Par Cyrille Ludunge Bagenda Banga
Résumé analytique
La tribune d’Olivier Kamitatu publiée le 12 avril 2024 dans La Libre Afrique propose une réforme institutionnelle audacieuse de la République Démocratique du Congo : la transition vers un État fédéral. Cet appel s’inscrit dans un contexte historique marqué par les échecs récurrents du centralisme étatique et les limites manifestes de la décentralisation administrative. À la lumière des défis structurels du pays, cette chronique s’attache à analyser les fondements, les implications, les objections possibles et les conditions de faisabilité de cette proposition, en s’appuyant sur une lecture critique des réalités congolaises et des modèles comparés.
I. De la centralisation congolaise : un legs colonial devenu piège structurel
Le modèle centralisé congolais est l’héritier direct du système colonial belge, fondé sur un contrôle vertical, méfiant et distant à l’égard des dynamiques locales. Ce modèle a été consolidé sous Mobutu à travers une recentralisation autoritaire et un découpage des provinces plus administratif que fonctionnel.
La Constitution de 2006, censée introduire une décentralisation politique et administrative, reste lettre morte en pratique. L’article 175, qui prévoit la rétrocession de 40 % des recettes nationales aux provinces, est délibérément ignoré, démontrant l’hostilité du pouvoir central à toute véritable autonomie régionale.
II. Fédéralisme et légitimité historique : une revendication ancienne refoulée
Le fédéralisme n’est ni une idée étrangère ni une invention récente. Il fut au cœur des débats post-indépendance, notamment à Luluabourg, et faisait partie du programme fondateur de l’UDPS. Mais il a été dévoyé et diabolisé à la suite des sécessions du Katanga et du Sud-Kasaï, alors que ces dernières résultaient davantage d’un vide institutionnel et d’une décolonisation bâclée que d’un défaut structurel du fédéralisme.
Le moment semble venu de réhabiliter cette option, non pas en la figeant comme solution miracle, mais en la réexaminant à la lumière des nouvelles urgences nationales : cohésion territoriale, responsabilisation des élites, et proximité de l’action publique.
III. Une proposition de refondation structurelle : contours et principes
Olivier Kamitatu propose un fédéralisme basé sur six régions macro-historiques, dotées de larges compétences constitutionnelles, de ressources budgétaires propres, et de gouvernements régionaux élus. Les piliers de cette architecture incluent :
La subsidiarité, pour rapprocher la décision publique du citoyen.
L’autonomie financière, avec une répartition équitable des ressources (60 % local, 30 % fédéral, 10 % péréquation).
La valorisation des identités régionales, dans les domaines culturels, linguistiques et éducatifs.
Une unité nationale garantie par des institutions fédérales fortes (armée, diplomatie, monnaie, Cour constitutionnelle).
Ce schéma s’inspire des modèles canadien, indien et allemand, qui démontrent que diversité territoriale et unité nationale peuvent cohabiter harmonieusement.
IV. Éléments de nuance et de consolidation critique
S’il est vrai que le fédéralisme peut offrir une voie vers une gouvernance plus efficace, plus juste et plus ancrée dans les réalités locales, sa mise en œuvre en RDC requiert prudence, méthode et rigueur.
Le débat ne peut se réduire à une dichotomie simpliste entre un centralisme inefficace et un fédéralisme salvateur. Il faut éviter une transition précipitée qui risquerait d’aggraver les clientélismes locaux ou de renforcer des logiques identitaires dangereuses.
Il est impératif de distinguer le fédéralisme du piège de l’ethnofédéralisme. La structuration territoriale proposée doit se fonder sur des considérations historiques, économiques et socioculturelles partagées, et non sur des critères ethniques ou claniques, au risque de légitimer des dynamiques de fragmentation.
De plus, la réussite de cette réforme dépendra de l’émergence d’une culture politique du compromis, du respect de la redevabilité, et d’un renforcement drastique des capacités institutionnelles, en particulier :
L’éducation civique pour préparer les citoyens à un nouveau contrat social.
La formation des élites régionales, pour éviter la reproduction de logiques de prédation à l’échelle locale.
La justice constitutionnelle, pour réguler les conflits de compétence entre niveau fédéral et régional.
Le fédéralisme ne peut réussir que s’il est précédé d’un temps d’apprentissage institutionnel et d’un minimum de consensus national.
V. Conclusion : entre nécessité historique et impératif stratégique
La RDC demeure une construction étatique inaboutie. Son unité reste souvent imposée d’en haut, sans adhésion réelle d’en bas. L’échec de la décentralisation actuelle ne signifie pas que l’autonomie territoriale est vouée à l’échec, mais qu’elle n’a jamais été sérieusement mise en œuvre.
Le fédéralisme peut devenir l’outil d’une gouvernance réinventée, pour peu qu’il soit pensé comme une stratégie de reconfiguration démocratique, fondée sur la responsabilité, la transparence et la reconnaissance des diversités internes.
La tribune d’Olivier Kamitatu a le mérite de relancer ce débat, au-delà des peurs, des caricatures ou des suspicions partisanes. Il revient désormais à la société civile, aux chercheurs, aux acteurs politiques et à la diaspora de s’en emparer, afin de bâtir un nouveau pacte institutionnel, fidèle à l’histoire du Congo et tourné vers son avenir.