16 février 1992-16 février 2022:30 ans après , les croyants congolais toujours interpellés au courage politique!(Professeur Thierry N’landu)

16 février 199216 février 2022, 30 ans après : les croyants congolais toujours interpellés au courage politique, tel fut le thème développé par le professeur Thierry N’landu Mayamba lors de la journée commémorative de la journée du massacré des chrétiens par l’armée de Mobutu le 16 février 1992 dont voici la quintessence :

La situation actuelle du pays offre un tableau inquiétant et désolant fait de nombreux détournements en termes de millions, de pillages systématiques des matières premières, de règlements de compte par Police et Garde Républicaine interposées, d’insécurité permanente à l’Est du pays, d’intrusions officielles et non officielles récurrentes des troupes militaires étrangères, d’amateurisme et d’affairisme des animateurs de nos institutions, de théâtralisation des débats dans les assemblées nationale et provinciale, de fiction de travail au gouvernement central et dans les exécutifs provinciaux. Ce spectacle, une tragicomédie affligeante et douloureuse interpelle et rappelle à tous les croyants le défi de relever l’engagement politique contenu dans ces mots prophétiques des évêques congolais : 

« Aux chrétiens de notre pays, spécialement aux laïcs catholiques, nous demandons de prendre conscience de la nécessité de leur participation active à la prise des décisions qui ont un impact sur la marche de la vie collective. Soyez-y présents en tant que chrétiens et apportez-y la lumière du Christ. N’attendez pas la permission des évêques pour vous engager dans la politique et ne leur demandez pas de le faire à votre place. C’est bien là le domaine de votre sanctification. » (Assemblée Plénière Ordinaire du 15 juillet 2000)

Cet  appel de mon église est une constante invitation à célébrer tous ceux qui hier, aujourd’hui et demain ont entonné, entonnent et entonneront l’hymne de la vie au-delà de la mort. Que les Floribert Chebeya et Bazana de la VSV, Franck Ngykie de la Référence Plus et son épouse, Papua Muamba du Phare, Serge Maheshe de Radio Okapi, Didas Namushimba de Radio Okapi, Mgr Muzirwa et Mgr Kataliko, les héros et héroïnes du 16 février 1992, du 19, 20 et 21 janvier 2015 auxquels se sont ajoutés depuis 2017, les Hervé Bena Kalala , Héritier  Ibanda, José Fataki, Mambimbi Kianga, Jean Baptiste Landene, Godefroid Namwisi, Thérèse Kapangala, Husein Ngandu Kisene, Jackson Kabadiatshi Mazango, Benjamin Muingilau, Serge Kikunda, Matthieu  Mfuamba, l’inconnu de Lemba au camp Kabila, Rossy Mukendi Tshimanga, Eric Bolokoloko, Luc Kalula et tant d’autres morts dans l’anonymat ; que tous ces dignes fils et filles, héritiers de Kimpa Vita, trouvent dans ces quelques mots l’expression de la profonde gratitude de tout le peuple souffrant de notre pays. Que tous ces frères et sœurs soient les symboles des petites victoires de notre peuple sur l’irrationnel et la bêtise humaine qui ont élu domicile dans notre maison commune Congo. 

Chaque message de mon église résonne comme une exhortation à me mettre en route au nom de ma foi et de tous ceux qui, hier, ont versé de leur sang pour que la vie ait un peu plus de sens dans notre pays. Mon église en appelle à mon baptême, à mon audace de croyant. Pour faire vivre ses recommandations, je dois redevenir ce laïc du 16 février 1992. En définitive, mon église invite ce nouveau croyant né le 16 février 1992 à se réveiller, ce 16 février 2022, pour, en février 2023, partager la force de l’action politique non violente des baptisés.

L’action politique qui sanctifiera le laïc aujourd’hui se fera dans la  non-violence et le dialogue. Elle passera par notre volonté commune de couper les ficelles de la manipulation qui nous empêche de voir que, dans notre pays, nous ne sommes plus que deux ethnies qui s’affrontent par la volonté des puissants de notre monde : l’ethnie minoritaire des Congolais qui ont tout et s’enrichissent de manière éhontée et celle majoritaire des autres qu’on appauvrit chaque jour et qu’on relègue à la périphérie du savoir, du pouvoir, de l’avoir et du valoir. 

