Lorsqu’en novembre 2016, Donald Trump – certes milliardaire en dollars américains mais novice en politique – a gagné l’élection présidentielle américaine, en battant Hillary Clinton favorite des sondages et ayant une solide expérience politique, le constat qu’il fallait faire est que les États-Unis d’Amérique n’étaient pas encore prêts à élire une femme à la tête de la magistrature suprême de leur pays. Force est de constater que, près de dix ans après, cette vérité reste d’une criante réalité. Kamala Harris n’a pas perdu la présidentielle américaine parce qu’elle est afro-américaine mais tout simplement parce que la plus vieille démocratie au monde n’a pas encore intégré dans les arcanes de son pouvoir et dans les entrailles de sa population le fait d’être dirigée par une femme au plus haut sommet de l’État.
Je fais partie de ceux qui avaient pronostiqué la victoire de Donald TRUMP, malgré le début de campagne, en trompe-l’oeil de Kamala Harris, investie à la va-vite par le Parti Démocrate suite au retrait – beaucoup trop tardif – du Président Biden de la course à la maison blanche. Joe Biden n’aurait jamais dû être au départ de cette élection présidentielle et c’est là, la première erreur du Parti Démocrate.
La seconde erreur est d’avoir estimé que, de facto, Kamala Harris était la candidate la mieux placée pour battre Donald Trump sans même organiser de véritable primaire au sein du parti pour désigner un candidat. Cela a donné le sentiment, au citoyen lambda américain, que son opinion – en tant que militant du parti Démocrate – ne pesait pas lourd face à l’establishment de celui-ci ; accréditant l’idée d’un arrangement entre organes et apparatchiks du parti. Cela a été très mal perçu par la base.
La troisième erreur est d’avoir oublié que le pouvoir d’achat est une composante essentielle de toute élection quel que soit le pays considéré. Or, si les résultats économiques de Joe Biden ne sont pas si mauvais que cela – un taux de chômage ramené de 6% à sa prise de fonction à 4% aujourd’hui. En valeur absolue, il y a donc eu une augmentation de près de 16 millions d’emplois depuis que l’administration Biden a pris le relais de l’administration Trump en janvier 2021. En ce qui concerne la croissance au regard du Produit Intérieur Brut (PIB), c’est-à-dire la valeur de tous les biens et services de l’économie américaine, celle-ci est estimée à 2,8 % pour 2024 par le Fonds Monétaire International alors que ces mêmes prévisions oscillent entre 0,5% et 0,8% pour l’Union Européenne -, le pouvoir d’achat des américains a régressé à cause d’une inflation estimée à 3-4% – après un pic à 9% en juin 2022 – alors qu’elle était en-dessous de 3% en janvier 2021 lorsque Donald Trump a quitté le pouvoir .
En ce qui concerne les salaires des travailleurs, donnée essentielle et objective lorsqu’il s’agit de “poster son vote”, si ceux-ci ont augmenté rapidement au début de l’année 2020, lors de la pandémie de grippe aviaire, force est de reconnaître que cette hausse soudaine des salaires est liée au fait que les travailleurs les moins bien payés étaient plus susceptibles d’être licenciés, ce qui a fait augmenter le salaire moyen des personnes encore employées. Sous la présidence de M. Biden, les salaires hebdomadaires moyens ont augmenté, mais ils ont eu du mal à suivre la hausse des prix provoquée par des niveaux d’inflation élevés d’où une détérioration du pouvoir d’achat des américains qui s’est clairement exprimée à travers leurs votes.
La quatrième erreur est d’avoir sous-estimé Donald Trump : l’homme est un excellent communicateur s’identifiant à merveille à l’américain moyen et incarnant parfaitement ses désirs et ses besoins, réussissant parfaitement à faire oublier qu’il appartient à la jet-set américaine. Le Donald Trump de 2024 n’est plus le même que celui de 2016, mais, les Démocrates n’ont pas perçu cette mue du candidat républicain. L’homme est également plus expérimenté après son premier passage à la maison blanche et inspire plus confiance. Le fait que les dirigeants de la France, du Conseil de l’Union Européenne et de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord soient parmi les premiers à avoir officiellement félicité Donald Trump pour son élection à la présidence des États-Unis d’Amérique ne doit rien au hasard.
D’une manière générale, à Kinshasa, Abidjan, Paris, Bruxelles ou ailleurs, lorsque nous considérons l’élection présidentielle dans un autre pays, l’erreur souvent commise est de voir les choses à travers notre propre prisme, notre propre point de vue, sans nous donner la peine de faire une radioscopie de la société considérée et du pays concerné. Aujourd’hui, beaucoup sont dépités par la victoire de Donald Trump à partir de l’image qu’ils se font de lui à travers ses discours et, parfois, à travers ses actes sans se soucier de l’impact de la politique économique conduite par le gouvernement Biden sur la population. Mais, le citoyen américain – celui-là même qui est concerné au premier chef par l’élection de son président, de ses députés et sénateurs – vote en fonction de son vécu quotidien. Le meilleur exemple est l’État de Pennsylvanie, l’un de ceux que l’on appelle les “swing states” c’est-à-dire “les États-clés”. Après avoir voté pour Joe Biden en 2020, la Pennsylvanie a voté pour Donald Trump en 2024 lui apportant 19 Grands Électeurs supplémentaires.
Les “swing states” sont des États qui ne sont pas traditionnellement acquis à un parti et dont le vote s’avère finalement décisif dans le décompte final de l’élection. Cette particularité est due au système de décompte des votes des grands électeurs aux Etats-Unis, qu’on appelle « winner-takes-all » : en remportant l’élection dans un État, le candidat remporte l’ensemble de ses votes au collège électoral. L’élection américaine étant, en réalité, un vote au suffrage universel indirect puisque ce sont les grands électeurs – un collège électoral composé de 538 membres, désignés par États en fonction de la population – qui élisent le Président. C’est ce type de mode de scrutin qui avait déjà coûté la victoire à Hillary Clinton en 2016 : alors que le vote populaire s’était exprimé en sa faveur en termes de nombre de voix, le système des Grands Électeurs avait permis l’élection de Donald Trump.
La victoire de Donald Trump pourrait, d’ailleurs, s’apparenter à un plébiscite pour les Républicains puisqu’au moment de la rédaction de cet article, les premières tendances donnent les républicains en tête tant à la Chambre des Représentants qu’au Sénat.
Par ailleurs, n’oublions jamais que Donald Trump a commencé par gagner les primaires organisées par le parti Républicain. Pour tous ceux qui connaissent l’histoire politique des États-Unis, les primaires ont une importance capitale dans le système politique américain car considéré comme étant au cœur de l’idéal démocratique et permettant d’éviter l’arrivée au pouvoir de majorités de hasard et donc, d’éviter les “mauvaises” surprises, d’être l’expression de la volonté populaire du parti dont question.
Le fait de prévoir la victoire de Trump ne signifie nullement être un partisan de Donald Trump. Cependant,la politique est une discipline qui ne laisse guère de place aux sentiments, mais dans laquelle si, le plus souvent, la fin justifie les moyens pour son exercice, le pragmatisme se doit d’être l’essence même de toute analyse y afférente en battant en brèche toute idée ou velléité de fanatisme afin de préserver la pertinence des faits.
Roger NZAU
Kinshasa, République Démocratique du Congo
Le 05 novembre 2024
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