Il circule depuis plusieurs années sur les réseaux sociaux une citation attribuée à Peter Willem Botha, ancien président sud-africain et pilier de l’apartheid. Une citation qui, à bien des égards, cumule le racisme le plus brutal, le mépris intellectuel colonial, et une prophétie sinistre à laquelle certains Africains semblent, tristement, vouloir donner raison. Ce texte mérite qu’on s’y attarde. Non pas pour y trouver une once de vérité, mais pour comprendre comment le désespoir et la frustration peuvent pousser les victimes à valider les discours de leurs bourreaux.
1. La citation : racisme colonial recyclé
« Les Noirs ne peuvent pas se gouverner eux-mêmes parce qu’ils n’ont pas le cerveau… » Voilà comment débute cette diatribe supposément prononcée en 1988. Elle dresse le portrait d’un Noir fondamentalement incapable, mentalement inférieur, irrémédiablement porté à la violence, à la corruption, à l’ethnicisme et à l’autodestruction.
Qu’on le sache : aucune preuve historique sérieuse ne confirme que Peter Botha ait jamais tenu ces propos exacts. Ce texte est une invention – un montage idéologique – qui circule depuis au moins le début des années 2000, recyclé à chaque crise africaine comme une sentence divine. C’est une fake quote qui, malheureusement, se propage mieux que nos meilleurs manuels d’histoire.
2. Le syndrome de la résignation prophétique
Mais plus troublant encore, c’est le commentaire en bas :
« 37 ans après, nous n’avons pas pu lui prouver le contraire. »
Cette phrase est un aveu de capitulation. Elle donne raison à l’oppresseur. Elle entérine le préjugé racial comme une vérité d’expérience. Elle efface toutes les luttes, les réussites, les sacrifices et les progrès du continent. En validant ce faux discours, on prolonge la domination mentale du colonialisme.
En vérité, ce n’est pas l’Afrique qui a échoué à contredire Botha, c’est une partie de son élite corrompue, incompétente ou complice, qui l’a trahi. Et même là, il ne faudrait pas généraliser : il existe des pays africains gouvernés avec rigueur, des leaders intègres, des peuples résilients, des réussites éclatantes, souvent éclipsées par la médiatisation du chaos.
3. Des armes et des États piégés
Oui, des armes circulent en Afrique. Oui, il y a eu des détournements, des conflits ethniques, des leaders populistes. Mais qui a donné ces armes ? Qui a tracé ces frontières absurdes ? Qui a saboté les indépendances ? Qui soutient encore les dictateurs ?
Répondre : « Les Africains eux-mêmes », c’est nier le rôle actif des puissances extérieures, des multinationales, des systèmes bancaires et des réseaux d’ingérence. C’est faire l’économie d’une analyse géopolitique rigoureuse au profit d’un cliché psychologisant.
4. Se réveiller ou sombrer dans la haine de soi ?
Répéter cette citation, c’est s’injecter le poison de l’impuissance. C’est intérioriser le mépris. C’est transformer le colonialisme en vérité biologique. C’est faire de Botha un prophète — et de nous-mêmes, ses disciples honteux.
Non, nous ne devons pas prouver quelque chose à Botha. Il est mort, et son idéologie devrait l’être aussi. Ce que nous devons prouver, c’est que l’intelligence, la capacité à gouverner et à aimer son peuple ne dépendent ni de la race ni de l’histoire, mais de la lucidité et de l’engagement collectif.
5. Conclusion : décoloniser aussi notre imaginaire
Cette chronique n’est pas un plaidoyer pour l’aveuglement. Oui, l’Afrique a mal. Mais la solution ne viendra jamais de la soumission à des jugements forgés pour la dominer. Elle viendra de la capacité de ses peuples à réécrire leur récit, à élever leur conscience, à exiger des comptes et à former une nouvelle génération d’élites dignes, lucides et libres.
Si Botha a dit ce que ce texte prétend, alors il faut le faire mentir chaque jour.
Et si c’est une invention, alors que ceux qui la répètent cessent de la nourrir.
Le continent mérite mieux que ce miroir brisé tendu par ses oppresseurs.
CLBB
Chroniqueur des résistances mentales