Depuis 1960, le peuple souffrant du Congo se rend de plus en plus compte que les riches au pouvoir ne se battent pas ethnie contre ethnie. Quand ils entrent en conflit, ce ne sont jamais les riches Baluba contre les riches Bayaka ni les riches swahiliphones contre les riches lingalaphones. Non ! C’est juste parce que tous ces nouveaux riches, une fois au pouvoir, ne se sont pas partagés le gâteau Congo de manière équitable et équilibrée, pour utiliser une expression qui leur est propre. Qu’ils cessent donc de nous opposer ethnie contre ethnie, nous, les pauvres Baluba et Bayaka, Swahiliphones et Lingalaphones qu’ils ont relégués dans des camps de réfugiés dans nos propres milieux urbains et ruraux. 

La première ficelle de la manipulation que les croyants congolais réduits à la pauvreté doivent couper est celle de la fatalité. Il faut cesser de croire que les choses ne changeront jamais dans notre pays. La ficelle de la fatalité fait de nous des résignés, des gens incapables de tout acte de changement au profit du peuple. Combiné à la ficelle de la religion, celle de la fatalité rend Dieu responsable de toutes nos misères individuelles « C’est Lui qui veut que cela soit ainsi. C’est Lui qui a créé certains riches et d’autres pauvres. Comment nous rebeller contre Lui ? ». 

Cette ficelle donne naissance à une religion festive caractérisée par la danse, la passivité et les miracles à qui en veut. Cette religion démobilise le peuple. C’est elle qui est chantée chaque jour, dans les bus, épuisant les travailleurs avant même qu’ils n’aient commencé le travail. C’est encore elle que des chrétiens devenus crétins vénèrent dans les quartiers à des heures où l’on devrait se reposer pour retrouver les forces nécessaires à un travail productif le jour après. Cette religion est assassine parce qu’elle invite à une soumission qui déshumanise.

Les croyants doivent rejeter cette religion parce que la volonté de Dieu n’a jamais été  de faire de nous des esclaves d’autres humains. Dieu ne nous a pas créés pour être pauvres. Ceci n’a jamais été sa volonté mais bien celle de certains fils et filles  égoïstes de ce pays, insensibles à la misère d’autres humains qui ont décidé de transformer notre pays en une terre sans humanité ; un Far-West sans Shérif qui appartient à ceux et celles qui l’exploitent et non à ceux qui y habitent. Le Dieu auquel nous devons désormais croire est et a toujours été Celui qui ne nous a jamais promis le ciel en échange de notre soumission ni de notre obéissance à des lois injustes.

Non ! Dieu ne nous oblige pas à accepter n’importe quoi, parce que lui-même est rébellion contre tout ce qui déshumanise l’humain. Dieu nous invite à ne plus nous taire face aux injustices. Il recommande notre révolte. Notre Dieu n’a que faire de nos lamentations. Il ne nous permet plus d’être indifférents aux souffrances des autres. Notre Dieu attend nos prochains 16 février afin de promouvoir un état de droit au-delà des slogans somnifères.  

Dans notre marche en route vers la démocratie, nous devons aussi couper la ficelle de l’autorité de l’Etat. Cette ficelle est très appréciée par nos dirigeants dont le seul objectif est d’organiser divers services de sécurité pour assurer leur propre sécurité et jamais celle de la population. Pour accomplir cette tâche les gouvernants organisent la corruption, le tribalisme, l’impunité, les arrestations arbitraires, les menaces, les intimidations, les représailles et autres distractions à la télévision, à la radio et, de nos jours, à travers les réseaux sociaux.

