Culture et art: Le parler kinois

Le lingala de Kinshasa qu’on peut aussi appeler  » le kinois  » est une langue qui a évolué à sa manière. Lentement mais sûrement, il s’est débarrassé de certains caractères hérités de son lointain ancêtre venu tout droit de Makanza dans l’Équateur. Il a revêtu des habits neufs dans son nouveau lieu d’attache. Devenue langue citadine, le lingala s’est créolisé au contact des diverses tribus qui se sont croisés dans ce melting-pot qu’est Kinshasa. On y remarque une grande influence du kikongo et du français. La mégapole a métamorphosé son accent, son orthographe et son vocabulaire. Créatif, la jeunesse kinoise a participé à son enrichissement par l’invention des mots nouveaux qui se sont incrustés dans l’usage quotidien des locuteurs de la capitale. Certains vocables ont disparu tandis que d’autres ont résisté à l’usure du temps. Des listes de ces mots d’obédience kinoise sont dressées. Pour faciliter la prononciation,  des accents ou des trémas sont utilisés alors qu’en réalité, ils ne sont pas d’usage en lingala. L’écriture de certains mots ne semblant pas évidente, une orthographe particulière a été employée pour faciliter la lecture.

Le hindou bill

Les yankees avaient terrifié certains quartiers de Kinshasa entre 1960 et 1967 avant d’être réduits au silence par les autorités publiques. Fumeurs de chanvre et bagarreurs invétérés, ces voyous d’autrefois ont sans le savoir joué un rôle important dans l’enrichissement du lingala. Sous l’influence du chanvre et à la cadence du « Wele ngingo », leur chant de ralliement,  ils y ont incorporé des mots parfois insolites dont l’usage était souvent interdit en famille. Leur lingala s’appelait hindou bill. Parler comme un délinquant devant les siens était mal vu par les parents. Petit à petit, plusieurs de ces mots autrefois censurés se sont glissés dans le langage courant et sont devenus normaux. L’argot est sorti de la vulgarité pour faire son entrée triomphante dans le parler ordinaire kinois. Faisant suite à l’époque mouvementée des yankees et de leur hindou bill tant décrié, d’autres vocables encore plus nombreux sont venus s’ajouter. Les Kinois ordinaires ont mis la main à la patte. Tous ces nouveaux mots inventés ça et là, sont passés de bouche à oreille et se sont répandus comme une traînée de poudre dans toute l’étendue de la ville-province au grand bonheur de tous  les lingalaphones qui y habitent.

litchchemise
nséngériz
madebloharicot
damagenourriture
futu, wayamensonge
wayeurmenteur
mvaïtravail
kodié, kobendana, kogazépartir, s’en aller
kogazé motoreprocher quelqu’un
kotia moto na tout droit, n’esika na yeparler sans langue de bois
ngembospectateur qui suit le spectacle dehors
kodamémanger
nzélé, merenge, tapa, ndjukul,momi, nzazicopine, épouse
kobeta, kofakolavoler
fakuavoleur
duma, dumarchikwangue
makanzénzépoisson salé
tshakaï, matchikathé
payinepain
badifoufou
palais, ghettomaison
nsulsouliers
kodamblébien s’habiller
mbatipantalon
bok, mbendabière
kobokéconsommer de la boisson alcoolique
ekalabar, débit de boisson
ata niérétôt ou tard
ntshikécole, classe
kobeta bukuétudier
bitchatchaécolier qui fait l’école buissonnière
kobuka bicdécrocher, interrompre les études
kolia ebendesoulever des altères
ndulémusique
ndulisteartiste-musicien
merbal, moro, djo moromaman, mère
poro, djo poropapa, père
gamtorguitare
djomec, jeune homme
lar, dimi, likonda,lokotroargent
petitejeune fille
mbendre, yuma, nkebele, bandayes, mobobépeureux, homme dépourvu de force physique
mapeka, muvilavillageois
mvuanduriche
mopao, mvuamapatron
secsecrétaire
kitubu, flamingomaison de passage
moprezo, prezoprésident
mofititraitre
mbila, waya-wayapolicier
nkuafcoiffure
pastapasteur
evan-joévangeliste
nsanda-nsandasandales
miaram, miafaim
musuni ya Batababouches
ntchofa, mopilachauffeur, conducteur
limbacarburant (essence, mazout)
kodonké, kosala lookingtricher en classe
bidonkatricheur
chimbokcigarette
nua, tuaya, tize, lopipi, likékéchanvre
konualéfumer du chanvre
nualeurfumeur de chanvre
kobatré, kofolé, kobeta meeting, kotia litoyiséduire, baratiner une fille (femme)
mudinda, mukadisous-vêtement
mpiakaêtre dépourvu financièrement
mpiakeurquelqu’un qui n’a pas d’argent
baladobandit, malfaiteur
cheguéenfant de rue
kulunabandits des quartiers défavorisés de Kinshasa
kopédalé, kodayé, kolia pawumourir
kosimbisa moto toucheculpabiliser quelqu’un
kisambethcoup de pied
kamogri-gri censé donner de la force physique
levam, double patte, double,utiliser son pied pour faire tomber quelqu’un
kosekamas’asseoir
kofazédormir
ngolsommeil
rondo, dukugrossesse
korondonérendre une fille enceinte
koleka moto, kobaré motoassassiner, tuer quelqu’un
Miguel, NordEurope
mutu trainchef de file
komonela motohumilier quelqu’un
ZZaïrois
Lia-LiaCongolais de Brazzaville
NdingariSénégalais
gua / gwagri-gri
bolithcoup de poing
mwana mayi, moto, oncle, elombemon pote
kozala na niamaêtre atteint du sida
kolia coin, coin, muisis’enfuir
kobatamase cacher
ligablo, ligalboutique
songeurradoteur
bulawayo, bulaprostituée
balle perdue, ballefille légère
kolia lisangochanter devant un micro
kobeta sabot, football, kosutanégliger, abandonner quelqu’un
nsor, solodiongosorcier
korejambérésister
tout mopia, tout nkunzu, mombambaquelque chose de neuf
kosala canailleposer expressément un mauvais acte
bloc ya Bomaclé boa
kopakola mutu poudrerependre du sable sur la figure de l’adversaire renversé
koniata minecontracter le virus du sida
kozala mystiqueêtre compliqué, bizarre, drôle
mukonfiapersonne de confiance
kobeta kara, kobeta in-ndiféviter quelqu’un
kozala kolo, faux mutuêtre mauvais
modegacol de la chemise
kadafivendeur ambulant d’essence
grand-prêtrepersonne qui mérité honneur et respect
tshombotéléphone portable
djime-djimeagent de la JMPR

