RUMBLE IN THE JUNGLE : 30 OCTOBRE 1974 – 30 OCTOBRE 2024

Par Roger Nzau

La vie, ce don de Dieu, passe si vite qu’il vaut mieux la croquer à pleines dents. Pour commémorer le jubilé de ce que l’on a appelé le “Combat du siècle” ou “Rumble in the Jungle”, c’est-à-dire le combat de boxe anglaise opposant Mohamed Ali à George Foreman, nous revenons ici sur quelques faits saillants qui rejaillissent, fort opportunément, de notre mémoire. Initialement programmé pour le 25 septembre 1974, le combat sera finalement repoussé au 30 octobre de la même année, George Foreman s’étant blessé à l’entraînement.

 

George Foreman c’est une force de la nature à l’état pur : 100 kilos de muscles et un physique impressionnant. George Foreman,  à cette époque, c’est 40 victoires dont 37 par KO et aucune défaite ! Un vrai démolisseur qui a corrigé Joe Frazier “Smoking Joe” – pourtant tenant du titre après avoir battu Mohamed Ali fraîchement sorti de prison – après deux round seulement à Kingston, en Jamaïque, en 1973, et l’ex-Marines Ken Norton devenu célèbre pour avoir brisé la mâchoire de Mohamed Ali (le 31 mars 1973 à San Diego, California, United States of America). Norton c’est un autre colosse : que du muscle pas une once de graisse. Un physique rappelant à s’y méprendre celui d’un esclave besognant dans les ravines fraîches de Louisiane, expectorant des airs de negro spirituals pour se donner du courage et tenter de donner un sens à sa vie  en s’échappant du cauchemar de son labeur quotidien…

 

Ce combat, organisé par Don King – célèbre promoteur américain – avait été rendu possible par l’offre de 5 Millions de dollars américains faite au champion et au challenger par le Président Mobutu Sese Seko, qui souhaitait ainsi faire la promotion de son pays, le Zaïre. L’annonce du combat est intervenue le 20 mai 1974. À cause d’une blessure de George Foreman, le combat va finalement avoir lieu le 30 octobre 1974 à Kinshasa, à 4 heures du matin – pour qu’il soit diffusé en direct à la télévision américaine à 22 heures  et en prime time -, dans le stade du 20 mai d’une capacité de près de 80.000 spectateurs. Nous avions promis de revenir sur ce combat mémorable, et nous sommes ici au rendez-vous de notre promesse, car célébrer cette année jubilaire c’est rendre un hommage mérité à ces deux champions d’exception.

 

À noter tout de même que, dès sa descente d’avion, George Foreman avait d’emblée indisposé une partie de la population zaïroise tenant à bout de bras un berger allemand qui n’était pas sans rappeler, dans l’imaginaire du citoyen lambda, le chien-méchant du colonisateur belge…

 

Retenons simplement ici qu’à l’occasion de ce combat du siècle Ali-Foreman, une importante communauté afro-américaine du show bizz débarqua à Kinshasa – dont le célèbre chanteur-danseur James Brown “Mister Dynamite” – véhiculant avec elle des pans entiers de sa culture. D’aucuns disent qu’avec ce débarquement massif d’américains au Zaïre naquit la dollarisation de l’économie nationale. Mais ça,  c’est un autre débat…un autre combat aussi…

 

Tout comme George Foreman, c’est dans la première quinzaine de septembre 1974 que Mohamed Ali débarque à Kinshasa. La nouvelle se répand comme une traînée de poudre, et la fièvre monte dans la ville : tout le monde veut voir ces deux boxeurs noirs venus des États-Unis pour un combat inédit en terre africaine. Les Kinois sont convaincus d’accueillir des frères qui reviennent au pays natal et commentent abondamment la moindre de leurs apparitions. Beaucoup se rendent au Domaine agropastoral et industriel de la Nsele, à une quarantaine de kilomètres du centre-ville, où les deux boxeurs s’entraînent.

 

En peu de temps, Muhammad Ali, séducteur hors pair, doué pour les déclarations fracassantes, s’attire la sympathie du public. Charismatique, il est dans son élément. Tous ont en mémoire le passé glorieux de celui qui s’appela un jour Cassius Marcellus Clay, son engagement dans la lutte contre la ségrégation, son refus d’aller se battre au Vietnam. Muhammad Ali fait son jogging dans les faubourgs de Kin, et les badauds crient, hystériques, en lingala : « Ali, boma ye ! », « Ali, tue-le ! » Tout en boxant à leur tour dans le vide pour imiter le champion américain qui “pèse”, à cet instant de sa phénoménale carrière – 44 victoires dont 37 avant la limite pour deux défaites. Pour mémoire, c’est en 1960, alors âgé de 18 ans seulement que Mohamed Ali remporte facilement sa seule médaille d’or olympique dans la catégorie des mi-lourds à Rome, en Italie.

