Déclaration du Dr Denis Mukwege  à l’occasion de la Journée Internationale des Femmes du 8 mars 2023

Dr. Dénis Mukwege

En ce 8 mars, nos pensées vont à toutes ces femmes à travers le monde qui se battent chaque jour pour se faire respecter, pour arracher leurs droits fondamentaux, pour gagner l’autonomie économique, pour faire entendre leurs voix dans un monde qui demeure fortement marqué par le patriarcat, source de tant de souffrances, d’exclusion et de discriminations. 

Il ne s’agit donc pas d’un jour de fête, mais d’une journée de lutte, de mobilisation, de revendication. En effet, alors que la communauté humaine s’apprête à commémorer le 75e anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, dont le fondement est l’égalité et la non‐discrimination entre les femmes et les hommes, force est de constater que les droits humains des femmes sont en régression partout. 

En effet, en ce début de 21e siècle, de nombreuses jeunes filles sont toujours privées de leurs droits à l’éducation et sont mariées avant même d’être majeures ; les normes sociales et légales discriminatoires et rétrogrades sont toujours légion ; à travail égal, les salaires restent inégaux ; les femmes sont systématiquement sous‐représentées dans les Parlements, les gouvernements et les postes de direction ; et un tiers des femmes et les filles continuent d’être victimes de violences physiques ou sexuelles au cours de leur vie. 

Ce constat amer est d’autant plus inquiétant que les acquis d’hier demeurent fragiles : nous observons des menaces persistantes voire croissantes sur les libertés fondamentales et une tendance à la régression qui pèsent sur les droits acquis par les femmes : la récente révision des droits sexuels et reproductifs par la Cour Suprême des Etats‐Unis illustre cette situation. 

En Afghanistan, les femmes et les jeunes filles sont déchues de leurs droits et de leurs libertés fondamentales, notamment l’accès à l’éducation et à l’emploi. Confinées chez elles, systématiquement exclues de la vie publique, ces femmes vivent dans la peur et sous la menace constante de la violence, anéantissant ainsi des décennies de progrès. 

En Iran, après plusieurs décennies d’oppression, les femmes sont à la tête des mouvements civiques, s’expriment pour exister dans la société et se battent pour acquérir l’égalité des droits et la liberté. La mort le 16 septembre de Mahsa Amini, jeune femme sous la garde de la police iranienne pour non‐respect du code vestimentaire strict, a à juste titre entrainé une vague d’indignation et de manifestations pour défier la répression du régime et réclamer le changement. En effet, une branche importante de la société a bien compris que les violations des droits des femmes affectent et nuisent à l’ensemble de la société. 

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Face à tous ces défis, aussi bien dans les pays les plus économiquement avancés que dans le reste du monde, il est impératif de réaffirmer partout l’universalité des droits des femmes. Ces droits ne sont jamais acquis, ils se gagnent, ils s’arrachent et doivent être défendus chaque jour, partout, par chacun, y compris par les hommes et les garçons. 

En RDC, la journée du 8 mars ne sera pas non plus une journée de fête. Il s’agit bien plus d’une journée de deuil et nous appelons les femmes à s’habiller en noir et à clamer haut et fort que le temps est venu pour nos gouvernants de prendre leurs responsabilités. A l’instar de chaque autre jour de l’année, la journée de la femme sera aussi une journée de lutte car les femmes sont encore considérées comme des citoyennes de seconde zone en RDC. Ainsi, alors qu’elles ont démontré qu’elles sont capables, elles devront être pleinement et effectivement associées à toutes démarches visant à instaurer et à consolider la paix, en conformité avec la résolution 1325 du Conseil de Sécurité. 

Comme les initiatives diplomatiques pour ramener la stabilité à l’Est du Congo sont dans l’impasse et que les ultimatum pour faire taire les armes se succèdent sans jamais être respectés, les femmes qui payent le plus lourd tribut de la violence armée doivent réclamer des sanctions contre l’agresseur !

En outre, en cette année où la Nation s’apprête à vivre des élections générales, nous appelons toutes les citoyennes en âge de voter à s’enrôler massivement. Il est temps de prendre notre destin en main et nous sommes convaincus que le changement de paradigme viendra par la pleine participation des femmes à toutes les questions de la vie publique. Ayant à l’esprit que l’abstention ne profite qu’au régime en place, il est primordial que les femmes se mobilisent pour participer en masse à tous les scrutins à venir, pour se présenter et pour avancer vers la parité dans les institutions de la République, conformément à la Constitution congolaise, et faire le choix de leurs représentants pour les années à venir.  

Nous appelons aussi les femmes à s’organiser pour l’observation des élections à tous les niveaux et à devenir les sentinelles de la démocratie en genèse en RDC. Le changement tant attendu dépend de tous, et les femmes, qui sont majoritaires dans la société, ont une occasion à ne pas manquer d’exprimer leur soif de paix, de justice et de démocratie, et de faire la différence pour le bien commun. Alors que les défis sont multiples dans le monde entier et en RDC en particulier, il n’y a pas de place pour la fatalité. Nous exhortons les responsables politiques, religieux et économiques d’être aussi courageux que le sont les femmes pour construire un monde plus libre, plus juste, plus égalitaire, plus prospère et plus pacifique où les femmes jouiront dignement des mêmes droits que les hommes, dans l’intérêt de l’humanité et de la planète.

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