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Politique

De minerais pour une paix durable et la prospérité intergénérationnelle(Par Alphonse Maindo)

 

La crise sécuritaire et humanitaire, vieille de 30 ans, qui s’est aggravée avec la chute de Goma et Bukavu en janvier et février 2025, devient coutumière des rebondissements inattendus. La RDC sait convaincre des agressions rwandaises, mais ne sait pas en tirer profit. Chaque fois que le Rwanda est pointé du doigt pour ses interventions expansionnistes en RDC, c’est toujours la RDC qui lui sauve la mise, à la surprise des Congolais et des amis du Congo. Cette fois encore, les Congolais ont à peine eu le temps de se remettre de l’effet de la surprise de Doha (rencontre entre les chefs d’Etat congolais et rwandais suivie de l’ouverture des négociations directes entre l’AFC-M23 et le gouvernement congolais) qu’ils doivent gérer une seconde surprise, venue directement de Washington avec la signature d’une déclaration de principes entre la RDC et le Rwanda sous les auspices américains. Il n’y a pas que les Congolais qui en sont sidérés, mais aussi les médiateurs africains dont le président de l’UA qui avait décidé de rendre le tablier et passer le relai au chef d’Etat togolais. Certes, la paix est une aspiration profonde et vitale des Congolais, mais pas à n’importe quel prix. Quel recul énorme et incompréhensible que de signer une déclaration de principes, après une résolution des Nations Unies exigeant, sous le chapitre 7 de leur Charte, le cessez-le-feu immédiat et inconditionnel, le retrait de la RDF et du M23 des territoires occupés, la cessation de tout soutien au M23 ! Pour l’agresseur sommé de dégager et soumis à une très forte pression internationale (incluant des sanctions), cela s’entend, mais pour l’agressé, rien ne justifie une telle posture si non une obsession pathologique de salut d’un régime en grande difficulté. Cela est d’autant plus préoccupant que les deux processus (Doha et Washington) sont totalement opaques et dédouanent l’agresseur qui s’en sort trop bien, exempt de toute responsabilité sur le drame humanitaire qu’il a provoqué et, qui plus est, est récompensé du partage des ressources naturelles du Congo qu’il pourrait désormais être formellement chargé de transformer. La mémoire des millions des victimes congolaises s’en trouve inévitablement reléguée au second plan. Une telle approche de la crise traduit une amnésie cognitive du passé récent dans le chef des dirigeants et des négociateurs. Elle n’apporterait qu’un mirage de paix.

Accord de paix ou de cessez-le-feu, investissements financiers américains ou non, tant que les problèmes de fond ne sont pas traités dans une démarche holistique et multidimensionnelle, toute solution a minima apparaît comme précaire et de courte durée. Ces questions que l’on élude sont : l’arrêt des interventionnismes militaires des Etats voisins, la fin de l’économie de rente et de prédation au profit d’une élite corrompue et des multinationales, la reconstruction de l’État, la réforme du secteur de sécurité, la fin du règne de l’impunité, la prise en compte des revendications légitimes des populations congolaises, le désarmement des centaines des groupes armés actifs, le développement des infrastructures routières/ferroviaires et énergétiques, la fourniture des services publics de base, la lutte contre la corruption et la prédation des élites, etc. La RDC d’aujourd’hui n’est pas celle de 1960 où il avait suffi de quelques affreux pour venir à bout des rebelles simba et mulelistes. Les maquis mulelistes avaient d’ailleurs résisté plus longtemps et n’avaient été démantelés qu’après la reddition volontaire suivi de l’assassinat de Pierre Mulele. La force divine Simba, une milice lumumbiste, a survécu à toutes les tribulations jusqu’à ce jour. Il est illusoire qu’un simple bradage des ressources naturelles rétablirait la paix. Avec des millions des jeunes désœuvrés et désespérés, sans avenir, le pays est assis sur une véritable bombe que la pax americana de Trump et Kagame aurait totalement tort d’ignorer. Comment va-t-on géré des milliers des miliciens wazalendo et d’autres groupes armés plus anciens (comme la CODECO ou celui du Général autoproclamé Yakutumba) qui, à l’appel du gouvernement, se sont engagés dans la guerre contre l’agresseur rwandais, et qui ont une facture à présenter pour leur engagement dans la guerre ? Nombre de ces groupes armés sont et resteront au service des figures politiques et militaires à Kinshasa. Comment sera traité l’énorme mécontentement populaire général, particulièrement au Katanga? Le bâton ne suffira pas.