 

Muhammad Ali (g.) face à George Foreman. © AFP / Jeune Afrique

 

Mohamed Ali, c’est la classe faite homme. Une science inédite de la boxe qu’il va élever au rang de noble art. Volant comme un papillon, piquant comme une abeille et disposant d’un jeu de jambes à nul autre pareille, en octobre 1974, il allait montrer au monde entier et à George Foreman, en particulier, qui était le plus grand…

 

En réalité, la communion entre Mohamed Ali et le public zaïrois sera totale. Le sentiment qui se dégageait, avant même que les deux boxeurs ne montent sur le ring, est que Mohamed Ali était déjà vainqueur du combat qui allait atteindre des sommets rarement approchés dans toute l’histoire de la boxe. Un véritable chef-d’œuvre ! Toute la science du combat de Mohamed Ali et l’expérience acquise après avoir battu des boxeurs aussi prestigieux que Floyd Patterson, Sonny Liston, Joe Frazier, Ken Norton, etc. allait s’exprimer dans sa quintessence cette nuit du 30 octobre 1974 dans la moiteur de Kinshasa. À la puissance phénoménale des coups de boutoir de George Foreman, Mohamed Ali allait répliquer par sa vitesse de bras et la précision de ses coups.

 

Au fur et à mesure que le combat avançait, le public avait la nette impression que Mohamed Ali évoluait en mode 45 tours alors que George Foreman tournait péniblement en mode 33 tours. À l’exception notable de ce fameux 5e round où, piqué au vif par les sarcasmes de Mohamed Ali, George Foreman décida d’en finir. La violence de ses coups redoubla d’intensité, on avait l’impression de voir un bûcheron à l’œuvre pour abattre un baobab.. Le cœur serré, j’avais l’impression de recevoir les coups à la place de Mohamed Ali, au fond de moi, je me disais, mais : “Ce type est complètement fou, il va le tuer. Comment peut-il asséner des coups d’une telle violence !?”.

 

Mais, si Mohamed Ali était connu pour sa capacité à décocher des jabs, crochets et manchettes de nature à défigurer considérablement ses adversaires – et George Foreman ne fit pas exception – peu de gens connaissaient l’aptitude du champion natif de Louisville (Kentucky, États-Unis) à esquiver, mieux, à encaisser  les coups. Très bien préparé physiquement, les coups que Foreman lui assenait dans les côtes n’avaient pas d’effets immédiats et lorsqu’il tentait de lui décocher quelque uppercut au menton, la vivacité de Mohamed Ali le mettait à l’abri de ce qui constituait l’arme fatale de George Foreman.

 

À Kinshasa, Mohamed Ali affronte le champion George Foreman sous les yeux de Mobutu. Ce combat, remporté par Ali, est entré dans l’histoire. © 6Medias – Le Point

Par contre, lorsque Mohamed Ali sortait des cordes c’était pour expédier des directs d’une rare précision au visage de George Foreman qui termina le combat le visage tuméfié, déconfit et, finalement, défait. En fin stratège, Mohamed Ali avait eu raison de la force brutale de George Foreman. Une fois passé la tempête du 5e round, aucun spécialiste digne de ce nom, ne misa sur la victoire finale de Foreman. Effectivement, dès le sixième round les gestes de Foreman devinrent de plus en plus empruntés ressemblant, qu’il était,  à un pantin mécanique téléguidé comme mû par une technologie de l’échec, c’était-là le chant du cygne du démolisseur de Marshall (Texas, États-Unis). De la même manière, la différence d’âge entre les deux champions – Foreman vingt-cinq ans et Mohamed Ali trente-deux ans soit sept ans d’écart – ne constitua pas un atout pour Foreman contrairement aux pronostics de nombre de spécialistes.

 

De l’autre côté du ring, en effet, le logiciel de Mohamed Ali était mis à jour et parfaitement au point : tellement au point que ce dernier se permettait d’apostropher son adversaire en lui demandant si c’est tout ce qu’il avait à proposer face à ses coups devenus d’une déconcertante et affligeante mollesse… Fin tacticien, Mohamed Ali allait attendre que George Foreman soit complètement cuit pour porter l’estocade en lui décochant l’un de ses coups fatals dont il avait le secret.  En réalité,  Mohamed Ali avait gagné ce combat avant même que celui-ci ne débute : passé maître ès communication et intox, lors de ses séances d’entraînement et des points de presse, il avait fait croire à tous qu’il allait voler comme un papillon et piquer comme une abeille contre Foreman. Or, une fois, le combat engagé, il se blottit dans les cordes, n’en sortant que pour décocher une salve de coups – directs, crochets et jabs – aussi précis que possible en plein visage de George Foreman. Celui-ci était tombé dans le piège de Mohamed Ali et avait élaboré toute sa stratégie de combat à partir d’un Mohamed Ali virevoltant et dansant comme dans ses plus beaux jours. Ce dernier était entré dans sa tête comme une verrue dans l’orteil d’un plagiste suçant son intelligence comme l’aurait fait une sangsue…

