Lettre ouverte au Président de la République Démocratique du Congo
Notre pays, la République Démocratique du Congo (RDC), est confrontée à une menace existentielle sans précédent. Depuis la chute de Bunagana jusqu’à la prise de contrôle de Bukavu, le territoire national est amputé. Plus de 10 millions de compatriotes survivent aujourd’hui dans la psychose de la violence armée et l’angoisse de la famine sous le joug de l’armée rwandaise d’occupation et de ses alliés de l’Alliance Fleuve Congo et du Mouvement rebelle du 23 Mars. Les paysages superbes du Nord et du Sud Kivu sont jalonnés de fosses communes, certaines anciennes, d’autres fraiches.
Ce drame national, dont la responsabilité est partagée entre les velléités expansionnistes des pays voisins et le déficit de gouvernance interne, ne peut durer. Il y a urgence à œuvrer à une sortie de crise pour faire taire les armes et mettre fin aux conflits récurrents qui ravagent et endeuillent notre Nation depuis trois décennies.
La grave crise multidimensionnelle que traverse la RDC a longtemps été caractérisée par la négligence internationale. Néanmoins, elle fait l’objet d’un intérêt renouvelé, notamment en raison de l’intensification du conflit armé et de l’aggravation de la situation des droits humains et du désastre humanitaire que subissent les populations civiles depuis trois ans, mais aussi en raison des rivalités géopolitiques pour l’accès à nos immenses ressources minérales qui sont impératives pour la révolution numérique, la transition énergétique et l’industrie spatiale et de la défense dans un monde de plus en plus incertain.
La paix est le seul horizon, mais il y a plusieurs voies pour y arriver. Alors que les processus de Doha et Washington ont lancé une nouvelle dynamique dans les négociations, nous exprimons à la veille du sommet convoqué par le locataire de la Maison Blanche notre réserve sur les négociations en cours. C’est à juste titre que la Déclaration de principes signée au Département d’État américain le 25 avril réaffirme les principes de base du droit international comme la souveraineté, l’intégrité territoriale, et la non-ingérence dans les affaires intérieures, qui sont également réitérés dans la résolution 2773 du Conseil de Sécurité du Nations Unies, adoptée le 21 février. Il est aussi pertinent de mettre en avant que les minerais stratégiques, parfois appelés minerais de sang ou de conflit, ont vocation à être transformés en minerais pour le développement et la paix.
En effet, les parcs nationaux et les ressources naturelles dont regorgent notre pays peuvent contribuer à la paix, mais sous certaines conditions. Elles constituent les biens communs de la Nation congolaise, et doivent donc contribuer au bien-être du peuple aujourd’hui mais aussi pour les générations futures, à l’instar de modèle de gouvernance développé dans d’autres pays comme la Norvège.
Ainsi, l’esprit transactionnel qui anime la Déclaration de principes du 25 avril, caractérisé par son opacité et son déficit d’inclusivité, doit appeler les Congolais à la responsabilité, et en premier lieu dans le chef du gouvernement et du Président de la République, gardien de notre Constitution.
En prêtant serment à deux reprises sur notre Charte fondamentale, vous êtes bien placé pour savoir que la souveraineté nationale appartient au peuple (art 5). Vous savez aussi mieux que quiconque que tout accord ou arrangement qui aurait pour conséquence de priver la Nation de tout ou partie de ses propres moyens d’existence tirées notamment de ses richesses naturelles est érigé en infraction de pillage et que ces actes et leurs tentatives sont punis comme infraction de haute trahison (art. 56 & 57). Enfin, vous ne pouvez ignorer que les traités de paix, de commerce ou liés au règlement des conflits internationaux ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu’en vertu d’une loi (art. 214).
Ayant à l’esprit ces dispositions constitutionnelles, et tenant compte du droit souverain de gouverner et d’administrer son propre territoire d’une façon qui n’enfreint pas la souveraineté, nous vous exhortons, Monsieur le Président, à ne pas brader nos ressources, et celles des générations futures au régime de Kigali dans le cadre de l’intégration économique régionale en gestation promue sous l’égide du parrain américain.