Le Congo est souvent présenté comme un scandale géologique tant il dispose d’une grande richesse minérale, mais pour des millions de Congolais, ce scandale géologique est synonyme de drame humanitaire ou plutôt de tragédie humaine tant l’exploitation des ressources naturelles s’accompagne de violences, de pillages, de viols, de massacres, de servitude, de violations massives des droits humains. Au Congo, les ressources naturelles qui sont une bénédiction sous d’autres cieux sont transformées en malédiction à cause du destin des millions des gens compromis par l’usage qui en est fait. Il n’y a pas que de ces immenses ressources naturelles que le pays peine à tirer le meilleur parti. Avec l’arrivée du jeune Président Joseph Kabila, le pays n’a pas su tirer son épingle du jeu malgré l’intérêt manifeste de la communauté internationale d’aider à la reconstruction de l’Etat, notamment pour appuyer une réforme sérieuse ou profonde du secteur de sécurité. Il en fut de même aussi du Rapport Mapping dont on aurait pu faire un puissant outil de justice transitionnelle pour rompre le cycle de l’impunité et des violences récurrentes. Un fils du pays a reçu une distinction extraordinaire, le Prix Nobel de la Paix, au lieu de l’utiliser au mieux des intérêts de la nation, on le combat, le soumettant à multiples tribulations. L’Union Européenne avait pris en février 2021 un règlement de l’UE sur le devoir diligence pour les chaines d’approvisionnement des minerais qui avait rendue caduque la même année en juin grâce à la signature d’un accord sur le traitement et le commerce des minerais entre la RDC et le Rwanda. Aujourd’hui, nombre d’experts s’interrogent sur l’intérêt et l’opportunité de négocier et signer avec le Rwanda (frappé par des mesures restrictives et suspension de l’aide) une déclaration des principes et un accord sur les minerais critiques au profit de l’agresseur. En judo, il est connu que la victoire repose sur la capacité d’exploiter la faiblesse de l’adversaire. Les difficultés opérationnelles sur le terrain militaire suffisent-elles à justifier de le parti pris de blanchir et sauver l’agresseur alors qu’il est en difficulté sur le terrain diplomatique ?

Quand il s’agit de négocier, il sied de se fixer des objectifs stratégiques et de se donner les moyens diplomatiques, politiques et économiques nécessaires. Il n’est jamais bon de négocier en position de faiblesse, mais c’est justement parce qu’on est dans cet état qu’il faut négocier. Dès lors, se laisser guider par une vision stratégique claire et une profondeur historique et d’horizon large devient impératif. Une négociation en position de faiblesse voire d’extrême faiblesse doit chercher à gagner du temps, le temps de se préparer pour être en état de dissuader toute entité de pouvoir exiger l’application des accords négociés et conclus. Un accord arraché en position de faiblesse n’est pas un sujet de réjouissance et de jubilation, mais un motif de travail sur soi pour devenir fort.

La perspective d’un accord de paix entre le Rwanda et la RDC sous les auspices de Doha et de Washington semble néanmoins un pas dans la bonne direction. Pour être durables, ces deux processus doivent s’élargir à d’autres dimensions de la crise à l’est de la RDC. Il convient de prendre en compte la dimension internationale et régionale de la crise. Comment réagiront les autres parties prenantes de la crise si l’agresseur rwandais est récompensé par un accord pour transformer les minerais critiques de la RDC et partager les autres ressources naturelles (parcs nationaux, barrages hydroélectriques, etc.) ? Le Rwanda lui-même est intervenu en RDC après la signature d’un accord entre cette dernière et l’Ouganda (coopération militaire avec des opérations conjointes, projet des infrastructures reliant les deux pays, etc.). Avec un accord qui récompenserait l’agresseur et ses alliés congolais, il est à craindre que les autres acteurs n’empruntent le même chemin pour garantir leurs intérêts stratégiques à l’instar du Rwanda et ses paravents congolais. Les autres, ce sont principalement l’Ouganda, la RSA, le Burundi, la Tanzanie, le Malawi, le Kenya, etc. Le Burundi, la RSA, la Tanzanie et le Malawi ont même perdu des hommes en soutien à la RDC. Peut-être tous les voisins de la RDC dont l’Angola? Et les fameux Wazalendo qui ont payé un lourd tribut dans la guerre ? Et les opposants congolais ? Et les officiers affairistes qui entretiennent des milices à l’est ?

