Par Cyrille Ludunge Bagenda Banga
Il était une fois une ruche sans reine.
C’est ainsi que commence l’histoire fascinante des abeilles que nous connaissons tous, mais dont nous oublions trop souvent la puissance symbolique. Une ruche sans reine, c’est une société en suspens, où l’avenir s’arrête, la fécondité disparaît, et l’ordre social se délite. Pourtant, les abeilles, elles, ne paniquent pas. Elles ne cherchent pas un sauveur de l’extérieur. Elles s’organisent. Elles choisissent, nourrissent et transforment. Elles créent leur propre reine. Car dans leur monde, une reine ne naît pas : elle se fabrique. Par nécessité. Par vision. Par solidarité.
Mais que fait la ruche congolaise ?
Le retour supposé de Joseph Kabila par Goma, ou du moins l’annonce de ce retour, a provoqué un frisson national. Les réseaux sociaux crépitent, les journalistes s’excitent, les politiques s’agitent. Et pourtant, ce n’est ni une élection ni un putsch. Juste le retour d’un homme qui avait quitté la scène, et qui, peut-être, y revient. Pourquoi donc ce tumulte ?
Parce que ce retour met à nu une vérité que beaucoup refusent de voir : la ruche congolaise n’a pas de reine. Elle bourdonne sans cap, sans cohérence, sans vision. Depuis le départ de Kabila, c’est comme si la colonie s’était figée, tournant à vide, ponctionnée par des querelles internes, des choix erratiques, des nominations contestées, une justice politisée, une guerre qu’on ne sait ni nommer ni affronter. Les larves ne deviennent pas reines. Elles végètent. Et l’avenir se fane.
Une crise produit-elle un leader ?
Comme dans la ruche, une vraie crise devrait produire son propre antidote. Un sursaut collectif. Une nouvelle génération de dirigeants, nourris à la vision, formés dans la rigueur, sélectionnés non par favoritisme ou affiliation, mais par engagement, compétence et détermination. Mais au Congo, la crise semble au contraire étouffer toute émergence. L’ascension est confisquée. Le débat est caricaturé. L’unité est factice. L’intelligence collective est remplacée par l’intimidation organisée.
Alors, quand Kabila annonce son retour – ou laisse entendre qu’il pourrait revenir – ce n’est pas de lui qu’on parle réellement. On parle du vide laissé. De l’absence de relève crédible. Du manque de continuité. De la peur viscérale qu’inspire une ruche sans reine. Et du fait que, depuis des années, aucune larve n’a reçu la gelée royale.
Le leadership n’est pas une affaire de sang. C’est une affaire de soin.
Les abeilles nous le rappellent avec force : la future reine n’est pas génétiquement différente des autres. Elle est différente parce qu’on l’a nourrie autrement. Parce qu’on a décidé, dans la ruche, qu’il était temps d’en faire une. Or, au Congo, qui nourrit qui ? Qui forme ? Qui prépare ? Qui élève ? La politique congolaise, aujourd’hui, est une guerre d’égoïsmes et d’opportunismes, pas une fabrique de leadership. Même les jeunes qui s’y engagent finissent souvent digérés par le système, ou marginalisés par la peur d’exister.
Et si le vrai débat, ce n’était pas Kabila, mais la ruche ?
Kabila est peut-être de retour, physiquement ou symboliquement. Mais c’est la ruche qui doit répondre. Où sont les voix alternatives, crédibles, prêtes à gouverner demain ? Où sont les larves nourries à la vision d’un État juste, fonctionnel et souverain ? Où sont les ouvrières prêtes à changer le destin d’une colonie menacée d’extinction ?
Car la vérité est là : si la République démocratique du Congo en est encore à se demander si l’avenir passe par un ancien président, c’est peut-être qu’elle n’a pas su se donner les moyens de créer un nouveau leadership. Et dans ce cas, ce n’est pas Kabila qu’il faut interroger. C’est nous. Notre incapacité à créer, nourrir et transformer.
Clôture : La crise n’est pas une fatalité. Elle est une opportunité.
À l’image de la ruche, c’est dans les moments les plus critiques que l’on peut créer les plus grands leaders. Mais encore faut-il le vouloir. Encore faut-il le préparer. Encore faut-il comprendre que la politique, comme chez les abeilles, n’est pas un miracle, ni une affaire d’héritage : c’est une œuvre de soin, de choix et de courage.
Alors, à défaut d’une reine, que chacun devienne une abeille qui nourrit. Qui prépare. Qui élève. Le Congo n’a pas besoin d’un retour. Il a besoin d’une renaissance.
Et celle-ci ne viendra ni de Goma, ni de l’exil. Elle viendra de l’intérieur.