 

De fait, et semblant disposer d’une horloge interne, Mohamed Ali avait cette aptitude unique – que Sugar Ray Leonard allait également reproduire – de deviner avec exactitude le moment où débutait les soixante dernières secondes d’un round. Et c’est bien souvent, à cet instant précis – celui du compte à rebours – qu’il faisait la différence : non seulement pour impressionner les juges et marquer des points – au propre comme au figuré -, mais aussi et surtout, pour finir ses adversaires. Le coup magique fait partie de la légende de Mohamed Ali. Un coup que ceux-ci ne voyaient jamais venir mais qui faisait mouche et envoyait, finalement, les infortunés au tapis. George Foreman en fit l’amère expérience, lui, qui complètement groggy s’effondra comme un sac de farine dans les ultimes, mais interminables, secondes du 8e round alors que Mohamed  Ali eu l’élégance de ne pas lui expédier une droite à la face pour laisser le public admirer et apprécier toute la classe de son coup magique… Foreman s’écroula sur le ring comme un ours brun s’affale sur les vertes prairies de la Toundra victime de sénescence virile…

 

Lorsque le public comprit que Foreman n’allait plus se relever dans les délais impartis, celui-ci laissa exploser sa joie et les “ALI BOMA YE!” fusèrent de partout ! Le stade du 20 mai s’embrasa, on eut le sentiment que la foule entra dans une forme de transe profonde toute tropicale pour mieux communier avec son champion qui venait de reprendre sa couronne de Champion du Monde des Poids Lourds World

 

 

 

Boxing Association (WBA)/World Boxing Council (WBC). Cette nuit-là, rumba, ndumba et Simba ne furent qu’un à Kinshasa… Mohamed Ali avait retrouvé la place qui lui convenait le mieux : sur le toit du monde ! Le plus grand, le plus beau, le  plus fort. Bravo Champion, ta boxe restera toujours une prose que les esthètes de la boxe écriront avec une infinie poésie car dans  l’univers du noble art,  les artistes sont trop rares…

 

Le combat de boxe Mohamed Ali-Foreman retransmis en direct, marquera un moment de convergence entre les aspirations des élites sportives et artistiques africaines-américaines et l’espoir né des indépendances. Le Black Power – mouvement politico-spirituel créé en 1966 par Stokely Carmichael postulant que le pouvoir noir doit se prendre en charge et lutter pour sa propre promotion,  la coopération véritable entre les races ne s’avérant possible que dans l’égalité – favorise les rapprochements entre militants des deux continents tandis que le sport s’affirme aux États-Unis comme un terrain de luttes. C’est là toute la symbolique de l’importante délégation afro-américaine qui a foulé le sol kinois à l’occasion du Rumble In The Jungle.

 

S’expriment ainsi des revendications diverses, par exemple contre les formes dites d’américanisation des équipes, qui visent en réalité à privilégier les athlètes blancs, ou pour la reconnaissance des sportifs et entraîneurs noirs. Si la confrontation entre les deux afro-américains ne provoque pas de renversement des logiques de domination symboliques du Nord sur le Sud dans le sport mondial, elle permet néanmoins à l’idéologie mobutiste de triompher en se posant en championne de la défense des opprimés contre les oppresseurs en renouant avec les idéaux de la Conférence de Bandung et l’apologie du mouvement des non-alignés.

 

Ce combat homérique fut un succès planétaire qui, jusqu’à ce jour, reste un chef-d’oeuvre de la diplomatie du Président Mobutu Sese Seko car – la vie étant une intensité qui se mesure à l’aune du temps – l’existence de toute Nation est belle lorsque la vérité historique se conjugue au présent et que les méandres de notre réminiscence d’intellectuels s’efforcent de feuilleter chaque page du Livre d’Or de la République sans en arracher les plus dérangeantes mais en assumant pleinement la redondance des faits car le devoir de mémoire ne saurait être contingent…

 

Je vous convie, en activant les liens ci-dessous, à découvrir comment, tantôt la culture bantoue tantôt la culture mandingue, ont célébré, chacune à sa façon et grâce au talent d’artistes de renoms, l’anthologie de ce combat.

 

 

https://www.youtube.com/watch?v=5HV5esJnDns

Roger Nzau

 

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