Cette perspective d’un accord de paix gagé sur les ressources naturelles du Congo et porté par la première économie mondiale et un émirat en quête d’influence économique et symbolique mondiale, au détriment des initiatives onusienne et africaine, tend à conforter la perception populaire d’une guerre occidentale (USA) par procuration menée par le Rwanda contre la RDC. Cette guerre, imposée par des puissances régionales et mondiales, serait économique et viserait à faire main basse sur les ressources congolaises. Et un tel accord pourrait alimenter la tentation de certaines élites de se tourner vers d’autres puissances et faire le lit de propagande russe du méchant Occident, exacerbant le ressentiment anti-américain voire anti-occidental, si l’on n’y prend garde. L’ancien président français, Nicolas Sarkozy, avait déjà préconisé le partage des ressources de la RDC avec le Rwanda pour la paix régionale. L’on pourrait s’interroger pourquoi les partager seulement avec le Rwanda et pourquoi pas avec les 8 autres voisins de la RDC. En vertu de quel principe la RDC devrait-elle être le seul pays au monde à devoir partager ses ressources naturelles avec un autre pays, contre son gré, alors que ce même accord réaffirme la souveraineté de chaque pays ? Pourquoi les autres pays ne peuvent-ils pas aussi partager leurs ressources avec la RDC et les Congolais qui ne sont souvent pas les bienvenus dans d’autres pays. Obtenir un visa étranger avec un passeport congolais, même pour les plus nantis et les plus instruits, relève d’un parcours de combattant. Des ressources naturelles pour la paix, c’est un échange de bons procédés, un commerce équitable. L’ignorer, au profit d’une prédation organisée et formalisée sous un maquillage de partage des ressources, c’est préparer les guerres de demain, qui pourraient être plus violentes et plus meurtrières.

Le Congo ne peut pas demeurer un scandale géologique et biologique vécu comme une tragédie permanente par les Congolais. Les minerais pour la paix, c’est assainir le climat des affaires pour attirer les investissements, pour créer de la richesse (valeur ajoutée) dans le pays et non le bradage des ressources naturelles pour une paix hypothétique. Les dirigeants d’aujourd’hui doivent les gérer en gardant à l’esprit les besoins du peuple d’aujourd’hui et des générations futures, à l’instar, par exemple, de la Norvège qui place une partie substantielle des revenus de ses ressources dans un Fonds souverain pour les générations futures. Les ressources naturelles de la RDC servent, depuis trop longtemps, au monde entier, sauf aux Congolais eux-mêmes. Après la traite négrière, la ruée vers la caoutchouc, l’ivoire, l’or et les contrats chinois, voici arriver le contrat de Washington, dans la droite lignée de la poursuite de l’économie de prédation, de pillage, en place depuis au moins l’Etat Indépendant du Congo. Faire signer un tel contrat à un pouvoir affaibli s’appelle un abus de faiblesse. Quant aux signataires, ils devraient se souvenir du sort réservé à ceux qui, avant eux, avaient signé des pactes similaires pour conquérir ou conserver le pouvoir.

Les ressources naturelles d’une nation ont vocation à être au service de la solidarité intergénérationnelle. La mystique de la Nation doit guider les dirigeants tout le temps. La nation comprend les générations passées, présentes (peuple) et futures. Une solidarité est indispensable entre les générations. Agir aujourd’hui ne doit pas compromettre le vivre ensemble, le bien-être des générations futures. Tout dirigeant devrait se demander quel héritage il va léguer aux générations futures, en bâtissant sur le legs de ses prédécesseurs. C’est une loi immuable pour toute nation qui veut prospérer et retrouver ou conserver sa grandeur.

La grandeur d’une nation passe par le rétablissement de la paix, d’une paix durable. Et une paix durable exige, d’une part, une solution holistique, multidimensionnelle à la crise qui l’aura rompue et, d’autre part, un bon séquençage des étapes vers la paix. Et pour commencer dans le cas présent, point n’est point de rappeler que le point de départ c’est l’application de la résolution 2773 du Conseil de sécurité de l’ONU. La paix n’a certes pas de prix, mais elle ne doit pas être vendue aux soldes, encore moins à celui-là même qui la brise régulièrement. Le Rwanda a déjà obtenu plusieurs fois des accords privilégiés avec la RDC sans jamais tenir ses engagements. Quelle garantie a-t-on aujourd’hui à part la bonne foi des parties maintes trahie ? Partant, il est temps d’impliquer la nation dans toutes ses composantes, notamment les femmes et les jeunes, dans les négociations des accords qui engagent le destin commun, au moins à travers des débats et la ratification des accords négociés au parlement, par devoir de transparence et d’équité pour les générations futures et par respect de la constitution en son article 214.

Alphonse Maindo

 

 

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