Gardons à l’esprit les paroles du défunt Souverain Pontife qui avait exprimé son indignation sur le pillage des ressources naturelles de la RDC durant son séjour à Kinshasa en 2023 : « Après le colonialisme politique, un « colonialisme économique » tout aussi asservissant a été déclenché. En conséquence, ce pays largement pillé n’est pas en mesure de tirer suffisamment profit de ses immenses ressources : nous en sommes arrivés au paradoxe que les fruits de sa terre le rendent ‘étranger’ à ses habitants…Retirez vos mains de la République Démocratique du Congo, retirez vos mains de l’Afrique ! Cessez d’étouffer l’Afrique : elle n’est pas une mine à exploiter ni une terre à dévaliser. »
Pour toutes ces raisons, nous vous invitons donc à ne pas sacrifier les minerais congolais, à inclure la justice transitionnelle dans tous les efforts déployés pour restaurer et consolider la paix, à faciliter des consultations nationales impliquant toutes les forces vives de la Nation, y compris les élus de l’Assemblée nationale, avant de vous engager au nom du peuple congolais, et à défendre exclusivement les intérêts du peuple congolais souverain lors de votre prochain séjour à Washington.
Fait le 29 avril 2025
Les signataires
1 Dr Guilain MATHE, Consultant international – Nexus paix, sécurité et développement, Suisse.
2 Dr Denis Mukwege, Prix Nobel de la Paix, RDC
3 Professeur Alphonse Maindo, défenseur des droits humains, RDC
4 Me Jean-Claude Katende, Avocat et Défenseur des DH, Asadho/Kinshasa, RDC
5 Professeur Antoine Ngute, Philosophe, RDC
6 Professeur Bob Kambamba, Belgique
7 Dismas Kitenge, Enseignant et défenseur des droits humains, RDC
8 Joseph Bobia Bonkaw, Activiste des droits environnementaux et humains, ONG BVGRN, Kinshasa, RDC
9 Aimé Mpamfi Schina, acteur de développement, Bénin
10 Professeur Bibiche Liliane Salumu, activiste des droits humains, RDC
11 Professeur Norbert Kalindula, RDC
12 Jean-Claude Mputu Ingole, Activiste de lutte contre la corruption
13 Professeur Jean Otemikongo, RDC
14 Professeur Bily Bolakonga Ilye, Ingénieur agronome, IFA/Yangambi, RDC
15 Patrice Iwabaguma, coordinateur de l’IGE, RDC
16 Odile Bulabula, activiste des droits humains, Bukavu, RDC
17 Vendicien Ruboneka, GAM asbl, Bukavu, RDC
18 Blaise Bubala, Directeur pays de ACADHOSHA asbl, Bukavu, RDC
19 Jolie Musuasua Mwa Mbuyi, Psychoclinicienne, enseignante à l’ISP, RDC
20 Emmanuel Bachweki Basia, Msc Développement durable et politiques publiques, Assistant, Université Shalom, Bunia, RDC
21 Judock Adruanondra Moma, Développement rural et planification régionale, Assistant, Université Shalom, Bunia, Kisangani
22 Godefroid Mboyo, Coordinateur a.i, ILDI (Initiative Locale pour le développement intégré), Kinshasa, RDC
23 Mme Armeelle Katembera, Celebrons le courage de la femme, Bukavu, RDC
24 Petro Ebembe Bobea, Gestionnaire de projet, GO Conscious Earth, RDC
25 Nicole Bila Nkoy, activiste des droits humains, RENAD (Ressources Naturelles et Développement), Muanda, RDC
26 Raphaël Mboyo Bikopo, Directeur exécutif, Centre international de défense des droits des Batwa, RDC
27 Louis-Marie Atundu Liongo Egbango, chercheur indépendant, co-fondateur de BioCongo
28 Eric Bokonzi Esange, Coordonnateur a.i, Paysans artisans de Bongandanga, RDC
29 Jean-Pierre Ibucwa LIpanda, activiste des droits de l’homme et de l’environnement, TRAFFED, RDC
30 Alexandre Moussa Kikanda, Activiste des droits humains, enseignant à l’USK, Kindu, RDC
31 Esther Liteta, Mouvement des jeunes en actions pour le changement en RDC (MOJAC-RDC), RDC.
32 Pasteur Revocat Mukubwa Kastaim Putu, activiste des droits humains, APDMA, Kindu, RDC
33 Pierre Henry Robert, consultant indépendant, expert en droits humains, Allemagne
34 Me Djimmy Mumbere Peruzi, avocat, barreau Nord-Kivu
35 Josaphat Balegamire, consultant international
36 Joseph Di Rosa, Prêtre, Eglise Sainte Croix Avola (Siracusa), Italie
37 Blaise Pascal Zirimwabagabo Migabo, chercheur et activiste des droits humains
38 Claude Mwangelu, France
39 Docteur David Menge, Historien des sciences, France
40 Professeur Jean-Claude Maswana, Japon
41 Jean-Paul Musavuli Wasinya, chercheur, Université de Lyon, Kyaghanda France
42 Jean Robert Bowela Banatoli, Défenseur des droits humains, IGED, RDC
43 Dr Lamine Krishi, Médecin généraliste, Kutu, RDC
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