Le football

Sport-roi, le football est le seul sport qui possède beaucoup de mot en lingala. Au fil des rencontres et des années, les amoureux du foot se sont mis à la rude tâche de mettre un terme générique approprié pour qualifier telle action, tel geste technique, telle tactique, telle faute. Le lingala du football absorbe bien des mots de la langue de Molière. Il peut se vanter d’être sur le même diapason que le français ou l’anglais dans ce domaine. Les termes ainsi trouvés sont surtout employés dans la cité pendant les discussions animées qui suivent un derby ou un classico. Les reporters des médias officiels n’en font presque pas usage.

kopolaperdre
kokata duma, nzadimanquer de reprendre la balle
kosopadribler
tshobopetit pont
kata-tête, perruquegrand pont
nzoploplongeon
bikumuanti jeu, jeu brutal
match bikumumatch dominé par la brutalité
dadajonglage  (spécialité de Fifi Nzuzi)
à nousremise en jeu, touche
fouteurcelui qui ne sait pas jouer au foot
sétéjoueur  qui pour la plupart du temps reste sur le banc de touche
gizaballe qui frappe la transversale ou l’un des poteaux latéraux avant d’entrer dans les filets
ambassadeurfanatique zélé reconnu qui harangue les siens pour encourager l’équipe sur le terrain (spécialité de V.Club)
comité de recherchemembres dirigeants d’une équipe qui cherchent en permanence les meilleurs  féticheurs susceptibles de faire gagner l’équipe
laboratoire, labolieu où le féticheur fait ses incantations mystiques ; fétiches
jeu des jambesdrible consistant à faire passer le ballon d’une jambe à l’autre (spécialité de Manu Kakoko)
muf/mouf, feintemouvement du corps qui fait tomber l’adversaire (spécialité de Saïo Mokili)
virguleballe shootée qui fait une trajectoire courbe (spécialité de Ricky Mavuba)
barre-poteaugri-gri censé protégé les perches pour ne pas encaisser des buts
kokanga mbrusuamortissement avec le pied d’une balle aérienne dont le contact avec le sol la fait vibrer
pratiquetechnique consistant à contrôler avec le talon une balle lancée par le dos (spécialité de Ngunza Tchang Laï)
baramiaction du gardien qui consiste à faire tomber l’adversaire pour l’empêcher de shooter (non sanctionnée à l’époque)

L’apport des Kinois d’Europe

Dans les années 70, les Congolais (surtout les jeunes de Kinshasa) ont commencé à s’installer en masse en Europe. Les premières vagues sont arrivées en Belgique et en France. Plus tard, la diaspora congolaise s’est agrandie avec des communautés en Suisse, Allemagne, Hollande et Royaume-Uni. Se trouvant à l’étranger, les Congolais ont fait face à des situations inédites et inattendues. En bute à des réalités nouvelles dans leurs pays d’accueil et en quête de vie, les Euro-Congolais autrefois Kinois se sont adaptés au mode de vie occidental sans renier leur culture. Leur situation d’expatriés combinée au contact avec des peuples divers donnent naissance à plusieurs mots nouveaux et expressions neuves. Malheureusement, certains de ces vocables ne sont utilisés qu’en Occident car quasi inconnus en RDC.