Dans ce contexte, l’armée, la police et l’ANR deviennent des services de sécurité au service non plus du peuple mais bien de celui qui est au pouvoir. Les agents de ces services sont des jeunes congolais et congolaises innocents et avides de travail. Ils sont recrutés dans nos quartiers pauvres et régulièrement envoyés pour domestiquer tout celui qui ose élever sa voix contre le pouvoir en place. Ils sont embrigadés et poussés à s’entretuer pendant que les gouvernants se la coulent douce, sécurisés par leur soumission aveugle aux prix de primes arbitraires, de salaires improvisés et de promotions non méritées. Pour couper cette ficelle de l’autorité de l’état, les croyants doivent se débarrasser de la ficelle de la peur

Braver la peur, c’est dire publiquement « non » à un tribalisme rampant dont on nous rend coupables alors qu’il est l’arme privilégié de ceux qui, une fois au pouvoir, s’efforcent, d’une part, d’endormir leurs frères et sœurs de même ethnie et, d’autre part, tyrannisent tous ceux qui appartiennent à une autre ethnie et qui osent les interpeller à ce sujet parce que, semble-t-il, ils mettent, en danger « leur pouvoir », un pouvoir vampire qui, depuis plusieurs décennies,  s’abreuve du sang des pauvres au-delà de nos ethnies. 

Qu’on se le dise, hier comme aujourd’hui, la misère n’a jamais visité les palais des membres de l’ethnie au pouvoir ; mais hier comme aujourd’hui, elle a toujours étrangement élu domicile dans la case des membres de la même ethnie, éloignés du cercle du pouvoir ! Hier lointain, Jérusalem était à Mbandaka jusqu’à ce que je découvre une cité qui baigne dans l’obscurité comme toutes nos villes vêtues d’un pagne aux motifs couleurs « poussière » et « misère ». Hier récent, Jérusalem avait pris une coloration linguistique et spatiale sans que nos frères et sœurs de ces contrées bénies de Béni et de tout notre Est, ne soient, jusqu’à ce jour épargnés des affres d’une guerre injuste nous imposée par des carnivores d’ici et d’ailleurs. Hier, aujourd’hui, Jérusalem se déplace au centre du pays sans doute pour confirmer, le temps d’une excursion en fin de premier mandat, les affres que des frères et sœurs de sang peuvent faire subir à ceux de même sang au nom du « moi d’abord ».

Braver la peur, c’est comprendre que nos chefs aussi ont peur et que nous ne devons pas en rajouter au point de les cabrer. Comment en effet justifier ces militaires surarmés le long des routes et dans les cortèges ? S’ils n’avaient pas peur, ils ne s’entoureraient pas d’autant d’hommes en armes. Tout en eux est devenu expression de leur peur. Les vitres fumées de leurs voitures sont l’expression de leur peur de voir la misère semée partout tout au long de leur trajet. La vitesse de leurs déplacements et leurs conduites en sens inverses ne sont pas autres choses que des expressions de leur peur de s’attarder sur ces regards de mendiants qu’affichent les visages des concitoyens, tous des frères et sœurs devenus misérables par leur seule volonté.

Braver la peur, c’est exiger des réformes salutaires comme celle de l’accès à l’information ainsi que celle de nos services de sécurité (ANR, armée et police). En effet, c’est un secret de polichinelle. Les hommes et femmes en arme formés et qui aiment ce métier reconnaissent que l’armée et la police  actuelles apparaissent comme des forces hétérogènes d’anciens officiers de divers origines et aux passés variés: des ex-FAZ, incluant des officiers à la retraite; des membres d’anciens milices, d’anciens personnels militaires, des veuves et orphelins d’officiers militaires décédés, des volontaires instruits et non instruits, des excombattants intégrés dans l’armée ou la police par arrangements politiques et souvent sans formation, bénéficiant du processus permanent de démobilisation et de restauration de la paix, initié en 2013 et qui se poursuit jusqu’à ce jour. On a, par conséquent, affaire à une armée et une police atypiques, non professionnelles, composées de civils et d’ex personnels militaires. Aussi, à notre avis, la complexité de la composition actuelle des FARDC et de la PNC exige une réforme audacieuse et courageuse, car, à l’état actuel, les deux services constituent une menace permanente non seulement pour la population mais aussi pour les gouvernants qu’ils sont censés protéger.  Suivez mon regard !

