Chronique de CLBB : L’Argentine et le pari de la dollarisation

 

Contexte et annonce majeure

Le président libertaire de l’Argentine, Javier Milei, a annoncé un projet inédit : l’instauration d’un système de concurrence monétaire permettant aux Argentins d’utiliser librement le dollar ou toute autre devise pour leurs transactions quotidiennes. Cette décision s’inscrit dans un processus plus vaste visant la fermeture de la Banque centrale, jugée responsable de l’hyperinflation qui gangrène l’économie du pays depuis des décennies. Milei promet une transformation radicale : dollarisation, réduction drastique des dépenses publiques, suppression d’impôts, et réformes structurelles profondes.

 

Ces mesures marquent une rupture radicale avec les politiques économiques traditionnelles argentines, souvent marquées par l’interventionnisme étatique et un protectionnisme économique exacerbé. Pour Milei, la clé de la prospérité repose sur une économie dérégulée et allégée de ses charges bureaucratiques. Cependant, cette vision suscite des interrogations sur sa faisabilité et ses conséquences sociales.

 

Dollarisation : une solution ou un pari risqué ?

La dollarisation de l’économie argentine vise à répondre à une crise chronique de confiance envers le peso, qui s’est effondré face à des taux d’inflation records (plus de 100 % annuels récemment). Adopter une monnaie forte comme le dollar pourrait stabiliser l’économie, en réduisant l’hyperinflation et en attirant des investisseurs étrangers. Ce système a été expérimenté avec succès en Équateur et au Salvador, bien que dans des contextes différents.

 

Cependant, la dollarisation comporte des risques majeurs :

 

1. Perte de souveraineté monétaire : L’Argentine abandonnerait tout contrôle sur sa politique monétaire, rendant l’ajustement économique dépendant des politiques de la Réserve fédérale américaine. En cas de crise, le pays ne pourrait plus utiliser les outils monétaires traditionnels, comme la dévaluation, pour stimuler son économie.

 

2. Réserves de dollars insuffisantes : La dollarisation nécessite des réserves en devises conséquentes, ce que l’Argentine ne possède pas. Cela pourrait engendrer un choc brutal pour les institutions financières et les citoyens.

 

3. Conséquences sociales : Une transition mal gérée pourrait aggraver les inégalités et plonger des millions de citoyens dans la pauvreté, notamment ceux qui n’ont pas accès à des devises étrangères.

 

Le démantèlement de l’État-providence

Le projet de Milei va bien au-delà de la dollarisation. Il propose un « État minimaliste » en réduisant les dépenses publiques et en supprimant des agences étatiques qu’il juge inutiles. Cette politique dite de « tronçonneuse » repose sur l’idée que l’État argentin est hypertrophié et inefficace. Mais derrière cette vision se pose la question de l’impact social d’une telle réduction des dépenses.

 

Un État réduit pourrait entraîner :

 

Un affaiblissement des services publics : En Argentine, une grande partie de la population dépend des services de santé et d’éducation publics. Une réduction drastique des dépenses pourrait priver des millions de citoyens de ces services essentiels.

 

Des tensions sociales : Les mesures de Milei risquent de provoquer une résistance populaire, notamment parmi les classes moyennes et populaires qui pourraient subir de plein fouet les réformes fiscales et sociales.

 

Réformes structurelles et ambitions géopolitiques

Outre les réformes économiques internes, Milei ambitionne de redéfinir le rôle de l’Argentine dans le Mercosur et sur la scène internationale. Sa volonté de réduire les barrières tarifaires et de négocier un accord de libre-échange avec les États-Unis témoigne d’une orientation clairement libérale. Toutefois, ces réformes pourraient affaiblir les secteurs économiques locaux face à une concurrence internationale accrue.

 

 

 

Parallèle avec la RDC

La dollarisation n’est pas une nouveauté dans certains pays en crise. En République démocratique du Congo, bien que le franc congolais soit la monnaie officielle, le dollar est de facto la principale monnaie utilisée pour de nombreuses transactions. Cependant, contrairement à l’Argentine, la Banque centrale congolaise reste active, jouant un rôle clé dans la régulation monétaire, bien que ses résultats soient mitigés.

 

Ce parallèle soulève une question clé : la dollarisation est-elle un symptôme d’une incapacité structurelle à stabiliser une économie, ou peut-elle être un outil de transition vers une prospérité économique durable ? L’exemple congolais montre que, sans une réforme institutionnelle profonde, la dollarisation ne résout pas les problèmes sous-jacents d’une économie fragilisée.

 

 

Conclusion

Les réformes proposées par Javier Milei sont audacieuses, voire révolutionnaires. Si elles réussissent, elles pourraient transformer l’Argentine en un modèle de libéralisme économique en Amérique latine. Mais ce pari repose sur des hypothèses optimistes et pourrait conduire à des bouleversements sociaux majeurs si la transition échoue.

 

L’Argentine se trouve à un carrefour historique, où les décisions prises aujourd’hui définiront l’avenir économique et social du pays pour les décennies à venir. Milei réussira-t-il à concilier ses idéaux libertaires avec les réalités sociales et économiques complexes de son pays ? L’histoire jugera.

Cyrille LUDUNGE BAGENDA BANGA

 

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