La situation qui prévaut actuellement à Kinshasa est des plus préoccupantes. Alors que la classe politique et la société civile prônent, du moins en façade, la cohésion nationale comme rempart contre les menaces internes et externes, une vague de violence xénophobe secoue la capitale congolaise. Tout Congolais qui s’exprime en swahili est immédiatement suspecté d’être un Rwandais, un infiltré, un ennemi. Pour ces malheureuses victimes, l’accusation devient une sentence immédiate, souvent fatale.
Ce phénomène, loin d’être anodin, pose une question fondamentale : bâtissons-nous la cohésion nationale ou accélérons-nous la balkanisation du pays ?
L’identité congolaise mise à mal
La République démocratique du Congo est un État mosaïque, où coexistent des centaines de groupes ethniques et linguistiques. Loin d’être un facteur de division, cette diversité devrait constituer une richesse. Pourtant, à chaque crise, le réflexe identitaire refait surface, souvent manipulé par des forces obscures aux intérêts inavoués.
L’hostilité contre les locuteurs du swahili à Kinshasa illustre un mal profond : l’instrumentalisation du sentiment nationaliste à des fins politiques. Dans l’imaginaire collectif kinois, forgé par des décennies de conflits à l’Est, la langue swahili est associée aux forces étrangères, en particulier aux Rwandais. Pourtant, il est absurde et dangereux de réduire des millions de Congolais de l’Est – du Kivu, du Haut-Uele, de l’Ituri ou du Tanganyika – à des infiltrés étrangers. C’est une trahison de l’idée même d’unité nationale.
Un climat délétère attisé par la crise sécuritaire
Les tensions actuelles ne surgissent pas de nulle part. Elles sont le fruit d’une situation sécuritaire chaotique à l’Est du pays, où le M23, soutenu par Kigali, continue son avancée, mettant à nu l’impuissance ou la complaisance des autorités congolaises. En l’absence de résultats tangibles sur le terrain militaire et diplomatique, une partie de la population, excédée, cherche un exutoire. Malheureusement, cet exutoire prend la forme d’une chasse aux sorcières à Kinshasa.
Cette confusion volontairement entretenue entre Rwandais et Congolais de l’Est est une dérive grave, qui non seulement viole les principes fondamentaux des droits humains, mais affaiblit davantage l’unité nationale. L’ennemi du Congo n’est pas un compatriote qui parle swahili, mais ceux qui alimentent la guerre, exploitent les ressources et manipulent l’opinion publique pour diviser.
De la cohésion nationale à l’autodestruction
Dans ce contexte, parler de cohésion nationale semble presque ironique. Comment peut-on aspirer à l’unité lorsque certains Congolais sont désignés comme des cibles en raison de leur langue ? Si cette logique se poursuit, demain, ce seront les locuteurs du tshiluba, du kikongo ou du lingala qui seront stigmatisés dans d’autres régions du pays.
Le véritable enjeu ici n’est pas la présence supposée d’infiltrés, mais la fragilité de l’État congolais. L’incapacité à sécuriser le territoire, à mettre en place une véritable stratégie de défense et à offrir un discours rassembleur pousse les citoyens à se méfier les uns des autres. Un peuple divisé est un peuple vulnérable. Et un peuple vulnérable est une proie facile pour les appétits extérieurs.
Quelle voie pour sortir de cette impasse ?
Si le Congo veut éviter de sombrer dans l’auto-destruction, il est impératif d’adopter des mesures urgentes :
1. Dénoncer et sanctionner ces lynchages : La justice doit faire son travail et punir sévèrement les auteurs de ces actes barbares. L’impunité alimente la répétition des violences.
2. Éduquer la population sur l’identité congolaise : L’unité nationale ne peut être un slogan creux. Une grande campagne de sensibilisation doit rappeler que le Congo est un État pluriethnique et multilingue.
3. Renforcer la sécurité et la diplomatie : Lutter contre l’infiltration étrangère passe par des réformes sérieuses au sein de l’armée et des services de renseignement, et non par des exécutions sommaires de compatriotes.
4. Un discours politique responsable : Les leaders politiques doivent cesser d’attiser les tensions à des fins électoralistes. L’heure est au rassemblement, pas à la division.
L’histoire récente du Rwanda et de la Côte d’Ivoire nous rappelle où peuvent mener les tensions identitaires exacerbées. Kinshasa doit faire un choix : celui de la raison et de l’unité, ou celui du chaos et de la fragmentation. Le Congo est à un tournant décisif. Espérons que les leçons du passé l’emporteront sur les pulsions du moment.
CLBB