Braver la peur c’est exiger et mener le combat non violent pour la suppression des institutions inutilement budgétivores comme le  Sénat, les Assemblées et Gouvernements Provinciaux et autres Maison Civile du Chef de l’état. C’est aussi exiger et mener le combat pour la réduction du nombre pléthorique de députés de l’assemblée nationale ainsi que la réduction du train de vie de nos dirigeants. La démocratie sénégalaise a décidé de fonctionner sans Sénat sans que la gouvernance du pays n’en souffre. Quant au nombre excessif de députés à l’Assemblée Nationale, elle n’améliore en rien la qualité du travail réalisé au sein de cette institution. En effet, demandons aux acteurs et actrices de cet hémicycle de nous édifier sur le nombre réel de ceux qui travaillent dans les commissions et des thuriféraires applaudisseurs qui remplissent la salle lors des motions et autres interpellations.  

Braver la peur, c’est dire non à cette démocratie de façade, faite, à chaque cycle électoral depuis 2006, d’élections truquées aux résultats non conformes à la vérité des urnes ; une démocratie qui refuse de se bâtir autour d’institutions fortes pour s’édifier autour d’hommes forts aux appellations troublantes, intrigantes et effrayantes de « Père Fondateur », « Rais », « Igwe », « Shina Rambo » et autres « béton » et « warriors » ; une démocratie construite sur du sable avec des institutions démocratiques sans démocrates et animées par des hommes et des femmes politiques souvent dotés d’une légitimité douteuse ; une démocratie mirage qui défigure et dénature la démocratie au point que notre peuple cesse de voir en elle un mode de gouvernance à même d’assurer son bonheur.

Braver la peur, c’est quitter les sentiers battus d’une observation électorale devenue au fil des temps un juteux business électoral qui transforme et croyants et Princes de notre église en fonctionnaires électoraux, tous accompagnateurs complices conscients ou inconscients de processus électoraux douteux. Il faut nous mettre en marche pour une observation électorale combinée avec une surveillance électorale citoyenne à même de nous sortir de ces élections frauduleuses à répétition. 

Braver la peur, c’est nous doter d’une mission d’observation électorale qui, avec une CENI parallèle auront pour ramifications nos cellules de base et autres paroisses, à travers les diocèses et couvriront ainsi tout le pays avec pour objectif de rassembler dans chaque circonscription, bureau après bureau, les PV et autres preuves  de la légitimité que nous aurons confiée aux uns et aux autres lors des prochaines élections. La fraude électorale a toujours été rendue possible grâce à moi et toi qui, à la fin du processus devenons les dindons d’une farce que toi et moi pouvions, ensemble éviter. 

Braver la peur, c’est, dans la non-violence,  de manière pacifique, dire non à une CENI partisane comme seule institution à même de proclamer les résultats de nos élections et d’avoir une instance citoyenne à même, le moment venu,  de les annoncer à notre peuple du haut de la chaire de la Cathédrale Notre Dame du Congo et non dans un char de la MONUC/MONUSCO ni encore moins dans des chancelleries étrangères. Certes, il est vrai que nos dirigeants d’hier et d’aujourd’hui nous ont régulièrement mis à l’école de la fraude électorale avec des techniques toujours renouvelées; mais, aujourd’hui, nous devons prouver à tous que nous sommes devenus ce peuple capable non seulement de protéger sa constitution mais aussi d’adopter des stratégies appropriées pour contrer la fraude électorale qui s’annonce avec une feuille de route siamoise de celles de 2006, 2011 et 2017 ; une feuille de route faite des contraintes ou autres préalables dont le but a toujours été de nous endormir pour ensuite, par surprise, nous pousser aux élections quand eux seront prêts avec pour éternel et trompeur argument « mieux vaut de mauvaises élections que pas d’élections du tout ». Non ! Lors des élections de 2023, mobilisons-nous et préparons-nous activement, à tous les niveaux, pour des « élections zéro fraude » et donner enfin à notre démocratie ces dignes élus, tous des filles et fils dotés d’un pouvoir politique beau parce que vrai, légitime et demain, utile à la nation. 

Tel est le défi de notre prochain 16 février !

Je vous remercie.

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