trocadéro, après sa mort au XIXe siècle.

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« Quand je suis venue en 2015, raconte Nanette Snoep, il y avait une grande collection dites anthologiques, donc 6 000 corps dans mes réserves. C’est très dur. Il y avait une histoire de restitution, cela faisait vingt-cinq, depuis 1992 qu’un groupe d’Hawaïen avait fait une demande de restitution de leur ancêtre. Mais chaque année soit ils recevaient un « Non », soit aucune réponse. C’est quand même une violence énorme, je pense que depuis que je suis en Allemagne en tant directrice du musée, je me suis vraiment radicalisée ».

C’est là toute la force de Restituer? ? L’Afrique en quête de ses chefs-d’?uvre, puisqu’il donne de façon inédite, la parole, à des spécialistes Africains, comme Européens, qui chacun à leur manière répondent avec recul aux questions que l’opinion publique se pose. L’idée, derrière, est de montrer que le cheminement ne s’est pas forcément d’un seul côté, il est partagé, et ce depuis des décennies. « On pille les Nègres, sous prétexte d’apprendre aux gens à les connaître et les aimer, c’est-à-dire, en fin de compte, à former d’autres ethnographes, qui iront eux aussi les ?aimer? et les piller », constate amèrement, l’écrivain Michel Leiris, « secrétaire archiviste » de la mission Dakar-Djibouti dans une lettre de novembre 1931, adressées à son épouse.« Restituer au pays qui l’a produit telle ou telle ?oeuvre d’art (?) c’est permettre à un peuple de recouvrer une partie de sa mémoire et de son identité ». Cet appel lancé en juin 1978 par Amadou-Mahtar M’Bow, alors directeur général de l’Unesco, fait largement écho. Il ne s’agit pas seulement d’oeuvres matérielles qui ont été enlevées aux Africains, mais bien une partie d’eux-mêmes. En prenant la tête de l’Unesco, il aura tout fait pour bousculer les institutions internationales, alors que l’Afrique boullonnnait de Dakar, à Alger en passant par Kinshasa. Le silence assourdissant des musées européens soutenus par le marché de l’art, ne fait qu’accentuer, de l’autre côté l’urgence de trouver des solutions, et ce malgré les plans d’ajustement des années 90 imposés par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, qui ont empêché de nombreux états africains d’investir dans la culture. Les lignes ont depuis bougé, des musées sont partout en construction, nombre d’entre eux ont émergé avec des cadres bien formés et des projets d’envergures. L’Europe ne pouvait plus l’ignorer. Ce passionnant documentaire revient sur les conditions de restitution de certaines ?uvres culturelles pillées, comme cela a été le cas avec la décision du gouvernement français de rendre au Sénégal, un sabre et son fourreau attribués à El Hadj Omar Tall, grande figure militaire et religieuse ouest-africaine du XIXe siècle. Ainsi que 26 ?uvres du « Trésor de Béhanzin » provenant du pillage du palais d’Abomey en 1892 et restituées au Bénin.

Le Point Afrique

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