kobopersonne de race noire
mvunzipersonne de race sri-lankaise
SosoSomalien
NinjaNigérian
Ghana-GhanaGhanéen
MundibuArabe
kobuaka ngundademander l’asile politique
ngundeur, ngundarequérant d’asile
dièze, kindokidemande d’asile
kobeta ngumafrauder dans un bus, tram, métro, train
pimbodrogue
mulésemoule
ndako ya poidshabitation squattée
chekula, kobeta kulachèque trafiqué, opération bancaire frauduleuse
lubuakuprison
kolia mbalaêtre en prison
kozala na mitu ebeleavoir déposé plusieurs demandes d’asile
libanga, cailloutravail
kobeta libanga, kobeta cailloutravailler
kozua kuenda, kotindikaêtre refouler, être rapatrié de force
komona mbilase retrouver au pays après avoir été refoulé
docpermis de séjour

Mots apportés par la musique

La musique congolaise n’est pas en reste. Les artistes-musiciens ont dans l’exercice de leur métier mis à jour des dictons qu’ils ont utilisés dans leurs compositions. Ces noms propres ont pris une signification nouvelle dans un contexte bien particulier. La majorité de ces mots sont des titres des chansons qui ont récolté un franc succès auprès du public. Certains artistes-musiciens ont même vulgarisé des vocables ou expressions dormant. Leurs noms sont mis entre-parenthèses.

sebenepartie instrumentale et dansante d´une chanson
mabangadédicaces
mario (Luambo)gigolo
kiwelewele (Tabu Ley)vagabond, faible d’esprit
semeki kinsekua (Champro King)beau-frère volage qui court après sa belle-sœur
deuxième bureau (Lokombe)concubine
tuba-tuba (Lutumba)racontars
radio-trottoir (Lutumba)commérage
mobali ya ga (Sam Mangwana ?)mari capable
mazé (Tabu Ley)billet de 50 zaïres
kiyedi (Dino Vangu)billet de 10 zaïres
mukarame (Jhonny Bokelo)mon épouse
être cadavéré (Zao)être mort
kobala misère (Mayaula)épouser un mari pauvre
boma l’heure (Luambo)passe-temps (relation amoureuse basée sur l’intérêt)

Vocabulaire du dandysme

Le courant vestimentaire qui s’est développé dans les années 80 dans les deux Congo avec l’apport de Papa Wemba, Stervos Niarcos, Djo Ballard et les autres s’est appuyé sur la chanson pour véhiculer son crédo. Le lingala étant la langue de la musque congolaise moderne, l’art de bien s’habiller y est passé avec son lot de mots pour se vulgariser. Le dandysme kino-brazzavillois a marqué le lingala de son emprunte. Son vocabulaire nourri par les couleurs et les styles vestimentaires divers accompagne l’habillement adoubé par la haute couture.

mangokoto (Papa Wemba)geste de ralliement
kobaka formevanter la tenue portée en gesticulant
sapeart, philosophie de bien se vêtir
être bien sapéêtre habillé comme un sapeur
kitendiste, sapeurcelui qui s’habille BCBG
griffetimbre en étoffe reprenant le nom d’un couturier
sapologie, religion kitendi (Stervos Niarcos)doctrine basée sur le port des vêtements onéreux cousus par les grands couturiers
sapologueadepte de la sapologie qui se bat pour la distinction du meilleur sapeur
bien sapé, bien rasé, bien parfumé (Emeneya Kester et Djuna Djanana))cri de ralliement
forme, kitendi (Stervos Niarcos)vêtement cousu par des couturiers de renommée internationale
enfilage, koréglé mbatimanière particulière de serrer la ceinture d’un pantalon

Le lingala kinois s’est beaucoup métamorphosé pendant les cinquante dernières années. Il a connu des influences tant internes qu’externes. D’une langue cantonnée dans un coin perdu du Congo, Kinshasa lui a donné la dimension et l’étendue de sa taille. Chaque décennie, des mots nouveaux voient le jour. Quelque part, dans une commune kinoise nait un dicton nouveau. Beaucoup de ces inventeurs ne sont forcément des intellectuels bardés de diplômes car le lingala est une langue ouverte qui invite ses locuteurs à l’enrichir qu’on soit lettré ou pas. C’est le patois du petit peuple comme le français est l’affaire des intellos. Ne manque qu’une institution linguistique pour normaliser sa perfection, sa structuration et son orthographe, car l’écriture de certains mots relève de l’impossible.

Samuel Malonga & Albert Maketo Mbumba

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